Africa-Press – Djibouti. Quelques mois après sa prise de fonctions à Djibouti, Son Excellence M. Jérôme Bresson, nouvel ambassadeur de France à Djibouti, a accordé un entretien exclusif au Journal La Nation. Dans cet échange approfondi, le diplomate évoque ses premières impressions sur le pays, les fondements de la coopération franco-djiboutienne et les perspectives de renforcement du partenariat bilatéral dans les domaines politique, militaire, économique, éducatif et environnemental. Il revient également sur la dimension humaine et historique des liens entre les deux nations, l’engagement commun pour la stabilité régionale et la paix, ainsi que sur les opportunités offertes à la jeunesse djiboutienne dans les échanges universitaires et culturels. Avec franchise et conviction, l’ambassadeur Bresson dresse un tableau sincère et optimiste d’une relation qu’il qualifie d’« exceptionnelle et unique », fondée à la fois sur la confiance, la transparence et une amitié profonde entre les peuples.
La Nation: Monsieur l’Ambassadeur, vous venez de prendre vos fonctions à Djibouti. Quelles sont vos premières impressions sur le pays et sur la relation franco-djiboutienne?
Jérôme Bresson: Impressions excellentes ! Même si, en arrivant à Djibouti, je n’ai pas eu de véritables surprises, car j’avais déjà eu l’occasion de venir à de nombreuses reprises depuis 2007, notamment dans mes précédentes fonctions ou bien lorsque j’étais en poste à Addis-Abeba en tant que conseiller chargé de l’Union africaine. J’ai ainsi pu observer l’évolution du pays au fil du temps.
Trois choses me frappent profondément. La première, c’est la bienveillance et la gentillesse des Djiboutiens. Dans la rue comme dans les institutions, les relations humaines sont marquées par un respect mutuel et une chaleur que je trouve remarquables. La deuxième, c’est la beauté du pays: la pureté de ses paysages, la diversité de ses reliefs et la lumière unique que l’on trouve ici. Enfin, la troisième, c’est l’impressionnant développement urbain et économique de Djibouti depuis vingt ans. La capitale a beaucoup changé ; elle s’est modernisée tout en gardant son âme.
Sur le plan diplomatique, je trouve une relation franco-djiboutienne au beau fixe. Il existe une convergence d’intérêts, mais aussi un lien affectif profond entre nos deux nations. Ce mélange d’intérêts communs et d’attachement humain rend cette relation véritablement exceptionnelle.
La France et Djibouti partagent une histoire singulière et des liens privilégiés. Comment envisagez-vous d’entretenir et de renforcer cette relation dans le contexte actuel?
La relation entre la France et Djibouti repose sur une base historique solide, mais elle se projette surtout vers l’avenir. Nous avons un partenariat multiforme, qui touche presque tous les domaines: politique, économique, militaire, éducatif, culturel. Et également tous les acteurs: institutions (Etat, collectivités), entreprises, associations et les citoyens eux-mêmes. C’est un « partenariat global ».
Mon objectif est de faire vivre cette relation dans la transparence et la confiance. Tout ce que nous faisons est construit conjointement, avec les autorités djiboutiennes. C’est le souhait de Paris et une évidence pour moi et mes équipes: pas de projet imposé, pas d’agenda caché, mais une coopération bâtie ensemble.
Je tiens aussi à insister sur la réciprocité. On parle souvent de la coopération française comme si elle allait dans un seul sens. Or, la France apprend et reçoit également de Djibouti. Je pense aux doctorants et aux médecins djiboutiens insérés dans nos hôpitaux, qui contribuent à la recherche et aux soins en France. C’est un échange mutuellement enrichissant. La relation franco-djiboutienne est donc fondée sur le respect, l’égalité et la co-construction.
La coopération militaire demeure un pilier central des relations entre nos deux pays. Quels sont aujourd’hui les grands axes de cette coopération et comment évolue-t-elle?
