
Africa-Press – Djibouti. Questions sécuritaires, réforme de l’Union africaine (UA) portée par Paul Kagame, accélération des échanges commerciaux inter-africains… Si le 36e sommet de l’organisation a donné lieu à une série de discussions et d’annonces par les chefs d’État, il a surtout été l’occasion d’importantes tractations diplomatiques entre les pays membres. Les ministres et présidents de l’UA ont ainsi à nouveau échangé sans succès au sujet de l’attribution des sièges du Conseil paix et sécurité (CPS). La région Nord (Maroc, Tunisie, Algérie, Mauritanie, RASD, Égypte) tente depuis des années d’y obtenir un troisième siège.
Des tensions pour un troisième siège au CPS…
Composé de 15 membres aux droits de vote égaux, le CPS accorde jusqu’à présent trois sièges aux régions Afrique centrale, Afrique de l’Est et Afrique Australe, quatre pour l’Afrique de l’Ouest et deux pour l’Afrique du Nord. En 2004, lorsque le Conseil a été mis en place, seuls deux pays du Nord, l’Algérie et la Libye, en avaient ratifié le protocole et l’Afrique de l’Ouest avait alors récupéré un siège supplémentaire. Désormais plus nombreux, ils demandent à le récupérer.
Selon plusieurs sources, les pays ouest-africains s’opposent fermement à cette demande, refusant de céder leur quatrième siège. Bien que soutenue par les régions Centre et Sud, et plusieurs pays de l’Afrique de l’Est, la région Nord n’a toutefois pas pu obtenir gain de cause lors de cette réunion. Face à cette absence de consensus, le président en exercice de l’UA a décidé de mettre en place un comité ad hoc de chefs d’État pour statuer sur la question. Sa composition n’a toutefois pas encore été arrêtée.
…et pour la vice-présidence
Autre sujet de crispation entre les pays membres : la vice-présidence tournante du bureau de l’UA, qui revient cette année aux pays de la région Nord. L’évocation de cette question épineuse a fait réagir lors de la cérémonie d’ouverture du sommet dans la matinée du 18 février. « Vice-présidence : les consultations se poursuivent », avait annoncé l’organisation, provoquant des rires gênés dans l’assistance. Cette attribution est stratégique, le vice-président de 2023 devenant automatiquement, selon une règle tacite, le président en exercice en 2024.
Le bureau de l’UA, qui devait être mis en place lors de la prise de fonction du Comorien Azali Assoumani, est donc demeuré incomplet à l’issue du sommet. Le Nord a échoué à trouver un consensus entre ses membres, dans un contexte de rivalité exacerbée entre le Maroc et l’Algérie. Face au blocage, plusieurs pays (comme la Mauritanie) se sont alors engouffrés dans la brèche et ont eux aussi proposé leur candidature, en vain.
La question embarrasse la commission de l’UA et les Comores, qui redoutent de voir, comme l’année précédente, le siège de vice-président rester vacant. Plusieurs comités techniques spéciaux, qui travaillent sur des dossiers divers au sein de l’organisation continentale, font eux aussi les frais de cette rivalité, et se retrouvent avec des bureaux incomplets face à l’impossibilité des États membres de s’entendre sur l’attribution de certains sièges.
La colère d’Alger et de Maada Bio
La rivalité entre le Maroc et l’Algérie ne s’arrête toutefois pas aux instances de l’organisation. L’annonce, le 19 février, de l’adoption de la « Déclaration de Tanger » sur le lien entre la paix, la sécurité et le développement en Afrique, a ainsi suscité des remous au sein de la session à huis clos. Cette déclaration avait déjà été adoptée début février par le CPS, qui avait à cette occasion « rendu hommage » au Maroc pour avoir tenu la conférence menant à cette déclaration.
La mention de cette conférence de Tanger a suscité la colère des délégations algérienne et sahraouie, qui ont contesté l’adoption de cette déclaration et affirmé que cette conférence n’avait pas été tenue dans un cadre institutionnel. Organisée sous le patronage marocain, cette conférence avait réuni plusieurs États membres, des organes de l’UA et des partenaires.
Le président sierra-léonais Julius Maada Bio, qui présentait le rapport du « Comité des 10 » sur la réforme du Conseil de sécurité, est à l’origine d’un autre coup d’éclat. Présidé par Freetown, le « C 10 » rassemble dix pays africains chargés de porter à New York la voix de l’Afrique pour obtenir un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.
Au moment où le dirigeant a pris la parole, le président de la session, Azali Assoumani, l’a pressé de présenter son rapport en cinq minutes. Julius Maada Bio s’est alors emporté et a décidé de quitter la salle. Il s’est finalement ravisé et est revenu présenter son rapport moins d’une heure plus tard.
Invités surprise
À l’issue de la conférence, les chefs d’État ont finalement décidé d’augmenter le budget alloué à la Commission pour financer et faciliter les activités du « Comité des 10 » sur les réformes des Nations unies. Ils ont aussi encouragé dès maintenant les pays membres à évoquer le sujet lors de la prochaine session de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2023.
L’UA a d’ailleurs reçu le soutien du secrétaire général António Guterres, présent lors du sommet. Il n’était pas le seul invité de l’organisation, qui a également reçu le président du Conseil européen Charles Michel et la secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo. Autre invité surprise : le procureur de la CPI, déjà présent lors du dernier sommet. Le Britannique Karim Khan a en effet effectué une discrète visite à Addis-Abeba, où il a notamment rencontré le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat.
Enfin, les dirigeants africains ont adopté le projet de statut de l’Agence humanitaire africaine, qui doit permettre de mieux répondre à ce type de défis sur le continent. Trois pays se sont déjà positionnés pour accueillir le siège de l’organisation : la Guinée équatoriale, la Sierra Leone et l’Ouganda. D’autres pourraient néanmoins déposer leur candidature. Une fois le siège choisi et les structures mises en place, l’Agence devrait également déployer des antennes dans les cinq régions de l’Union.
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