Crise au Yémen : comment Djibouti est devenu un havre pour les réfugiés

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Crise au Yémen : comment Djibouti est devenu un havre pour les réfugiés
Crise au Yémen : comment Djibouti est devenu un havre pour les réfugiés

Africa-PressDjibouti. Depuis avril 2015, des milliers de Yéménites ont franchi le détroit de Bab al-Mandeb pour se mettre à l’abri sur l’autre rive, voire y refaire leur vie. Reportage.

À une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau au nord de la ville de Djibouti, de l’autre côté du golfe de Tadjoura, se dresse celle d’Obock, 40 000 habitants. Encore quelques kilomètres et de grands panneaux annoncent le camp de Markazi, qui accueille, depuis avril 2015, les réfugiés yéménites qui arrivent à Djibouti. À l’entrée, la mosquée et l’école. Un peu plus loin s’alignent des rangées de petits pavillons en préfabriqué, alimentés en électricité par des générateurs qui tournent au fioul. Des constructions flambant neuves, climatisées onze heures par jour et offertes par l’ONG saoudienne King Salman. Elles doivent, à terme, remplacer les tentes du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), peu adaptées au climat venteux et à la chaleur de Djibouti.

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À LIRE – A Djibouti, les réfugiés yéménites fuient la terreur des raids aériens Cette générosité laisse un goût amer à certains arrivants, car Riyad est aussi à la tête de la coalition qui bombarde sans trêve le Yémen. Une enquête menée entre décembre 2017 et mai 2018 par l’ONG Global Protection Cluster a révélé que près de 80 % des victimes civiles avaient été tuées par des frappes aériennes de la coalition arabe.

« Certains nous disent : “C’est pour se racheter que l’Arabie saoudite nous offre tout ça”, admet Asma Moustapha Alwan, administratrice du camp depuis mai 2017. Mais cela ne va pas plus loin : en général, les gens ici évitent de parler politique. » « Si l’Arabie saoudite bombarde le Yémen, c’est bien parce que le pouvoir yéménite le lui demande, croit pouvoir dire Abdoulagani Ali Ibrahim, lui-même réfugié et directeur de l’école établie au sein du camp. Ce n’est pas à Riyad qu’il faut en vouloir. » D’autant que l’Arabie saoudite apporte depuis des années une aide financière à Djibouti pour freiner le flux des migrants en provenance de Somalie, d’Éthiopie et d’Érythrée, qui tentent constamment de rallier les pays du Golfe (voir encadré).

Mille deux cents Yéménites, dont 457 enfants, vivent aujourd’hui dans le camp de Markazi. En 2016, ils étaient au moins 2 800. Une partie des réfugiés, notamment les hommes, ont depuis préféré tenter leur chance dans les zones urbaines, en ouvrant des ateliers, des salons de coiffure, des restaurants… Certains ont aussi choisi de retourner au Yémen, malgré la persistance des bombardements. C’est le cas de la mère et des frères d’Abdoul Majil Mohamed Wail. « Ils ont décidé de rentrer, mais il n’y a pas de boulot, pas de salaire là-bas, alors qu’il y a tellement de choses à faire ici ! J’envoie de l’argent à ma mère, qui est ingénieur dans la fonction publique mais dont le salaire n’est plus versé. Je comprends qu’elle ait voulu rentrer, elle est très âgée, mais moi j’ai une autre vie à construire ici », explique le jeune homme de 32 ans, bien installé dans sa maisonnette climatisée.

Ingénieur frigoriste, il a été l’un des ­premiers à débarquer au camp, les mains vides, un jour d’avril 2015 : « J’ai assez vite obtenu un contrat de maintenance pour les appareils électroménagers du camp. » L’arrivée des 300 nouvelles habitations et de leurs climatiseurs est une aubaine. Abdoul Majil a aussi monté, à quelques kilomètres du camp, une petite ferme sur un terrain qui lui a été donné. Pour mener à bien toutes ces activités, il a ­embauché 10 de ses camarades de Markazi et 5 ouvriers locaux.

