Face à Trump, l’Afrique entre aversion et fascination

6
Face à Trump, l’Afrique entre aversion et fascination
Face à Trump, l’Afrique entre aversion et fascination

jeuneafrique

Africa-Press – Djibouti. La réussite de businessman du 47e président des États-Unis, sa résilience politique et son virilisme séduisent nombre d’Africains. Ils constatent cependant que celui qui avait qualifié leur nations de « pays de merde » liquide l’Usaid… pour le plus grand profit de la Chine.

L’arrivée de Donald Trump au pouvoir nous a fait entrer dans un nouveau monde aux allures de jungle, celui où seuls les rapports de force créent le droit. En Afrique, certains s’en réjouissent déjà, tant les combats qu’ils mènent au nom d’une conception ultra-réactionnaire et incantatoire du souverainisme et du panafricanisme rejoignent ceux de la croisade anti-woke du nouveau président américain. Ils sont en guerre contre les vaccinations obligatoires et les droits des minorités sexuelles, prônent le retour d’hommes forts au pouvoir, fustigent la décadence morale importée d’Occident, font l’éloge du virilisme et des valeurs familiales traditionnelles, polygamie incluse.

De Bamako à Niamey en passant par Ouagadougou et Conakry, leur modèle étatique incarné par des militaires putschistes non élus, et qui ne sont donc comptables d’aucun contrat démocratique avec le peuple, est déjà à l’œuvre. Il fait l’impasse sur les élections, les droits civiques et les libertés individuelles, considérés comme autant de pièges, au nom d’une décolonisation intégrale de ce que ces adeptes du caporalisme primitif perçoivent comme la source de tous leurs maux: l’Europe. Une Europe affaiblie, désormais prise en tenaille entre Trump et Poutine, punching-ball idéal de cette version mondialisée de « Rumble in the Jungle ».

Expulsion immédiate des migrants ?

Hors les murs de ces États-casernes, où militaires, policiers et services de renseignement « opèrent en silos et en bandes » et se nourrissent d’une « économie de ponction », comme l’écrit Achille Mbembe, que pensent les Africains, en particulier les jeunes, de Donald Trump ? La réponse est plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Il y a, bien sûr, de la répulsion pour ses multiples saillies à connotation raciste, et de l’empathie pour le sort d’une partie de la diaspora africaine aux États-Unis, visée par le Laken Riley Act, aux termes duquel 40 000 migrants, principalement Somaliens, Sénégalais, Congolais et Éthiopiens, en situation illégale mais aussi bénéficiaires de l’asile temporaire, risquent l’expulsion immédiate.

Mais cette aversion se teinte d’une dose de fascination pour la trajectoire personnelle, la réussite financière et la résilience politique de Donald Trump. Les prosélytes du putscho-souverainisme se félicitent de la façon dont le président américain maltraite les ex-puissances coloniales européennes, et les fidèles des églises évangéliques sont sensibles à la propagande distillée par leurs matrices américaines, lesquelles constituent la principale base politique de Trump.

Les intérêts d’Elon Musk

Et puis il y a cette réalité, en forme de désespérance, que nul ne veut regarder en face. Quand Trump, en 2018, vomit son tristement célèbre « pays de merde » pour qualifier Haïti et les nations africaines, l’Union africaine exigea des excuses qu’elle ne reçut jamais. Mais que disent d’autre, dans le fond, de leur propre pays, les millions de jeunes prêts à tous les sacrifices pour le quitter sans esprit de retour ?

Si, pour les pouvoirs africains qui vivent les règles de bonne gouvernance comme autant de contraintes insupportables, l’arrivée de l’administration Trump est une aubaine – les États-Unis, espèrent-ils, ne se mêleront plus de leurs affaires intérieures –, il n’en va pas de même des régimes démocratiques et en particulier, on le sait, de l’Afrique du Sud. À cet égard, sans doute convient-il de prendre la violente charge menée par le tandem Donald Trump-Elon Musk contre le gouvernement sud-africain sur le thème de la pseudo spoliation des fermiers blancs pour ce qu’elle est: un prétexte.

Certes, la défense des droits de la minorité afrikaner renvoie à la conception clivante et antagoniste des rapports entre les races qui est celle de Trump aux États-Unis même. Certes, Elon Musk, qui a vécu les dix-huit premières années de sa vie sous le régime de l’apartheid, dans un pays où les violences interraciales atteignaient leur acmé, au sein d’une communauté pour qui la majorité noire représentait un danger existentiel, a retiré de cette expérience une adhésion qui ne s’est jamais démentie aux thèses du suprémacisme blanc d’extrême droite.

Mais cette focalisation sur un sujet et un pays tout à fait marginaux aux yeux de l’opinion américaine ne s’explique pas sans la prise en compte d’autres intérêts, qui n’ont rien d’idéologique. Celui de Musk, dont l’ambition d’imposer son fournisseur d’accès à internet par satellite Starlink sur le marché sud-africain est entravée par les lois du Black Empowerment, qu’il juge « racistes et discriminatoires ». Et celui de Trump, bien décidé à punir Pretoria d’avoir eu l’audace de déposer une plainte contre Israël pour « génocide à Gaza » devant la Cour internationale de justice.

