Djibouti l’ambitieuse, un modèle pour le continent ?

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Africa-PressDjibouti. Avec l’avancée de ses paris logistiques et portuaires, le pays semble être devenu indispensable à ses voisins comme à ses partenaires. La diversification bat son plein et les perspectives de croissance sont très favorables.

Si depuis un an et l’arrivée de la pandémie du Covid-19, l’économie mondiale marche au ralenti, celle de Djibouti semble avoir déjà retrouvé son rythme. Pas au point d’afficher en 2020 les 7 % de croissance alignés par le pays ces dernières années, mais bien d’échapper à la récession qui guette la plupart de ses voisins. Les autorités ont fait un travail remarquable en agissant vite et efficacement

Avec une progression aujourd’hui estimée entre 1 et 3 %, l’économie djiboutienne sort également grippée de cette dernière année, mais l’activité que connaît la capitale, symbolisée par l’apparition de nouvelles enseignes, commerciales, hôtelières et bancaires, par le déménagement du vieux port de commerce ou plus encore le démarrage à Damerjog, qui s’annonce être l’un des plus gros projets industriels à l’échelle du continent, montre qu’elle a déjà entamé sa convalescence.

Gestion efficace de l’épidémie

Djibouti devrait donc éviter la crise économique tout comme le pays semble être passé à travers la crise sanitaire. « Les autorités ont fait un travail remarquable en agissant vite et efficacement », confirme un entrepreneur djiboutien.

Représentants du secteur privé local, investisseurs étrangers et bailleurs de fonds, tous reconnaissent, unanimes, la bonne gestion de la pandémie par les autorités publiques.

Djibouti a même reçu, dès avril 2020, un satisfecit de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), pour sa politique généralisée de dépistage, unique dans la Corne.

Finalisation de nombreux projets cruciaux

« Le pays est resté à l’arrêt du début de mars à la fin d’avril, pendant la période de confinement, avant de redémarrer lentement au fil des mois pour vraiment repartir en septembre », égrène Ali Daoud Houmed, directeur général du Fonds de développement économique de Djibouti (FDED). Moment où les Chinois, cloitrés depuis le mois de janvier 2020 dans leurs camps de base, en sortent, pour relancer les chantiers dans la capitale ainsi que sur le reste du territoire.

Djibouti donne depuis la sensation de rattraper le temps perdu, en réceptionnant ces sept derniers mois, un nouveau port à Tadjourah, ainsi que l’ultime tronçon goudronné qui relie la deuxième ville du pays à la frontière éthiopienne, avant d’inaugurer pêle-mêle d’ici à la fin de l’année, un complexe touristique dans la région d’Obock, dans le nord du pays, un parc éolien d’une capacité de production de 60 MW au Ghoubet et une ferme solaire capable de produire 30 MW, dans le désert du Grand-Bara.

Dans le même temps, la capitale disposera d’un nouvel hôpital et futur CHU, d’un complexe commercial et hôtelier aux dimensions et au style aussi dubaïotes que ses investisseurs, pendant que de l’autre côté de la baie sortira de terre un centre de conférence, premier édifice du futur « Business District » attendu sur le vieux port dans les prochaines années.

Djibouti poursuit également dans le même temps la politique de « hub-érisation » de son économie, dans les télécoms en capitalisant sur les huit câbles sous-marins connectés au pays ; dans la finance en hébergeant de nouvelles banques, dont l’International Business Bank (IB Bank) burkinabé, arrivée en janvier ;

Et aussi et surtout dans la logistique et les transports, véritable levier de développement du pays depuis maintenant plus d’une décennie, en construisant à Damerjog un nouveau pôle portuaire, industriel et énergétique sans équivalent dans cette partie de l’Afrique.

Pour un investissement de un milliard de dollars, la future Djibouti Damerjog Industrial Free Zone (DDIFZ) accueillera d’ici à 2035, sur 30 km2 dont 20 gagnés sur la mer, un vaste dépôt de stockage pétrolier et sa raffinerie, un nouveau port polyvalent avec un terminal à conteneurs et un chantier de construction navale, une zone pour industries légères et une cimenterie.

La zone franche comptera également une centrale électrique et un parc photovoltaïque, ainsi qu’une seconde usine de dessalement, après celle réceptionnée par le pays le 14 mars, dans la baie de Doraleh.

