Africa-Press – Côte d’Ivoire. Dans un avis publié le 3 mars 2025, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a opposé un refus à la Direction générale de la santé (DGS) qui l’avait saisi des difficultés rencontrées par les agences régionales de santé (ARS) pour gérer les situations de non-conformité de l’eau du robinet. La DGS demandait en effet s’il était possible d’accorder des dérogations lorsque la limite sanitaire de 0,1 microgramme de pesticides (ou de leurs métabolites) par litre d’eau (μg/l) était dépassée quand les données scientifiques sur leur toxicité sont manquantes. Les ARS doivent en effet de plus en plus faire face à cette situation, du fait des progrès accomplis par les laboratoires agréés de mesure.
De plus en plus de régions sont en effet confrontées à cette situation. Les analyses sont de plus en plus fines et détectent de plus en plus de molécules chimiques présentes dans l’eau à de faibles teneurs. Aussi, les seuils définis par la directive européenne de 2020 sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, de 0,1 μg/L à respecter par substance individuelle et de 0,5 μg/L pour la somme de tous les pesticides, sont de plus en plus souvent franchis. « Cette limite de qualité n’a pas de fondement sanitaire, elle correspond à un seuil de non-présence. Quand celui-ci est dépassé, la directive européenne autorise, par dérogation, le maintien de la consommation de l’eau jusqu’à concurrence d’une valeur sanitaire maximale dès lors que ces dérogations ne constituent pas un danger potentiel pour la santé humaine », rappelle la DGS.
L’eau est une ressource locale. Le territoire français compte ainsi plus de 22.000 unités de distribution (UDI), des plus grandes — et les plus surveillées — approvisionnant les grandes villes aux plus petites desservant quelques bourgades en zones rurales éloignées, où les analyses n’ont lieu que tous les dix ans.
Pesticides: plus d’un quart des Français boivent une eau non conforme
Le bilan 2023 de la qualité des eaux potables vis-à-vis des pesticides montre ainsi une dégradation de la situation. L’examen des résultats de 19.975 UDI alimentant 99,4% de la population française révèle que 16,3% des UDI ne sont pas conformes à la réglementation européenne. Elles approvisionnent près de 17 millions de Français, soit plus d’un quart de la population. Cette non-conformité est variable et comprend trois degrés d’évaluation: des dépassements n’excédant pas 30 jours par an sans risque pour la santé humaine, des dépassements dépassant les 30 jours et, enfin, les cas de détection de pesticides dont la toxicité est avérée quelle que soit la durée et qui présente un risque pour la santé.
Dans ce cas, la population doit être informée de ne pas utiliser l’eau du robinet. En 2023, près de 10% des Français ont vécu cette situation. Les six substances retrouvées le plus fréquemment dans les unités de distribution dépassant les normes sont toutes des métabolites de pesticides: le chlorothalonil R471811, la chloridazone désphényl, la chloridazone méthyl desphényl, le chlorothalonil R417888, l’atrazine déséthyl déisopropyl et l’atrazine déséthyl. Bien qu’interdite depuis octobre 2001, l’atrazine est encore très présente dans les eaux.
Plus on cherche et plus on trouve, donc les dépassements sont de plus en plus nombreux. En 2020, 94,1% de la population française était alimentée par une eau respectant en permanence les limites de qualité des pesticides. Trois ans plus tard, un gros recul est observé: 74,7% bénéficie d’une eau quasi indemne. Le pourcentage de la population alimentée par de l’eau présentant des dépassements récurrents de la limite de qualité est passée de 3,3% à 17,4%.
Cette augmentation n’est pas seulement attribuable à l’utilisation de pesticides, dont les tonnages vendus sont restés relativement stables ces dix dernières années, mais bien à la finesse croissante des analyses qui révèlent au passage que les pesticides et leurs métabolites sont très fréquemment présents dans des eaux qui ont pourtant subi des traitements poussés. « C’est dans ce contexte que le ministère chargé de la Santé a saisi le Haut Conseil de la santé publique en vue de formuler des propositions d’évolution des modalités d’évaluation et de gestion des risques en situation d’incertitude scientifique, qui soient compatibles avec les exigences européennes et tiennent compte des enjeux sanitaires », explique la DGS.
Le HCSP préfère prévenir que guérir
Cette « évolution des modalités d’évaluation et de gestion des risques », le HCSP n’en a pas voulu. Pas question de toucher au thermomètre, argue en résumé l’institution. Celle-ci rappelle ses avis précédents sur la question. Pour résoudre cet épineux problème, il convient d’abord de mettre en œuvre les actions visant à réduire les concentrations de pesticides dans l’eau (dilution, changement de captages, interconnexion entre captages, techniques de dépollution).
Surtout, « il est fondamental de ne pas limiter les actions de gestion aux aspects curatifs et il est essentiel d’améliorer la préservation et la protection des ressources et zones de captage, notamment en réduisant l’usage des pesticides », insiste le HCSP. Enfin, les ventes de dispositifs de dépollution de l’eau du robinet proposés aux consommateurs « n’offrent aucune garantie de fiabilité et d’innocuité et correspondraient à un transfert de responsabilité vers l’usager qui ne peut être envisagé ».
Le HCSP recommande donc de définir au niveau national une liste minimale de molécules à rechercher, liste qui n’existe pas aujourd’hui. La directive européenne laisse en effet aux Etats la responsabilité de dresser cet inventaire, tout simplement parce que les cultures sont très différentes d’une région à l’autre, ce qui implique l’utilisation de pesticides différents. L’information des populations doit par ailleurs être plus accessible. Enfin, les ARS doivent être dotées de moyens supplémentaires pour gérer des données sanitaires de plus en plus complexes. Face à une pollution ubiquitaire, le HCSP estime donc qu’il faut plus de transparence et pas moins de surveillance.
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