L’Afrique du Sud, bouc émissaire idéal

Dans un écosystème doctrinal américain et, de plus en plus, européen, où le racisme anti-Arabes et antimusulman tend à se normaliser alors que l’antisémitisme est délégitimé et combattu (certes à juste titre) et où le simple fait de chercher à comprendre ce qui a produit le massacre du 7 octobre 2023, en dehors des clichés sur « l’animalité » des tueurs, vaut procès en judéophobie, le duo Trump-Musk a trouvé en l’Afrique du Sud le bouc émissaire idéal. Ne reste plus à Cyril Ramaphosa qu’à prier pour qu’il se choisisse une nouvelle cible…

Le président et son directeur du Bureau de l’efficacité gouvernementale s’en sont, il est vrai, trouvé une autre: l’aide, plus exactement la plus grande agence d’aide internationale qu’est l’Usaid, avec ses 10 000 employés permanents et ses 43 milliards de dollars de budget, dont le démantèlement en cours aura des répercussions plus graves sur l’Afrique que sur toute autre région du monde.

Sans aucune autre motivation réelle que sa détestation viscérale de tout ce qui, de près ou de loin, est issu de l’idéologie humanitariste des administrations démocrates qu’il exècre, le duo qualifie cet instrument clé du soft power américain d’ « organisation criminelle dirigée par une bande de fous ». Lâché dans l’arène du lynchage, le Congressman républicain Scott Perry se veut plus précis, recyclant pour la cause une fake news utilisée ad nauseam par les juntes sahéliennes et leurs aboyeurs des réseaux sociaux à l’encontre de la France: le financement du terrorisme. L’argent du contribuable servirait ainsi à alimenter les caisses de « Daesh, Isis, al-Qaïda, Boko Haram, le groupe Khorassan » et le fonctionnement de madrasas salafistes à travers le monde. Inutile de préciser que cette hystérie vindicative se passe de la moindre preuve concrète: c’est la loi du genre en cette période de retour, au galop, du maccarthysme.

Cette séquence, que les Français ont connue à l’époque lointaine où les opposants aux politiques d’aide publique au développement résumaient leur pensée par la formule « la Corrèze avant le Zambèze », augure certes de lendemains douloureux pour des pays qui, comme l’Éthiopie, la RD Congo, le Nigeria, le Soudan du Sud ou ceux de l’Alliance des États du Sahel, figurent dans le top 10 des récipiendaires d’une aide américaine dont le montant annuel dépasse, pour certains d’entre eux, le milliard de dollars.

À tout le moins devrait-elle les inciter à réfléchir sur la validité de ce type de modèle de dépendance que l’économiste zambienne Dambisa Moyo, aujourd’hui membre de la chambre britannique des lords, qualifiait en 2009 de « Dead Aid » (« aide fatale ») dans un traité devenu culte. Grand admirateur de Moyo, Paul Kagame, le président rwandais, ne dit pas autre chose dans sa récente interview à Jeune Afrique. À ses yeux, la suspension de l’aide américaine est un mal pour un bien: « Nous ne voulons pas d’une aide qui perpétue le besoin d’aide. Nous voulons d’une aide qui permette aux gens de se tenir debout par eux-mêmes. »

La Chine rafle la mise

Un mal pour un bien, donc. Et un mal qui pourrait, in fine, profiter sur le continent au grand rival des États-Unis: la Chine. En procédant à la quasi-liquidation de l’Usaid, Donald Trump passe à la trappe un vecteur essentiel de l’influence américaine en Afrique. On objectera certes qu’il s’en fiche. Le soft power – qui suppose que vos interlocuteurs à l’étranger vous suivent parce qu’ils en ont envie, et non parce qu’ils y sont obligés – est à ses yeux une lubie démocrate des administrations Clinton, Obama et Biden, qui a fait tant de mal au seul pouvoir qui compte: le hard power au service de l’Amérique d’abord.

Mais, ce faisant, le 47e président des États-Unis tire les marrons du feu pour Xi Jinping, lequel se présente de plus en plus, auprès de ses pairs du continent, comme un partenaire rationnel, fiable, stable, porteur d’une offre économique durable et susceptible de prendre le relais, au sein des organisations internationales, d’un leadership laissé vacant par le retrait américain. De l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont elle va devenir le premier contributeur, aux accords de Paris sur le climat, en passant par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et peut-être ensuite par l’Unesco, partout la Chine avance ses pions sur un champ de bataille déserté par l’ennemi.

Ce n’est certes pas demain que China Aid, créé en 2018 pour concurrencer l’Usaid, occupera le terrain abandonné par cette dernière, même si son budget a récemment été renforcé. Mais, face à une Amérique inconsciente qu’elle sape sa propre influence, l’Europe étant par ailleurs trop affaiblie pour représenter une alternative solide, l’empire du Milieu apparaît plus que jamais en Afrique comme la puissance de recours. Et, cette fois, elle n’a plus de concurrent à sa hauteur.

Source: JeuneAfrique

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here