Africa-Press – Djibouti. Avec ses paysages lunaires, ses cheminées de calcaire fumantes, ses couchers de soleil irréels et sa faune surprenante, le lac Abbé, situé à la frontière entre Djibouti et l’Éthiopie, est l’un des sites naturels les plus spectaculaires et mystérieux de la Corne de l’Afrique. Reflet d’une richesse géologique rare et d’un patrimoine culturel vivant, ce joyau touristique offre à ses visiteurs un voyage hors du temps, entre science, silence et fascination.
Perché à l’extrémité occidentale de la plaine de Gobaad, dans la région de Dikhil, le lac Abbé est l’un des sites les plus étonnants de Djibouti. Né d’un ancien épisode de rifting datant d’environ 6 000 ans, ce lac salé de 24 km de long est le témoin vivant de l’activité tectonique intense qui anime la région. Situé au carrefour de trois plaques tectoniques – africaine, somalienne et arabique – le site est marqué par la présence d’un graben, une faille géologique ayant provoqué l’effondrement de la croûte terrestre.
De cet effondrement est née une dépression parcourue de fractures profondes, à travers lesquelles ont émergé des sources chaudes fortement chargées en calcium. En se mélangeant à l’eau froide du lac, ces sources ont formé, au fil des millénaires, des concrétions calcaires – les fameuses cheminées hydrothermales – dont certaines culminent aujourd’hui à plus de 50 mètres de haut. La plus imposante d’entre elles, connue sous le nom d’As Bahalto, atteint près de 60 mètres de hauteur pour 90 mètres de diamètre. Certaines de ces structures présentent une texture stromatolithique, rappelant des formations similaires retrouvées… au fond des océans.
Les visiteurs qui arrivent au lac Abbé après plusieurs heures de piste sont frappés d’émerveillement. Le paysage, d’apparence désertique et hostile, révèle un monde minéral d’une beauté fascinante. Des centaines de cheminées de travertin surgissent de la terre comme les vestiges d’une ville antique pétrifiée. Des fumerolles s’échappent encore de certaines d’entre elles, dégageant des vapeurs soufrées qui donnent au site une allure d’apocalypse silencieuse. Ce n’est pas un hasard si une rumeur persistante prétend que le film La Planète des Singes (1968) y aurait été tourné. Si cela est faux, l’illusion, elle, est parfaite.
Lors du lever ou du coucher du soleil, les teintes orangées du ciel se reflètent sur les cheminées, projetant de longues ombres mouvantes qui confèrent au lieu une atmosphère presque mystique. En ces instants, le lac Abbé devient un théâtre de lumière et de silence, un monde figé dans le temps.
Sous ses apparences stériles, le lac Abbé abrite en réalité une biodiversité étonnante. Les marais salés, les sources chaudes et les rares oasis créent des microclimats propices au développement de la vie. Plusieurs espèces animales y trouvent refuge ou y passent lors de leurs migrations.
Une biodiversité unique dans un équilibre harmonieux
Les berges du lac sont notamment fréquentées par des flamants roses, des ibis, des pélicans et divers autres oiseaux aquatiques, qui offrent un spectacle majestueux lorsqu’ils s’envolent en groupe. La patience et la discrétion sont de mise pour les photographier, tant ils sont sensibles au moindre bruit.
Les terres environnantes sont quant à elles peuplées de gazelles de Pelzen, phacochères, chacals, renards, hyènes rayées et même de fennecs, ce petit renard du désert aux grandes oreilles. Les ânes et dromadaires domestiques, fidèles compagnons des nomades, croisent régulièrement ces espèces dans un équilibre naturel étonnamment harmonieux. Au-delà de son attrait géologique et écologique, le lac Abbé est aussi une terre de vie humaine. Environ quarante familles de nomades Afars vivent dans ses environs immédiats. Leurs activités pastorales, notamment l’élevage de moutons, de chèvres, d’ânes et de dromadaires, dépendent directement des zones de pâturage situées autour du lac.
