Africa-Press – Djibouti. En confirmant qu’il ne se présenterait pas à la présidentielle de 2026, Ismaïl Omar Guelleh, après cinq mandats à la tête du pays, ouvre la voie à un après qui reste encore très largement à définir.
Le 15 septembre, peu après 4 heures du matin, le sol a vibré à Djibouti. Un tremblement de terre d’une magnitude de 5,2 a réveillé le pays et une partie de la Somalie voisine, avant que, quelques heures plus tard, une autre secousse de moindre importance ne soit ressentie, réveillant chez certains anciens les souvenirs du séisme de 1973, qui avait secoué par épisodes, pendant près d’un mois, ce petit pays installé en équilibre sur la vallée du Grand Rift africain.
Comme à cette époque, Djibouti n’a fort heureusement eu aucune victime à déplorer, les autorités ayant seulement été contraintes de fermer les écoles pendant quelques jours. Un séisme sans conséquence grave, donc, pour la petite République qui s’apprête à en connaître un autre, de grande amplitude, lui aussi, bien qu’ils soit d’une tout autre nature, avec le départ en 2026 du chef de l’État, Ismaïl Omar Guelleh (IOG), au pouvoir depuis 1999.
L’un des derniers tabous
Si le pays a été pris par surprise dès potron-minet, à la mi-septembre, ce ne sera pas le cas dans trois ans, puisque IOG, à 75 ans, a pris le soin d’annoncer lui-même sa décision dans un entretien accordé à Jeune Afrique en mars dernier. Lorsqu’on lui demande de confirmer qu’il ne briguera pas de nouveau mandat, le président, féru de métaphores, répond : « Comme le dit un proverbe arabe, “tout fil a un bout”. Tout s’arrête quelque part ».
Une réponse qui a le mérite d’être claire mais dont personne ne mesure encore vraiment les conséquences pour le pays. Elle lève néanmoins l’un des derniers tabous de la vie politique djiboutienne, celui de la succession du chef. Or si le sujet reste rarement évoqué en public en dehors des mabraz (cercle privés où l’on se réunit pour boire le thé), il est pourtant dans toutes les têtes, tant à Djibouti que chez ses voisins, et chez ses principaux partenaires internationaux.
Depuis, les spéculations vont bon train quant à l’identité du « dauphin » qui, à ce jour, n’a toujours pas été désigné par le chef de l’État. « Peut-être que lui connaît déjà son successeur, mais il est encore trop tôt pour le dévoiler », estime l’un des proches collaborateurs du chef de l’État Djiboutien. De peur certainement qu’il ne se fasse « poignarder » par d’autres postulants à la succession.
Parmi les noms les plus souvent cités, en particulier dans les chancelleries, celui de Dileita Mohamed Dileita. Vieux compagnon de route d’IOG, sorti de sa retraite en mars dernier pour prendre la présidence de l’Assemblée nationale, ce dernier répond par la négative lorsqu’il est interrogé sur le sujet.
Quelques observateurs mentionnent également le nom d’Ilyas Moussa Dawaleh, l’incontournable ministre de l’Économie et des Finances qui, pour beaucoup, a eu le tort de ne pas cacher ses ambitions. « En définitive, c’est le président et lui seul qui, le moment venu, prendra la décision, et elle sera acceptée par tout le monde », assurent en chœur les membres du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), le parti présidentiel.
Subtils équilibres régionaux
Les Djiboutiens ne sont pas les seuls à s’interroger sur l’identité de leur futur président. L’Éthiopie et la Somalie, les deux puissants voisins de la petite République, sont en effet loin de rester indifférents à cette question qui risque d’avoir des conséquences pour l’ensemble de la sous-région.
Après avoir réussi à apporter la paix dans son pays, en mettant fin à la guerre civile contre le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud) qui a ébranlé le pays pendant près de dix ans, IOG est aussi devenu, avec le temps, le principal pilier de la stabilité régionale. Depuis son accession au pouvoir, il a renforcé les liens économiques avec l’Éthiopie et s’est investi comme personne dans la résolution des différentes crises somaliennes, pour mieux garantir la paix à ses frontières et en dehors. Le président Guelleh devrait donc choisir un successeur qui poursuivra cette œuvre majeure, qui lui donne aujourd’hui le statut de sage dans la Corne de l’Afrique.
Problème : personne aujourd’hui, dans son camp comme dans son pays, ne semble mieux connaître que lui les subtils équilibres qui gouvernent la région. Privilège de l’âge et de l’expérience. Personne à Djibouti ne semble non plus disposer d’une aura comparable à la sienne sur la scène internationale. Son long passage à la présidence correspond en effet à une période très active en matière de diplomatie, caractérisée par l’arrivée de nombreuses bases militaires étrangères, à la fois source de revenus et assurance-vie de son petit pays.
Quant à la France, si elle n’a peut-être pas toujours vu d’un très bon œil l’arrivée, au fils des années, des troupes américaines, italiennes, japonaises et chinoises le long d’un détroit de Bab-el-Mandeb de plus en plus stratégique – à l’heure où sa présence est remise en cause dans de nombreux pays du continent –, elle ne peut finalement que se féliciter des bonnes relations qu’elle entretient avec un président djiboutien qui sait se montrer pragmatique face à l’ancienne puissance coloniale.
Même après le départ annoncé d’IOG, la France devrait encore pouvoir compter sur la bienveillance de son successeur qui, compte tenu du non renouvellement des cadres politiques djiboutiens depuis plus de vingt ans, a de forte chance, sur ce sujet, d’inscrire ses pas dans celui de l’actuel chef de l’État.
Malgré l’âpreté des négociations en cours sur le renouvellement des accords de défense bilatéraux, Djibouti n’est pas au Sahel. Aussi, la remise en cause de la présence française dans le pays devra peut-être attendre l’arrivée au pouvoir de la prochaine génération, la première qui n’aura alors pas connu l’indépendance – tardive il est vrai – du pays.
La fameuse « Génération IOG »
Maître du temps et des horloges, IOG est également celui du calendrier des réformes qu’il entend encore mener pour ces trois prochaines années. Si ses mandats successifs ont incontestablement permis au pays de développer son économie, avec un PIB multiplié par cinq depuis 2000, il lui reste encore beaucoup à faire sur le volet social, en particulier pour ce qui est de la création des emplois destinés à la fameuse « génération IOG » pour laquelle il dit avoir voulu se présenter une cinquième et dernière fois à la magistrature suprême en 2021.
C’est également sur ce dossier de la jeunesse et du développement humain, Ô combien important, que le bilan d’IOG sera jugé, et personne ne le sait mieux que lui. Avec un défi supplémentaire à relever, celui de l’entrée de son pays dans l’ère du numérique. Finalement bien plus moderne que nombre de ses homologues africains pourtant plus jeunes, IOG en a fait une priorité pour Djibouti. Reste que la création de ces emplois de demain risque de provoquer la disparition d’un certain nombre des emplois les moins qualifiés d’aujourd’hui, en particulier au sein d’une fonction publique pléthorique qui a longtemps servi à contenir le taux de chômage. Le départ d’IOG marquera la fin d’un cycle et, certainement, le début d’une nouvelle ère pour Djibouti.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press