AFC, PIC, Africa Re… Quand la finance fait du déficit d’infrastructures en Afrique son cheval de bataille

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AFC, PIC, Africa Re… Quand la finance fait du déficit d’infrastructures en Afrique son cheval de bataille
AFC, PIC, Africa Re… Quand la finance fait du déficit d’infrastructures en Afrique son cheval de bataille

Gaëlle Arenson – Envoyée spéciale à Kigali

Africa-Press – Djibouti. L’Africa Finance Corporation a fait du sujet de la mobilisation des capitaux africains pour financer le développement des infrastructures sur le continent le cœur de sa stratégie d’investissement. Dans un rapport inédit, l’institution en précise les contours.

Le constat de l’Africa Finance Corporation (AFC) est sans appel. « Les stocks de capitaux nationaux en Afrique peinent à se développer. Au cours des trois dernières décennies, ils ont crû à un rythme compris entre 1 % et 2 % dans les années 1990 et entre 2 % et 4 % depuis le début du nouveau millénaire, soit une quasi-stagnation », constate Rita Babihuga-Nsanze, économiste en chef de l’AFC, à l’occasion du dévoilement du nouveau rapport annuel de l’institution sur l’état des infrastructures sur le continent, State of Africa’s Infrastructure Report 2024, en marge de l’Africa CEO Forum, à Kigali.

Pourtant, c’est bien sur la croissance des stocks de capitaux nationaux que s’appuie le décollage des économies, le décollage de leur taux de productivité et, plus largement, le décollage du niveau de vie des populations. « Sur la période 1960-2018, la Chine a multiplié par plus de 6 sa mobilisation de stocks de capitaux par rapport au continent », poursuit celle qui chapeaute le département de recherche de l’AFC.

Faiblesses dans les secteurs du rail, de l’énergie, de la connectivité…

En Afrique, cette absence de développement des économies est due à la faible mobilisation des recettes fiscales, avec un ratio d’impôt rapporté au PIB de seulement 15,6 %, rappelle l’AFC dans son rapport, contre 36,1 % dans les économies avancées, 34,3 % dans les économies européennes émergentes, et 28,6 % en Amérique latine.

Vient s’ajouter à cette faiblesse structurelle une tendance au surendettement des pays africains, surtout en cas de choc externe. « Selon les données du FMI, le ratio moyen de la dette au PIB en Afrique subsaharienne est passé de 23,2 % en 2008 à 57,1 % en 2022, et devrait rester à ce niveau jusqu’en 2029 », explique Rita Babihuga-Nsanze. « Cette combinaison de niveaux d’endettement croissants et de mobilisation insuffisante des recettes limite considérablement la marge de manœuvre budgétaire dont disposent les gouvernements africains pour les dépenses d’investissement, en particulier dans les projets d’infrastructures essentielles, ce qui entrave la croissance économique et les perspectives de développement du continent. L’augmentation des taux d’investissement dans les infrastructures nécessite donc une augmentation de la participation du secteur privé dans les pays », poursuit-elle.

Quatre secteurs en particulier sont pointés du doigt dans le rapport: les transports et la logistique, dont la filière du rail souffre de manière structurelle ; l’énergie, avec 600 millions de personnes privées d’accès à l’électricité sur le continent ; la connectivité mobile et internet, avec seulement 40 % des Africains qui ont accès à internet ; l’industrie et les chaînes de valeur de transformation sont également mises à l’index.

Manque de fonds disponibles et perception du risque défavorable

Comment combler les besoins en financement pour les infrastructures, dans ce contexte ? « Nous devons tirer parti des actifs dont nous disposons en Afrique, c’est-à-dire de l’épargne institutionnelle mobilisée par les compagnies d’assurance et les fonds de pension », soutient Samaila Zubairu, le président et CEO d’AFC, qui a organisé, à Kigali, une table ronde à l’occasion de la sortie dudit rapport.

Pour Corneille Karekezi, CEO d’Africa Re, « le problème est que très peu de ministères des Finances en Afrique apprécient et comprennent pleinement le rôle des assureurs – en particulier des assurances-vie et des fonds de pension – dans la mobilisation des ressources financières. Ils collectent pourtant de l’épargne et la réinvestissent dans l’économie ». Et de rappeler que la Chine n’a pas attendu l’arrivée des aides internationales pour épargner à hauteur de 50 % de son PIB et rediriger ces ressources vers le financement d’infrastructures. « En Afrique, nous disposons d’environ 400 milliards de dollars de réserves d’assurance – dont 80 % rien qu’en Afrique du Sud – et d’autant de fonds de pension, mais l’investissement dans les infrastructures reste marginal, car les investisseurs institutionnels continuent de privilégier le financement par la dette plutôt que par des capitaux propres », poursuit-il.

En plus de la rareté des fonds disponibles, la perception du risque pour les investissements dans les infrastructures fait figure de double peine. « Nous devons trouver un moyen de réduire les risques des projets spécifiquement pour cette épargne, et d’autres sources locales de capital afin qu’elles puissent être investies dans l’infrastructure et l’industrialisation du continent », soutient Samaila Zubairu. Un argument que reprend également à son compte Zakhele Mayisa. Selon le coresponsable Financement des infrastructures Afrique chez Nedbank Corporate Investment Bank, 90 % des projets échouent à l’étape du closing financier et il faudrait actionner les bons outils de « derisking » des projets, tels les instruments d’atténuation du risque de change.

La solution fonds de pension ?

Pour surmonter la difficulté d’identifier des projets bancables, AFC travaille à un projet d’émission d’obligations libellées en rands sud-africains et autres monnaies africaines, afin de limiter le risque de change associé aux projets d’infrastructures. Tout comme le fonds Meridiam, qui a pour objectif de dérisquer les investissements dans les projets d’infrastructures à long terme. Le gestionnaire de fonds sud-africain Public Investment Corporation (PIC) déploie pour sa part une double stratégie: rechercher des investissements à rendement financier et social, avec des équipes qui envisagent d’investir directement dans des projets d’infrastructures, tout en identifiant les opportunités par le biais de fonds et d’intermédiaires.

Pour Brenton Lalu, qui supervise la recherche et la stratégie d’investissement dans le portefeuille fondamental chez PIC, « sans infrastructure, nous ne pouvons pas nous industrialiser, c’est pourquoi nous nous efforçons de mobiliser de plus en plus de fonds de pension pour répondre aux besoins de financement à long terme de ce type de projets ». Pour ce faire, ces derniers ont en effet été autorisés, il y a quelques années, par les autorités sud-africaines à investir dans les infrastructures grâce au relèvement du plafond.

Mais le problème est que « les projets susceptibles d’être financés sont encore très rares, et les fonds de pension ne sont pas prêts à assumer les risques à un stade précoce, poursuit Brenton Lalu. En d’autres termes, l’industrie des fonds de pension reste très conventionnelle, avec quelque 80 % de l’argent investit dans des actions et des obligations cotées en bourse, seuls 2 % à 3 % sont orientés vers des solutions alternatives ».

jeuneafrique

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