Laza Yahya Ali, elle, trouve le temps long. À 19 ans, elle a l’impression de tourner en rond depuis qu’elle a achevé sa scolarité, l’an dernier – les jeunes réfugiés continuent de suivre à Markazi le programme scolaire yéménite, en arabe, enseigné par des professeurs eux-mêmes réfugiés. « Je voudrais être dentiste, mais il ne m’est pas possible de fréquenter l’université de Djibouti, où l’enseignement ne se fait qu’en français. Alors, même si les gens ici sont très gentils, ­j’espère qu’on ne restera pas. Je veux avoir un futur, je veux réussir et voir ma mère fière de moi », confie la jeune femme au hijab coloré, qui a fui son pays avec sa famille, une semaine après que son père a trouvé la mort à Sanaa. « Pour certains, comme cette jeune fille, l’objectif est la réinstallation à l’étranger [que décidera le HCR]. D’autres construisent leur vie à Djibouti, en attendant un éventuel retour », explique Asma Moustapha Alwan.

Une mère lave son enfant à Aslam, au Yémen, en août 2018. Au moins 400 000 enfants sont malnutris du fait de la guerre dans le pays. © Hammadi Issa/AP/SIPA

Si des bateaux chargés de réfugiés yéménites continuent à arriver régulièrement à Obock, le rythme s’est considérablement ralenti ces derniers mois. « Les nouveaux arrivants sont moins perdus que ceux qui sont arrivés au début de la guerre, précise l’administratrice du camp. Souvent, ils ont des proches qui sont déjà installés, ils savent où aller. Parfois, on est même prévenus de leur arrivée. » On est loin des 200 à 300 passagers qu’amenaient les bateaux de commerçants au plus fort de la crise. 19 636 Yéménites sont arrivés à Djibouti entre le 1er avril 2015 et le 31 octobre 2017, selon le HCR. Le petit pays de la Corne de l’Afrique est leur deuxième terre d’accueil, après l’Arabie saoudite, qui a vu arriver 30 000 Yéménites sur la même période.

Tradition migratoire Abdoulagani Ali Ibrahim, directeur de l’école du camp, a quitté Taïzz (sud-ouest du Yémen) le 26 septembre 2015, avec femme, enfants, parents et grand-mère… « Nous étions 11. Aucun de nous ne voulait partir, mais la situation était devenue trop critique. Au port de Dhubab, le propriétaire d’un boutre ne nous a rien demandé pour la traversée. Il y avait un grand élan de solidarité, il fallait sauver sa vie. » « Avant de généraliser son accueil, Djibouti demandait aux nouveaux arrivants de disposer de garants sur place », se souvient Omar Hamdani, un restaurateur yéménite dont la famille est installée là depuis trois générations. Il a depuis longtemps perdu le compte des fiches de garant qu’il a signées pour des inconnus.

Comme Omar, de nombreux Djiboutiens ont des origines yéménites : les deux pays ne sont séparés par le golfe d’Aden que de quelques dizaines de kilomètres. Aussi, les communautés de pêcheurs circulent depuis des siècles d’une rive à l’autre. Carrefour entre l’Afrique et le Moyen-Orient, Obock a été une plaque tournante du commerce des armes et des esclaves. C’est surtout depuis longtemps la porte d’entrée de la Corne pour les Yéménites, arrivés, à l’époque de la colonisation française déjà, pour servir de main-d’œuvre. Ils ne sont d’ailleurs pas vraiment considérés comme des étrangers, dans cette ville si éloignée de la capitale. Différentes générations de Yéménites y ont prospéré, avant d’aller voir à Djibouti-ville.

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À LIRE – Ismaïl Omar Guelleh : « Djibouti n’est pas à vendre » Côté djiboutien, on reconnaît aisément que l’arrivée de la nouvelle vague de migrants contribue au développement économique de la ville et de la sous-région. Et redonne un peu de vie… « Il y a eu de nombreux mariages entre des hommes d’Obock et des réfugiées, ça a d’ailleurs fini par provoquer quelques tensions avec les femmes de Djibouti ! », sourit Asma Moustapha Alwan, qui a elle aussi des origines yéménites du côté de son père.

Les Yéménites restent largement minoritaires par rapport à tous les réfugiés accueillis à Djibouti. Éthiopiens, Érythréens et Somaliens y vivent, parfois depuis la fin des années 1970, au moment où le pays proclamait son indépendance (1977). Mohamed Ali Kamil, secrétaire exécutif adjoint de l’Office national d’assistance aux réfugiés et sinistrés (Onars), veut croire que la situation tend à s’améliorer : « Avec les progrès dans les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, on recense moins d’arrivées ces derniers mois, même si l’afflux n’a pas totalement cessé. Quant aux familles somaliennes, elles sont de plus en plus nombreuses à tenter de rentrer chez elles, maintenant qu’il n’y a plus de guerres entre communautés, et malgré la persistance des attaques des Shebabs.

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