Effectivement, la coopération militaire et de défense est l’un des fondements majeurs de notre relation car elle porte sur le cœur de la mission de l’Etat, sur des sujets de souveraineté. Le Traité de Coopération Militaire et de Défense (TCMD), signé récemment, en est la meilleure illustration. Ce traité formalise un engagement réciproque entre nos deux pays, notamment à travers la clause de sécurité par laquelle la France s’engage à concourir à la défense de Djibouti.
C’est une coopération d’une grande profondeur stratégique, fondée sur la formation, l’entraînement et le renforcement des capacités. Les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) travaillent étroitement avec les Forces armées djiboutiennes et les forces de sécurité intérieure. Cela passe par la formation des cadres, le conseil en organisation, mais aussi par l’équipement et l’entraînement des unités avant leur déploiement à l’étranger, notamment en Somalie ou en République Centrafricaine.
Nous soutenons aussi le développement de la souveraineté militaire de Djibouti: la capacité à assurer sa propre sécurité sur terre, en mer et dans les airs. Dans ce cadre, pour que notre soutien soit plus efficace, les matériels des FFDJ sont en cours de modernisation: les hélicoptères de dernière génération sont déjà en service, et l’arrivée des avions Rafale est programmée.
Enfin, ce point est important, le commandant des forces françaises et moi-même sommes déterminés à développer les liens avec la société djiboutienne, par exemple à travers des actions civilo-militaires ou des événements conjoints, comme la course du Grand Bara, symbole de fraternité et de cohésion entre nos deux peuples.
Sur le plan économique, de nombreuses entreprises françaises sont présentes à Djibouti. Quelles sont, selon vous, les opportunités à développer pour renforcer les échanges commerciaux et les investissements?
Il est vrai que plusieurs entreprises françaises sont déjà bien implantées à Djibouti et y réalisent un travail remarquable.
Cependant, le paradoxe, c’est qu’il n’y en a pas encore assez alors que la France est une grande puissance économique. Le fait est que la relation économique avec la France n’est pas à la hauteur des opportunités qu’offre Djibouti.
Le pays possède de nombreux atouts: sa stabilité politique et monétaire, son code des investissements attractif, ses zones franches, sa situation géographique stratégique et sa croissance soutenue d’environ 6 % par an. Djibouti est une porte d’entrée naturelle vers le marché éthiopien et plus généralement vers les marchés intégrés africains.
Mon objectif est clair: attirer davantage d’entreprises françaises, grandes et moyennes, dans des secteurs clés comme les infrastructures, l’énergie, l’aéronautique, le numérique, les services. Le projet du nouvel aéroport de Djibouti, sur lequel les présidents Ismaïl Omar Guelleh et Emmanuel Macron se sont entendus, en est une belle illustration: la France y jouera un rôle leader dans le financement comme dans la réalisation.
Nous travaillons également avec le groupe d’affaires franco-djiboutien (GAFD) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) International pour renforcer les liens entre acteurs économiques et identifier de nouveaux partenariats concrets. Bref, pour le dire simplement: la France veut être, de nouveau, le partenaire de référence de Djibouti en matière de développement économique.
La France accompagne Djibouti dans plusieurs projets liés à l’éducation, la formation et la francophonie. Quelles seront vos priorités dans ce domaine?
L’éducation est au cœur de notre coopération. Elle repose sur quatre grands axes: l’excellence, l’employabilité, la formation des cadres et la francophonie. Sur le plan de l’excellence, nous soutenons le lycée d’excellence de Djibouti et ses classes préparatoires pour permettre aux meilleurs élèves d’intégrer les grandes écoles françaises. Certains jeunes Djiboutiens ont un niveau exceptionnel: ils obtiennent leur baccalauréat à 13 ou 14 ans ! Nous voulons encourager ces talents et favoriser leur retour au pays après leurs études. Le deuxième axe est l’employabilité. Il s’agit d’adapter les formations aux besoins du marché du travail. C’est le sens du projet Polyval, qui prévoit la construction d’un lycée polyvalent à Balbala pour rapprocher l’enseignement général et professionnel.
