Corne de l’Afrique : La montée égyptienne du Président Abdel Fattah Al-Sissi

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Corne de l'Afrique : La montée égyptienne du Président Abdel Fattah Al-Sissi
Corne de l'Afrique : La montée égyptienne du Président Abdel Fattah Al-Sissi

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Djibouti. En revenant aux manuscrits des historiens, nous découvrons que pendant des milliers d’années, l’Egypte a été la puissance dominatrice de la Corne de l’Afrique dont l’un des grands atouts a toujours été « le Nil ».

En plus, le pays des Pharaons a toujours eu le véto sur les eaux du Nil même si ses voisins le Soudan et l’Ethiopie ne semblaient pas toujours d’accord.

L’Egypte, en 1959, a fait signer à ses voisins un traité sur le partage des eaux du fleuve tout en contrôlant tous les plans le concernant, et ce, jusqu’en 2010, et en Avril 2011, l’Ethiopie a lancé un projet pharaonique et stratégique de construction d’un nouveau barrage baptisé « Barrage de la Renaissance » sur les eaux du Nil bleu. Ce projet, longtemps controversé, est devenu une source de nouvelles confrontations avec l’Egypte, le Soudan et l’Erythrée.

Rapports de force

Depuis le lancement du projet du barrage de la Renaissance, les tensions n’ont fait que se multiplier malgré un constat d’une hydro-diplomatie qui se joue par les acteurs de cette confrontation. L’Ethiopie a bouché « ses oreilles » et a bouclé la réalisation de ce barrage jusqu’à terme, même si le remplissage de ce barrage a été entouré de la plus grande problématique entre l’Egypte et l’Ethiopie.

Alternatives et diplomatie : Retour sur la visite de Sissi à Djibouti

Dans le souci de contrecarrer les gros problèmes qui risquent d’envenimer les relations de voisinage dans cette région du continent, nous revenons à la visite effectuée par le président Abdel Fattah Al-Sissi à Djibouti il y a prés d’un an, précisément le 27 mai 2021.

Nous constatons d’ailleurs que c’est la première visite du genre depuis 1977, pour un président égyptien, qui s’inscrit dans un réseau de relations et d’alliances régionales que l’Égypte a construit au cours des sept dernières années.

Un tête à tête qui en dira long sur la situation dans la Corne de l’Afrique

A noter que Djibouti est situé près du détroit de Bab el-Mandeb, qui est une porte d’entrée du canal de Suez, sur les routes maritimes entre l’océan Indien et la Méditerranée, ce qui en fait un passage maritime majeur ainsi qu’une route commerciale est-ouest majeure également. Avec ce mouvement conscient de l’orientation étrangère de l’Égypte, le président Sissi a ravivé les liens géopolitiques imposés par les facteurs historiques et géographiques.

Rappelons que cette importante voie maritime servait de point de rencontre stratégique entre l’Afrique et l’Asie il y a plus de trois mille ans, par les anciens Égyptiens.

Sur le plan géographique et politique, Djibouti peut être considéré comme un « petit État » faible et inefficace dans les systèmes régional et international. C’est le plus petit pays de la Corne de l’Afrique, presque dépourvu de ressources naturelles, entouré de grands voisins et situé de par sa situation géographique stratégique sur les principales routes maritimes du monde. Cependant, Djibouti, oublié par les Arabes depuis que leur union (OUA) est entrée au milieu des années 70 du siècle dernier, comme s’il s’était enfoncé dans les profondeurs de l’océan dans leur mémoire collective, a su transformer sa position unique en un fournisseur et en un label remarquable et à la fois rentable. Certains peuvent penser que l’importance du rapprochement égypto-djiboutien ne dépasse pas les aspects symboliques, compte tenu de la profondeur des liens commerciaux entre celui-ci et l’Éthiopie, un pays enclavé de 115 millions d’habitants (2020) qui était devenu le principal utilisateur du port de Djibouti, par lequel transitent environ 70 % de ses échanges.

Cependant, les changements régionaux dans la Corne de l’Afrique depuis l’avènement du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed sont devenus un défi pour le modèle djiboutien. En effet, on constate une baisse de l’influence régionale de Djibouti depuis le réchauffement des relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée en 2018. Aussi, le développement des relations de coopération entre Addis-Abeba et Asmara pourrait conduire à l’exploration d’autres alternatives pour l’accès de l’Éthiopie à la me, comme les ports de Berbera et d’Assab.

Cela a été clairement démontré par l’annonce de l’Organisation de coopération dans la Corne de l’Afrique en janvier 2020, entre l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie. Ainsi, la relation avec l’Éthiopie en tant que puissance régionale est une arme à double tranchant :

• elle peut être source de dynamisme et d’efficacité pour Djibouti,
• mais en même temps elle peut être un facteur de risque pour l’avenir.

Et ceci incitera probablement Djibouti à diversifier ses partenariats étrangers et à s’appuyer sur les liens historiques et culturels qu’il partage avec l’Égypte au nord.

Comme nous l’avons déjà mentionné, Djibouti est une station importante pour les navires et une base stratégique pour les armées occidentales et étrangères, ce qui en fait un pilier de la sécurité de la Corne de l’Afrique. Il est donc certain que le partenariat avec l’Egypte touchera l’Ethiopie, l’Erythrée, la Somalie et le Yémen, ce qui signifie le retour du rapport de force régional en faveur de l’Egypte.