Par ses dimensions et les sommes investies, la DDIFZ est le pendant au sud de la capitale de l’ensemble constitué dès 2005 au nord par le terminal pétrolier de Doraleh et par le Doraleh Containers Terminal (DCT). Le Doraleh Multipurpose Port (DMP) qui jouxte la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) a été inauguré en juillet 2018. Les deux terminaux sont actuellement en phase de doublement de leurs capacités.

Avec Damerjog, Djibouti se rend encore plus indispensable auprès de l’Éthiopie « La vocation commerciale de ce premier complexe sera complétée et renforcée par l’activité industrielle du second », explique un conseiller à la présidence, où l’on suit de très près l’avancée des travaux destinés à faire du pays la principale porte d’entrée d’une façade maritime est-africaine qui en manque tant.

« C’est pour cette raison que Djibouti construit des ports », affirme Aboubaker Omar Hadi, président de l’Autorité portuaire et aux commandes, depuis 2016, de la Great Horn Investment Holding (GHIH), où sont regroupés l’ensemble des différents maillons de la chaîne logistique qui commence aujourd’hui à irriguer la sous-région. A commencer bien sûr par l’Éthiopie, dont le ministre des finances, Ahmed Shide, est venu en voisin le 15 mars jusqu’à Damerjog pour constater la reprise des travaux sur le site appelé à devenir dès 2022 le principal dépôt pétrolier de son pays.

C’est également là que sera construite, pour près de 3,5 milliards de dollars, l’usine de liquéfaction du gaz acheminé depuis l’Ogaden pour être exporté vers la Chine. « Avec Damerjog, Djibouti se rend encore plus indispensable auprès de l’Éthiopie tout en prenant une longueur d’avance supplémentaire sur Berbera et les autres ports de la région », estime Ali Daoud Houmed depuis son bureau du FDED.

Chaque nouveau port, chaque nouvelle zone franche ou plateforme logistique ne contribue en effet qu’à intégrer davantage les deux économies, la petite république profitant de ses dispositions géographiques pour alimenter la boulimie du géant enclavé et de ses 120 millions d’habitants.

Cette interdépendance toujours plus prononcée et quasi vitale des deux côtés commence pourtant à interroger à Djibouti, à l’heure où la guerre menée dans le Tigré depuis novembre 2020 menace la stabilité de la fédération éthiopienne et celle de toute la région. Au début des années 1990, Djibouti était à genoux

« L’Éthiopie est éternelle », préfère croire Aboubaker Omar Hadi qui, pour l’instant, n’a constaté aucun ralentissement en matière d’échanges commerciaux entre les deux pays. Cela n’empêche pas les responsables djiboutiens de réfléchir déjà au coup d’après, « celui qui doit permettre au pays de se développer avec ou sans l’Éthiopie », résume Ali Daoud Houmed.

Peu touché par les effets du Covid-19, ni, jusqu’à présent, par ceux de l’actuelle crise éthiopienne, Djibouti se sent l’âme décomplexée d’un miraculé, à qui tout serait enfin permis. La ligne de prospérité joindra les 3 D : Djibouti-Douala-Dakar

« Il ne faut pas oublier d’où vient le pays. Au début des années 1990, Djibouti était économiquement à genoux », rappelle Mohamed Sikieh Kayad, conseiller économique auprès de la présidence. Depuis, le pays a réalisé l’exploit de multiplier son PIB par sept pour atteindre en 2020 près de 3,3 milliards de dollars.

L’appétit vient en mangeant et celui de Djibouti ne connaît plus de limites. Retranché derrière les bases militaires étrangères installées sur son territoire, fort d’une monnaie indexée sur le dollar américain, le pays regarde dorénavant avec insistance en direction de la façade atlantique, au moment où l’arrivée programmée de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) promet « d’être le moteur de la croissance économique du continent, d’après d’Aboubaker Omar Hadi, le long d’une ligne de prospérité Djibouti-Douala-Dakar ».

Pour justifier un tel rôle, « il faut que la Chine serve ses clients africains depuis Djibouti », estime Ali Daoud Houmed. Et c’est la raison pour laquelle l’urgence est désormais « de développer la desserte terrestre », reprend Aboubaker Omar Hadi qui, à la tête de la GHIH, garde la haute main sur le développement des sept corridors autoroutiers aujourd’hui identifiés, ainsi que sur le chemin de fer djibouto-éthiopien qui commence tout juste à trouver son rythme de croisière depuis son démarrage début 2018.