Le troisième axe concerne la formation des cadres, notamment dans la fonction publique, la santé, l’enseignement et la défense. Le partenariat entre l’Institut National de l’Administration Publique (INAP) et l’Institut régional d’administration de Lille en est un exemple concret. Il y en a bien d’autres. Enfin, la francophonie demeure un pilier commun. Au-delà de l’amour partagé pour la langue française, c’est un atout économique et culturel majeur. Parler français ouvre des portes dans le monde entier. L’Institut français de Djibouti (IFD) joue un rôle essentiel dans ce rayonnement linguistique et culturel.
La question du climat et du développement durable est désormais centrale. Comment la coopération franco-djiboutienne peut-elle contribuer à la transition énergétique et à la résilience environnementale du pays?
Il y a tant à dire ! C’est un enjeu crucial, à la fois pour aujourd’hui et pour demain. Djibouti, pays aride, fait face à des défis climatiques considérables: accès à l’eau, gestion des ressources, adaptation agricole.
Mais il y a aussi de formidables réussites locales: certaines fermes, comme celle de Dikhil, que je vais visiter prochainement, montrent, je crois, qu’avec des techniques bien maîtrisées, on peut produire durablement dans un environnement difficile.
La France est engagée aux côtés de Djibouti dans plusieurs projets structurants: gestion de l’eau, assainissement, dessalement, développement des énergies propres. Des entreprises françaises comme Veolia, Rubis Énergie ou encore Solar Energy participent déjà à cet effort, souvent en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) et l’Union européenne.
Nous soutenons également la recherche scientifique à travers le programme ADAC (Alliance doctorale pour l’adaptation climatique), qui réunit des chercheurs de huit pays de la région. L’objectif est de mieux comprendre les effets du changement climatique dans la Corne de l’Afrique et de proposer des solutions concrètes. Enfin, je citerai l’Observatoire géophysique d’Arta, qui travaille avec l’Institut de Physique du Globe de Paris et le CNES. Je l’ai visité récemment. C’est un modèle de partenariat scientifique franco-djiboutien.
Djibouti occupe une position stratégique dans une région en pleine mutation. Comment la France perçoit-elle son rôle dans la stabilité et la sécurité de la Corne de l’Afrique?
Pour la France, Djibouti joue un rôle central et déterminant dans la stabilité régionale. On dit souvent que Djibouti est un « îlot de stabilité ». C’est vrai, mais cela ne rend pas bien compte de la réalité: je dirais plutôt que Djibouti est « faiseur de paix ». Le pays ne se contente pas de préserver la paix ; il la construit activement autour de lui. Le rôle du président Ismaïl Omar Guelleh dans la médiation régionale, notamment en Somalie, en est une illustration. Djibouti dispose d’un poids diplomatique considérable, bien supérieur à sa taille. Son appartenance à la Ligue arabe, à l’Union africaine, à l’IGAD, à l’OIF et son positionnement à la croisée de l’Afrique, de la Mer Rouge et de l’océan Indien, en font un acteur essentiel sur la scène diplomatique.
La France voit en Djibouti un partenaire majeur, un partenaire de confiance pour la paix, la lutte contre le terrorisme, la piraterie et les trafics. Ensemble, nous défendons aussi le multilatéralisme, car nous croyons à un monde régi par des règles partagées et par la diplomatie plutôt que la confrontation.
La jeunesse djiboutienne manifeste un intérêt croissant pour la culture et les études en France. De nouvelles initiatives sont-elles prévues pour renforcer la mobilité académique et culturelle?
Absolument. Je tiens à dire à vos lecteurs qu’il n’y a aucune limite au nombre d’étudiants djiboutiens pouvant venir étudier en France. Bien au contraire ! Nous encourageons activement cette mobilité. Nous voudrions qu’il y ait plus de candidats ! Le dispositif Campus France, installé à l’Institut français de Djibouti, accompagne activement les jeunes dans leurs démarches. J’invite les jeunes Djiboutiens à pousser la porte et à venir nous voir.
