Africa-Press – Djibouti. À l’heure où Djibouti s’apprête à célébrer son 48e anniversaire d’indépendance, les rues se parent de drapeaux, les cœurs battent au rythme patriotique, pensons aussi aux figures emblématiques qui ont façonné le destin du pays. Parmi elles, le nom d’Ali Ahmed Oudoum, affectueusement appelé Ali Oudoum, résonne avec force et dignité. Un homme qui fut le pionnier de la culture et de la lutte pour la souveraineté nationale ou tout simplement l’un des premiers bâtisseurs de la nation djiboutienne. Un homme qui a chanté pour son peuple, rêvé pour sa nation et agi pour sa liberté.
Un parcours singulier: entre tradition et modernité
Né en 1913 à Obock, Ali Oudoum suit d’abord une éducation coranique avant de rejoindre l’école coloniale où il apprend le français. Très jeune, il est bercé par les chants et les poèmes traditionnels qu’il mémorise et finit par composer lui-même.
Installé, très jeune à Djibouti-ville, il s’impose rapidement comme une figure incontournable grâce à sa maîtrise de toutes les langues nationales, son intelligence vive, sa culture et son engagement citoyen.
Pionnier de la chanson moderne en langue Afar
Ali Oudoum est surtout connu comme pionnier de la modernisation de la chanson en langue afar dans les années 1950. Grâce à son talent et à sa vision artistique, il a su faire évoluer les traditions musicales en y intégrant des influences contemporaines, tout en préservant l’âme de la culture afare.
C’est à l’actuelle « place Harbi », jadis appelée «place Rimbaud », qu’il se produisait avec sa troupe musicale, entouré de jeunes artistes et accompagné par des musiciens de la communauté arabe qu’il avait mobilisés lui-même.
C’est là, à la première station radio du pays, qu’il a su faire découvrir au public djiboutien les premières chansons afares mises en musique. En alliant les sonorités traditionnelles avec des instruments musicaux ou en créant parfois de nouvelles compositions, contribuant ainsi grandement à la valorisation et à la diffusion de la culture afare.
Chanteur, compositeur et poète, c’est également à partir de là qu’il a pu faire entendre au grand public, pour la première fois, sa voix engagée, mêlant rythmes traditionnels et inspirations modernes, marquant le début d’un parcours artistique et militant remarquable.
Malheureusement, il n’existe aujourd’hui aucun enregistrement original des chansons interprétées par Ali Oudoum pour la simple raison que la première station radio du pays ne disposait pas de moyens d’enregistrement et que les productions étaient diffusées en direct. Toutefois, son héritage n’a pas été complètement perdu: des artistes de la génération suivante, inspirés par son œuvre, ont repris certains de ses morceaux. C’est particulièrement le cas de Haroun Ali Cheik, qui a interprété des titres comme « Kimbiro qari labkal laa alay », « Daaba daabi xalaata celta kulluuca », ou encore « Ayro ku dabqa », perpétuant ainsi l’héritage musical du pionnier de la chanson afar moderne.
Doté des qualités d’orateur, Ali Ahmed Oudoum parvient vite à s’intégrer dans l’administration coloniale, tout en restant proche des aspirations de son peuple.
Une voix engagée dans la sphère politique
Parallèlement à sa carrière artistique, Ali Oudoum s’engage très tôt dans la vie politique. Il est membre fondateur du Club de la Jeunesse Somalie et Danakali, regroupement de figures marquantes comme Hanfaré Hassan Hanfaré, Mahamoud Harbi ou encore Hassan Gouled Aptidon. Son militantisme discret mais déterminé a fait de lui une voix respectée au sein des mouvements nationalistes. Il est élu au Conseil représentatif et à l’Assemblée territoriale de la Côte Française des Somalis (CFS) en 1957.
Mais, indépendantiste dans l’âme, Ali Oudoum ne se retrouve pas dans les mouvances politiques de l’intérieur. C’est pourquoi il démissionne en 1963 pour se consacrer pleinement à la culture, qu’il considère comme un outil de conscientisation populaire.