Qu’envisage l’Egypte pour construire de nouvelles alliances régionales ?

Il est clair que le mouvement extérieur de l’Égypte a redessiné les limites de son rôle régional pour redevenir une force efficace et influente dans le système international, depuis que l’Éthiopie avait entamé la deuxième phase du remplissage du barrage de la Renaissance afin d’imposer un fait accompli.

Barrage de la renaissance en Ethiopie

Dans ce contexte, l’Égypte a adhéré aux constantes de sa position, qui insiste sur la nécessité de parvenir à un accord global et contraignant garantissant les droits des pays en aval. Ce n’est un secret pour personne que l’un des objectifs les plus importants du mouvement égyptien dans son cadre régional est de souligner la centralité du rôle égyptien dans la pose des fondations de la stabilité et de la paix dans la région. Cela s’est traduit par le succès de la diplomatie égyptienne dans la conclusion d’accords sécuritaires et militaires avec un certain nombre de pays du bassin du Nil (Soudan, Ouganda, Kenya et Burundi), en plus de Djibouti.

Il importe d’évoquer, parallèlement, la montée égyptienne qui s’est manifestée en Méditerranée orientale et en Libye, où elle a pu instaurer la paix. Dans le même contexte d’émergence du rôle régional de l’Égypte, il faut rappeler l’initiative des dirigeants égyptiens qui ont principalement aidé à négocier un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, en mai 2021.

On est donc sur le point de redessiner la carte des interactions stratégiques dans la région élargie qui comprend :
• le bassin du Nil
• la Méditerranée orientale
• et le Moyen-Orient

A l’heure où d’autres puissances régionales, comme l’Ethiopie, la Turquie et l’Iran, encouragent la propagation de l’extrémisme et de l’instabilité, l’Egypte renaissante se situe aux limites de son rôle traditionnel de facteur d’équilibre et de stabilité régionale. C’est peut-être ce qui a fait la différence dans l’attitude de l’administration du président américain Joe Biden envers l’Égypte en tant que partenaire stratégique fiable et fiable.

Coordination sécuritaire et militaire de l’Egypte avec le Soudan

L’Égypte et le Soudan avaient considéré le plan de l’Éthiopie, depuis le deuxième remplissage du réservoir du barrage de la Renaissance en 2021, comme une grave menace pour leur sécurité nationale. C’est dans ce sens que le pays des Pharaons avait soutenu l’invitation du Soudan adressée aux États-Unis, aux Nations Unies, à l’Union européenne et à l’Union africaine pour contribuer à parvenir à un accord juridiquement contraignant.

Cependant, l’Éthiopie, comme d’habitude, a rejeté cette demande, ce qui a poussé le président Sissi, à plus d’une occasion, à avertir que la part de l’Égypte dans les eaux du Nil est vitale et « intouchable » et qu’il y aura une « instabilité inimaginable » dans la région si l’Ethiopie remplissait d’eau le réservoir du barrage éthiopien sans accord international contraignant.

C’est pourquoi le rythme de la coordination sécuritaire entre l’Égypte et le Soudan s’était accéléré, alors que les forces soudanaises et égyptiennes avait entamé une manœuvre conjointe appelée « Protecteurs du Nil », dans le but de « renforcer les relations bilatérales et d’unifier les méthodes pour faire face aux menaces que les deux pays s’attendent à ce qu’ils y soient confrontés ».

En revenant un peu en arrière, on constate qu’en novembre 2020, des commandos et des forces aériennes égyptiennes et soudanaises ont mené des exercices appelés « Les Aigles du Nile-1 », les premières manœuvres militaires conjointes depuis le renversement du président soudanais Omar al-Bashir en 2019.

Tout cela confirme la profondeur et la force du concept d’unité de la vallée du Nil entre l’Egypte et le Soudan, qui restitue une fois de plus l’équilibre des forces naturelles dans la région du bassin du Nil, et cela porte peut-être des indications non divulguées sur les dangers liés aux crises de l’eau et des frontières dans la région.

En conclusion, peut-être que le silence dans le réseau égyptien de relations et d’alliances dans le bassin du Nil et la Corne de l’Afrique concerne des questions qui vont au-delà de la crise du barrage de la Renaissance pour définir le rôle et la position d’une Égypte émergente dans sa portée régionale. Les questions africaines ont été au cœur de la pensée stratégique égyptienne à travers les âges, même si le mouvement de la realpolitik ne l’a pas exprimé parfois pour de nombreuses considérations.

L’Égypte, qui a dirigé et tendu une main secourable aux mouvements de libération en Afrique, n’a jamais abandonné ses frères africains. L’Égypte a revécu la construction du haut barrage d’Assouan en construisant un barrage similaire en Tanzanie sur la rivière Rufiji. Le barrage Julius Nyerere et la centrale hydroélectrique associée seront le plus grand barrage de Tanzanie. Par conséquent, si le mouvement éthiopien est motivé par des mythes d’hégémonie et de contrôle qui reflètent l’idée d’un État impérial basé sur l’expansion, l’Égypte vise quant à elle dans son mouvement à rétablir l’équilibre et la stabilité dans la région, en renforçant les efforts d’intégration économique et la coopération en matière de sécurité.

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