Par Olivier Caslin
Africa-Press – Djibouti. C’est officiel, le chef de l’État djiboutien tentera de se succéder à lui-même en avril prochain. En lice pour un sixième mandat, il n’a jamais paru aussi incontournable face à une opposition atone.
C’est le « cœur gonflé de gratitude » et « la voix tremblante d’émotion », selon ses propres termes, qu’Ismaïl Omar Guelleh (IOG) a confirmé, le 8 novembre, qu’il était candidat à l’élection présidentielle programmée pour avril 2026 à Djibouti. Une annonce faite quelques jours après que le Parlement eut supprimé de la Constitution, à l’issue d’un vote unanime et sans surprise, toute notion de limite d’âge (elle avait été fixée à 75 ans, en 2010) pour les postulants à la magistrature suprême. Débarrassé du seul obstacle qui se dressait devant lui, le chef de l’État sortant a la voie libre pour tenter de se succéder à lui-même.
À 77 ans, IOG, au pouvoir depuis 1999, va donc demander une sixième fois à ses compatriotes de lui renouveler leur confiance. C’était tout l’objet du discours qu’il a prononcé dans la capitale, lors du Congrès extraordinaire organisé par son parti, le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), et qui regroupait pour l’occasion les différentes formations réunies au sein de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP).
En le désignant officiellement candidat, les milliers de délégués venus de tout le pays ont fait « le choix de la confiance », a affirmé le chef de l’État. Une confiance qui augure, selon lui, de celle que ne devrait pas manquer de lui accorder la grande majorité des Djiboutiens le jour du vote.
Médiations dans la Corne de l’Afrique
Au regard de son bilan diplomatique et économique, cette hypothèse semble probable. Dans une région sous très haute tension, où une série de crises politiques, sécuritaires ou humanitaires affectent la plupart de ses voisins, Djibouti fait en effet figure d’îlot de stabilité.
Forte de l’assurance-vie que lui procure la présence de plusieurs bases militaires étrangères (française, américaine, chinoise, japonaise, italienne…), la République djiboutienne, qui vit cette situation de manière décomplexée, s’est forgée une réputation de géant diplomatique sans commune mesure avec sa superficie ou la taille de sa population.
Ces dernières années, ses diplomates ont été en première ligne dans les médiations engagées au Soudan, en Éthiopie ou encore en Somalie, avec à chaque fois aux avant-postes un chef de l’État qui, au fil du temps, a su tisser des liens étroits avec ses homologues, à l’exception de l’Érythréen Issayas Afewerki. Un activisme récompensé, en février dernier, par l’élection de Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères de son pays pendant dix-neuf années, à la présidence de la Commission de l’Union africaine.
Arrivé au pouvoir alors qu’une guerre civile divisait son pays en deux depuis 1991, IOG n’a cessé d’œuvrer pour ramener la paix chez lui – paix consacrée par l’accord du 12 mai 2001 et qu’il a préservée depuis. Il n’a d’ailleurs pas omis de mentionner cette période troublée dans son discours du 8 novembre, soulignant « l’identité, les principes et les valeurs d’une nation qui sait rester unie devant l’adversité ».
Djibouti face aux inégalités sociales
L’autre réussite du président Guelleh, de nature à lui assurer la confiance des électeurs, est sans conteste le développement économique du pays, dont le PIB a quintuplé depuis 2000. Tirée par l’activité des ports, en plein essor depuis une décennie, la croissance dépasse chaque année 5 %. Elle a atteint 6,5 % en 2024, et a bénéficié de flux d’investissements étrangers continus malgré un contexte régional difficile. L’îlot de stabilité djiboutien affiche même une certaine prospérité dans la Corne de l’Afrique: son revenu par habitant est supérieur à celui des Éthiopiens, Érythréens et Somaliens réunis.
Cette hausse du PIB par tête n’a pu néanmoins combler des inégalités persistantes dans l’accès à l’emploi, au logement ou aux infrastructures de base. Beaucoup reste à faire sur le plan social, notamment à l’intention de cette « génération IOG » au nom de laquelle Ismaïl Omar Guelleh dit se présenter depuis 2021.
Cette fois encore, le président assure avoir entendu « cette clameur diffuse qui montait » et dont les attentes devraient figurer en tête de ses promesses de campagne, aux côtés de la diversification de l’économie et de la décentralisation.
Incontesté et incontestable dans son camp, Ismaïl Omar Guelleh a des chances de l’être tout autant dans les urnes. Face à la machine électorale bien rodée de l’UMP, l’opposition, qu’elle soit reconnue ou non, n’a rien à proposer. « Elle est en hivernage électoral », estime un observateur djiboutien. Des rumeurs font état d’un éventuel boycott, qui n’a jamais fait ses preuves par le passé. Seul s’agite, depuis la France, Alexis Mohamed, un ancien chargé de mission à la présidence, qui enflamme depuis plusieurs semaines les réseaux sociaux contre IOG comme il le faisait quelques mois plus tôt en sa faveur sur les plateaux télévisés. Pas de quoi, a priori, faire vaciller le chef.
Invoquant son expérience et son sens des responsabilités, IOG se propose d’aider cette fois encore ses compatriotes à traverser les temps incertains qui s’annoncent. « En simple citoyen », a précisé celui qui aura largement contribué à écrire l’histoire de son pays, indépendant depuis moins de cinquante années.
À l’heure où se posera la question d’une succession que nul ne semble vouloir envisager, les Djiboutiens auront-ils peur du vide? Les ambitieux qui se sont trop approchés de la flamme du pouvoir, y compris au sein de l’entourage d’IOG, se sont jusque-là brûlés les ailes. Comme les autres, ils attendent que le chef désigne un dauphin. Privilège d’un président qui aura su, au fil de ses mandats, devenir « père de la nation », au point d’apparaître aujourd’hui comme la seule alternative à lui-même.
Source: JeuneAfrique
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