L’art au service de la lutte
À une époque marquée par la censure, Ali Oudoum transforme la chanson en arme pacifique au service de l’émancipation de son peuple. Il faire preuve d’intelligence et de créativité pour dissimuler ses messages patriotiques à travers un langage métaphorique, subtil et symbolique, permettant à son public de saisir le sens profond sans éveiller les soupçons des autorités coloniales. Cet homme visionnaire a su éveiller, les consciences, raviver l’esprit patriotique à travers sa musique qui devient le reflet des aspirations du peuple djiboutien: amour de la patrie, unité nationale, aspiration à l’indépendance. Il a ouvert la voie à une nouvelle génération d’artistes engagés, tout en préservant l’âme du patrimoine musical djiboutien.
Indépendantiste de la première heure
Homme intègre et très sociable, Ali Oudoum était proche de milieux militants favorables à l’indépendance et a soutenu leurs revendications à travers ses textes et sa notoriété. Dès les premières heures de la lutte pour la souveraineté, il s’est investi avec conviction dans le combat pour la libération du pays. Il exprimait ses convictions aussi bien dans les cercles militants qu’à travers la musique, qu’il a transformée en véhicule de conscience nationale.
Exil et militantisme en Somalie
Sous la présidence de Mohamed Siad Barre, la Somalie, qui a joué un rôle prépondérant dans la lutte pour l’indépendance de Djibouti servait de terre d’accueil et de soutien pour les leaders indépendantistes et un refuge ou une arrière base pour les mouvements indépendantistes. Plusieurs personnalités politiques engagées dans la lutte pour l’indépendance nationale y ont séjourné. C’est dans cette logique qu’Ali Oudoum, poussé à l’exil, quitte le territoire, dans les années 1970, pour rejoindre la République Démocratique de Somalie et regagner le rang de l’opposition qui milite en faveur de l’indépendance immédiate. Accueilli par le président Mohamed Siad Barre, il y représente la communauté afar et continue son combat en animant des émissions de propagande en afar à Radio-Mogadiscio, appelant à l’indépendance de la T.F.A.I.
Par ailleurs, son séjour dans ce pays renforce aussi son expression artistique, nourrie de nouvelles sonorités et techniques musicales qui l’ont poussé à moderniser davantage la musique djiboutienne.
Initiateur de la culture du palmier dattier à Obock
Il faut enfin rappeler que Ali Ahmed Oudoum, a également laissé une empreinte durable à Obock, en initiant la création de jardins de palmiers dattiers, contribuant ainsi au développement agricole local et à la valorisation des ressources naturelles de la région. En introduisant la culture du palmier dattier, adaptée aux conditions climatiques arides d’Obock, Ali Ahmed Oudoum a contribué à diversifier l’agriculture locale. Au-delà de sa dimension économique, ce projet, visait à valoriser les ressources naturelles locales et à promouvoir l’autosuffisance alimentaire dans la région.
Héritage et reconnaissance
Paix à votre âme, Ali Ahmed Oudoum s’éteint en 1988 à Djibouti. Son œuvre, son intégrité et son engagement font de lui une figure majeure de l’histoire djiboutienne. Il fut un homme aux mille facettes qui a laissé une empreinte durable dans la mémoire collective. Une figure emblématique de l’histoire djiboutienne, reconnu pour son intégrité, son engagement politique et son dévouement à la cause de l’indépendance.
En hommage à son engagement, Ali Ahmed Oudoum a été honoré de diverses façons après sa disparition. En 2005, pour immortaliser son visage, la Banque Centrale de Djibouti illustre son portrait sur le billet de 1 000 francs, symbolisant ainsi la reconnaissance nationale pour son apport culturel et patriotique.
Le 6 mai dernier, un parc de loisirs, offrant un espace de détente, un restaurant et une aire de jeux pour enfants, inauguré à Obock a été dédié en son nom, perpétuant ainsi son héritage dans le quotidien des citoyens.
Bref, rendre hommage à Ali Oudoum, c’est rappeler que la lutte pour l’indépendance n’a pas été qu’une affaire de discours politiques ou de combats diplomatiques mais qu’elle s’est jouée aussi sur le terrain de la culture, de l’art, de la parole libre et de la musique engagée. Ali Ahmed Oudoum a su incarner, avec dignité et génie, cette dimension fondamentale de notre histoire.
Repose en paix, Ali Oudoum. La Nation vous salue et vous remercie pour votre combat, vos chants, et votre amour indéfectible pour votre patrie.
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