Bien décidées à améliorer leurs services ferroviaires, les autorités djiboutiennes et éthiopiennes viennent de s’accorder pour privatiser à court terme les opérations, comptant ainsi attendre au plus vite les volumes de marchandises qui permettront de rentabiliser la ligne et donc de commencer à rembourser la dette accumulée auprès de Pékin. Bien que productifs, la majorité des investissements constituent un fardeau pour le pays

Loin de disposer des moyens financiers de ses ambitieux projets, Djibouti a en effet dû massivement emprunter auprès de ses partenaires chinois, au point d’être menacé d’asphyxie par un surendettement estimé à plus de 100 % de son PIB par le FMI en 2018. Avec l’aide des experts de la Banque mondiale, Djibouti a réévalué à la hausse, début 2020, la production de richesse annuelle du pays, permettant de ramener la dette à hauteur de 70 % du PIB.

« Le risque de surendettement est moindre, mais il existe toujours. La majorité des investissements réalisés sont productifs et doivent donc un jour atteindre leur seuil de rentabilité, mais d’ici là, ils constituent un fardeau pour le pays », estime Boubacar-Sid Barry, résident pour la Banque mondiale à Djibouti.

Pour poursuivre sa politique de développement sans charger davantage la barque de l’endettement, Djibouti veut multiplier les partenariats public-privé (PPP) et peut s’appuyer en la matière sur son attractivité retrouvée auprès des investisseurs étrangers, alléchés par les perspectives économiques d’un pays qui a également su réformer son cadre des affaires ces dernières années.

Djibouti peut ainsi travailler à la diversification de son économie tout en diversifiant également l’origine de ses partenaires pour ainsi s’émanciper un peu plus d’une tutelle chinoise jugée omniprésente par certains.

C’est le cas avec les entreprises françaises qui font aujourd’hui un retour remarqué après avoir pratiquement disparu du paysage djiboutien. Eiffage vient de livrer son usine de dessalement, avant qu’Engie n’en fasse de même dans les prochains mois avec les installations solaires du Grand-Bara, alors qu’Accor et Onomo ont déjà montré leur intérêt pour différents projets hôteliers dans la capitale.

Pour renforcer sa compétitivité, Djibouti doit former son capital humain Pour confirmer l’embellie du moment, le Medef a prévu, pour la première fois depuis longtemps, d’envoyer une délégation importante dans le pays avant la fin de l’année.

Mais Djibouti ne compte pas se développer qu’avec l’argent des autres. Le pays dispose aujourd’hui de deux véhicules financiers pour soutenir son économie : la GHIH, qu’Aboubaker Omar Hadi voit comme le futur Temasek djiboutien, du nom de cette entité présente dans les principaux secteurs économiques singapouriens, et, depuis juin 2020, le Fonds souverain de Djibouti (FSD) doté d’ici à dix ans d’un capital de 1,5 milliard de dollars.

Son objectif est « de faire profiter le pays de sa croissance économique », selon Mohamed Sikieh Kayad, également président du FSD. En effet, si « le train a bien quitté la gare, il a pris jusqu’à présent très peu de passagers à son bord », pour reprendre l’image de Boubacar-Sid Barry.

Priorité doit être donnée à l’économie sociale C’est d’ailleurs, pour le représentant de la Banque mondiale, la limite actuelle d’un modèle de développement djiboutien qu’il juge par ailleurs « ambitieux et adapté aux réalités économiques du pays ».

Reste donc à le rendre inclusif, puisque jusqu’à présent les milliards investis n’ont favorisé la création d’emplois qu’à la marge. « Pour renforcer la productivité de ses infrastructures et donc la compétitivité de son économie, Djibouti doit former son capital humain », reprend Boubacar Si-Barry.

Comme a justement su si bien le faire Singapour, plus que jamais l’exemple à suivre par le pays pour de nombreux responsables djiboutiens. « Priorité doit être donnée à l’économie sociale pour qu’à Djibouti, comme partout ailleurs dans le monde, la pauvreté diminue quand la croissance augmente », insiste Mohamed Sikieh Kayad quelques semaines seulement avant la tenue d’une élection présidentielle attendue pour reconduire au soir du 9 avril, le président Ismaïl Omar Guelleh pour un cinquième mandat.

Réélu pour cinq années supplémentaires, le chef de l’Etat djiboutien disposera d’un nouveau délai pour poursuivre son œuvre entamée depuis son accession au pouvoir en 1999, en veillant cette fois à ce qu’elle bénéficie au plus grand nombre. Si IOG réussit ce dernier pari, alors « personne ne sera en mesure de nous rattraper », affirme Aboubaker Omar Hadi.

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