Chaque matin, dès les premiers rayons du soleil, on peut observer les caravanes de bétail s’éloigner en file indienne vers les plaines herbeuses, sous la surveillance attentive des bergers. Les ânes, souvent laissés sans surveillance, empruntent invariablement le même trajet, dans une routine ancestrale. Ces scènes de vie quotidienne, authentiques et empreintes de sérénité, font partie intégrante de l’expérience du voyage.
Les visiteurs peuvent également passer la nuit dans des campements traditionnels, sous des tentes afar, où leur sont servis des plats locaux autour d’un feu. C’est l’occasion d’échanger avec les habitants, d’écouter leurs légendes, souvent empreintes de spiritualité, et de mieux comprendre la résilience de ces communautés face aux conditions extrêmes du désert. Le lac Abbé ne se laisse pas approcher facilement. Depuis Djibouti-ville, il faut compter près de 5 heures de route, dont 80 km sur une piste non goudronnée traversant les villages d’As Eyla et Koutabouya. Un véhicule 4×4 est indispensable pour affronter les terrains rocailleux, sablonneux et parfois marécageux, surtout après la saison des pluies.
La présence d’un guide expérimenté est vivement recommandée, non seulement pour éviter les zones instables ou dangereuses (notamment autour des sources bouillantes, dont la température peut atteindre jusqu’à 200°C), mais aussi pour comprendre l’histoire géologique du site, repérer les animaux, et interagir respectueusement avec les communautés locales.
Un joyau touristique menacé par les changements climatiques
Le lac Abbé n’est pas seulement magnifique: il est fragile. Au fil des siècles, sa superficie a considérablement diminué. Il y a 9 000 ans, il recouvrait toute la plaine de Gobaad. En 1939, il s’étendait encore sur 550 km2. Aujourd’hui, sa surface a été réduite à moins de 150 km2, en grande partie à cause de la détérioration du débit de la rivière Awash, détournée en Éthiopie pour l’irrigation des cultures de coton. Cette baisse des eaux menace non seulement l’équilibre écologique du lac, mais aussi la survie des communautés nomades et des espèces animales qui en dépendent.
Des initiatives de sensibilisation à l’environnement, de surveillance hydrologique et de coopération transfrontalière devraient être envisagées pour préserver ce site exceptionnel. L’Agence Nationale du Tourisme, en collaboration avec les autorités locales et des ONG environnementales, étudie actuellement des mécanismes de gestion durable, incluant la régulation du tourisme, l’installation d’infrastructures écologiques et la formation de guides locaux. Dans un contexte mondial où les voyageurs cherchent de plus en plus à fuir les foules et à vivre des expériences uniques, le lac Abbé représente un potentiel immense pour Djibouti. Il peut devenir une destination emblématique du tourisme de nature, d’aventure et de découverte scientifique.
Le positionner dans une offre touristique globale, en le combinant avec d’autres sites d’exception comme le lac Assal, les montagnes du Goda, ou encore le Golfe de Tadjourah pour la plongée sous-marine, permettrait de construire une image forte de Djibouti comme destination de choix pour les amateurs de biodiversité, de géologie et de culture.
Le lac Abbé n’est pas un lieu ordinaire. C’est un site spectaculaire, à la croisée des sciences de la Terre, de la vie et de l’humanité. Un lieu de contraste et de complémentarité: entre feu et eau, minéral et vivant, tradition et modernité. À l’heure où le tourisme mondial s’interroge sur sa durabilité et son sens, le lac Abbé offre une réponse claire: voyager, c’est aussi apprendre, respecter et transmettre.
Préserver ce joyau naturel tout en le rendant accessible à ceux qui le méritent – ceux qui viennent en conscience, en humilité et en admiration – tel est l’enjeu des années à venir pour Djibouti. Car ce que le lac Abbé donne, il faut aussi savoir le protéger.
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