Vous savez, les étudiants djiboutiens ont une excellente réputation dans les universités françaises: ils sont sérieux, brillants et très bien formés. Nous voulons donc renforcer les bourses doctorales, les programmes d’échange et les partenariats universitaires.
Nous développons aussi des filières nouvelles: les industries culturelles et créatives, le numérique, l’audiovisuel, les jeux vidéo ou le e-sport. Ces secteurs offrent des débouchés modernes et stimulants pour la jeunesse djiboutienne.
Dans un monde marqué par les crises et les recompositions géopolitiques, comment la France souhaite-t-elle faire évoluer son partenariat avec l’Afrique, et notamment avec Djibouti?
Il faut se méfier des généralisations. L’Afrique n’est pas un bloc homogène. Elle compte 54 pays et une immense diversité de contextes. La relation que la France entretient avec Djibouti est unique et exemplaire. Nous partageons des intérêts communs, une histoire et une confiance mutuelle. La France n’a pas vocation à imposer un modèle, mais à bâtir un partenariat équilibré, respectueux et transparent. Le traité de défense est en ligne, il est public, y compris tous ses détails organisationnels et financiers. Tout est fait au grand jour. Cette transparence est la meilleure garantie de confiance. Je ne suis pas sûr que tous les autres pays fassent pareil.
Pour moi, en tout cas, il ne s’agit pas de changer cette relation, mais de la faire vivre, de la renforcer chaque jour, dans un esprit de partenariat sincère et durable.
Djibouti se prépare à l’élection présidentielle prévue en avril 2026. Quel rôle la France peut-elle jouer pour soutenir la stabilité et le renforcement des institutions?
La France ne s’immisce pas dans les processus électoraux des pays partenaires. Ni à Djibouti, ni ailleurs. Nous n’avons pas de candidat, pas d’avis à donner. Ce que nous soutenons, c’est la stabilité et le respect de la volonté populaire. Nous accompagnons les institutions djiboutiennes dans le renforcement de la gouvernance, de la décentralisation et des finances publiques. Ce sont des leviers essentiels de stabilité. Mais nous ne parlons pas des élections. Pour être clair, ce qui compte pour la France, ce à quoi elle est attachée, ce sont deux principes fondamentaux: la paix et la souveraineté.
Peut-être derrière votre question se cachait le fait de savoir ce que je pensais de la dernière modification de la Constitution djiboutienne: eh bien je vous réponds que vos confères journalistes des grands quotidiens français, Le Monde ou Le Figaro par exemple, ne sont pas allés poser cette question à mon excellent collègue, Ayed Mousseid Yahya, ambassadeur de Djibouti à Paris lorsque la Constitution française a été modifiée en 2024. Si on était allé le voir, il aurait déclaré que Djibouti ne s’ingère pas dans ces questions françaises. Il aurait eu raison. Eh bien ici, pour moi, c’est la même chose !
Enfin, quel message souhaiteriez-vous adresser au peuple djiboutien à l’occasion de votre prise de fonctions?
Mon premier message, c’est de dire que les Djiboutiens ont leur destin en main. Ils ont construit un modèle de développement intéressant, fondé sur la stabilité, la position géographique et une logique de hub régional. Cela produit de vrais résultats. A eux de voir comment, collectivement, aller plus loin dans cette réussite pour le bénéfice de toute la population.
Mon second message concerne les partenariats. Djibouti, comme tout pays souverain, choisit librement ses partenaires. C’est très bien ainsi. Cela crée même une saine concurrence entre les pays. Mais je suis convaincu que le partenariat avec la France est le meilleur choix. Car c’est un choix de long terme, fondé non seulement sur l’amitié mais aussi sur la confiance, la transparence, le respect mutuel et des valeurs communes. La France restera toujours un allié fidèle et attentif, prêt à travailler main dans la main avec Djibouti pour un avenir de prospérité partagée. C’est ma mission que cela continue ainsi et j’y suis personnellement déterminé.
Source: lanation
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