Africa-Press – Djibouti. Depuis l’entrée en vigueur en novembre 2021 du traité portant création de l’Agence africaine du médicament, la mise en branle de ce pilier de la souveraineté sanitaire du continent avance à pas feutrés.
Kigali a certes été choisie dès juillet 2022 pour abriter son siège, mais il a fallu attendre la 36e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) – les 18 et 19 février à Addis-Abeba – pour que le sujet revienne sous le feu des projecteurs.
Son opérationnalisation est « amorcée », a assuré le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA.
« Il est désormais crucial de réfléchir rapidement à une feuille de route, d’organiser des mécanismes de financement, de nommer un directeur et de mettre sur pied un conseil d’administration », insiste pour sa part le Malien Michel Sidibé, envoyé spécial de l’UA chargé de la mise en place de cette agence censée faciliter la production locale de vaccins, médicaments, matières premières et d’équipements de santé, mais aussi d’harmoniser les réglementations du continent face à la gangrène des médicaments falsifiés, en permettant un accès équitable à des produits de qualité pour tous.
AVEC LA ZLECAF, LA TAILLE DU MARCHÉ NE SERA PLUS UN OBSTACLE POUR LES PRODUCTEURS DE MÉDICAMENTS
« Il faut continuer de travailler sur l’aspect politique car, si 22 pays ont déjà signé et ratifié son traité, nous attendons toujours qu’une trentaine d’autres le fassent », poursuit-il. Le plaidoyer de cet ex-ministre des Affaires étrangères et ex-directeur de l’ONU Sida continue à porter ses fruits à petits pas.
Le 19 février, en plein Sommet, Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo, ratifiait ainsi le traité, rejoignant l’Algérie, le Cameroun, le Mali ou encore le Maroc. Si la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie ou encore le Togo font partie des sept pays qui ont signé l’accord mais ne l’ont pas ratifié, la RDC, le Kenya ou encore le Nigeria n’ont pas démarré la procédure. Quant au Burkina Faso et à la Namibie, s’ils ont bien ratifié le traité, ils ne l’ont pas signé.
L’OMS en partenaire clé
Le lendemain, Matshidiso Moeti, directrice de l’OMS pour l’Afrique, se félicitait des discussions entamées avec Sidibé dans le but de créer une dynamique autour de la construction de la feuille de route de l’AMA, se posant comme « partenaire clé » pour la faire avancer. Nardos Bekele-Thomas, directrice exécutive de l’Agence pour le développement de l’Union africaine (AUDA-Nepad) s’est aussi engagée à continuer « de prendre des responsabilités techniques dans l’opérationnalisation de l’AMA ».
L’accélération de la mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) sera un atout de taille. « Elle pourrait intégrer un marché de 1,3 milliard de personnes et potentiellement 2,2 milliards d’ici à 2050, s’enthousiasme Michel Sidibé. Elle va aussi offrir des économies d’échelle et faciliter la circulation des produits de santé en diminuant les coûts commerciaux et en allégeant les procédures transfrontalières. La taille du marché ne sera plus un obstacle pour les producteurs de médicaments ».
Vers une industrie africaine de la santé
« Le secteur santé et bien-être en Afrique pourrait valoir 259 milliards de dollars d’ici à 2030 et créer plus de 16 millions d’emplois », insiste encore l’envoyé spécial de l’UA. La réduction du poids de la maladie pour les États devrait aussi permettre des retours sur investissement considérables.
Mais, à ce stade, les disparités entre agences nationales de régulation pharmaceutique sont encore grandes. Seuls quatre pays (Tanzanie, Ghana, Nigeria et Afrique du Sud) ont atteint le niveau 3 de l’OMS sur une échelle allant jusqu’à 4 ; 41 étant au niveau 1.
« Des évaluations et des approbations réglementaires robustes demandent du temps et de l’argent. Tous les pays ne disposent pas des fonds nécessaires pour investir dans les ressources humaines, les tests, la formation, regrette Mohamed Ismail, chef d’équipe pour l’approvisionnement en médicaments et les infrastructures sanitaires du Bureau régional de l’OMS. Ils pourront s’appuyer sur l’évaluation de l’AMA et raccourcir certains processus d’approbation ».
En attendant, les coûts des médicaments restent parmi les plus élevés au monde alors que l’Afrique continue à importer 90 % de ses besoins. Michel Sidibé croit à la création de hubs économiques « d’excellence » dans les zones les plus avancées. Il rêve aussi déjà tout haut d’une africanisation de la recherche et du développement, de santé numérique et d’infrastructures de biotechnologie. Et de rappeler le potentiel de croissance « incroyable » du marché pharmaceutique africain « qui ne représentait que 0,7 % d’un marché mondial en 2021 ». À condition de rassurer, à temps, les investisseurs.
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