Africa-Press – Djibouti. Il y a exactement un an se tenait à Bruxelles le sixième sommet Union européenne (UE) – Union africaine (UA). Au terme de cette rencontre, les dirigeants se sont mis d’accord sur une « vision commune pour un partenariat renouvelé », comme indiqué dans le rapport officiel. Et pourtant, depuis, la conjoncture mondiale a bien évolué, impactant considérablement les relations entre les deux continents.
À telle enseigne qu’il y a quelques mois le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déclaré dans la presse spécialisée que l’UE avait « perdu l’Afrique petit à petit » en termes de diplomatie et d’influence. Des propos appuyés par le dernier rapport de la Fondation Afrique-Europe (UE), paru le 28 octobre, selon lequel la relation entre les deux continents était à « son plus bas niveau sur la décennie écoulée, avec un changement de narratif et de ton dans les médias et sur les réseaux sociaux, ainsi qu’au sein de la société civile ».
Ce document qui dresse un état des lieux a été rédigé par 45 personnalités africaines et européennes. Parmi lesquelles, Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre française des Affaires étrangères, chargée du Développement, Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, ou encore Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Effets d’annonce
Les causes principales de ce recul seraient les les promesses non tenues et autres annonces sans concrétisation pratique. Par exemple, le rapport met en évidence les engagements de l’UE dans le cadre de l’initiative Global Gateway –lancée en décembre 2021 par la Commission européenne – qui n’ont pas encore été respectés. Précisément, les investissements de 150 milliards d’euros promis (ressources propres de la Banque européenne d’investissements – BEI –, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement – Berd), dévolus aux infrastructures de transport, de numérisation et de connectivité énergétique.
Pour rappel, cette initiative européenne destinée à terme à mobiliser 300 milliards d’euros d’ici à 2027 est censée faire pièce aux projets concurrents de la Chine, avec sa Belt and Road Initiative (BRI, Nouvelle Route de la soie ), et des États-Unis, avec le Blue Dot Network (BDN).
L’EUROPE DEVRAIT SE TOURNER VERS L’AFRIQUE PLUTÔT QUE VERS LES ÉTATS-UNIS POUR REMPLACER L’ÉNERGIE EN PROVENANCE DE RUSSIE
Malgré ce recul, l’UE reste le principal partenaire de l’Afrique, aussi bien pour le commerce que pour le développement et l’aide humanitaire avec 250 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) en 2022, selon les chiffres de l’ONU.
Diplomatie du gaz
Des événements conjoncturels expliquent également le maintien des relations entre les deux « blocs » continentaux. C’est le cas notamment des distorsions causées par la guerre en Ukraine, qui ont accéléré les négociations d’accords gaziers entre le groupe des 27 et l’Afrique. En effet, l’UE veut réduire de deux tiers sa dépendance vis-à-vis de la Russie pour les importations de gaz naturel. Pour rappel, jusqu’à présent, l’UE importait 40 % de son gaz de Russie. Ainsi, les pays producteurs tels que l’Algérie, le Maroc, la Guinée équatoriale, le Nigeria, le Sénégal et l’Angola suscitent de plus en plus l’intérêt des pays européens, comme en témoigne le plan REPowerEU, voué à diversifier leurs approvisionnements énergétiques.
D’autre part, l’UE a récemment actualisé sa liste de minéraux critiques pour renforcer la sécurité de ses chaînes d’approvisionnement. En raison de la pandémie de Covid-19 et de la politique restrictive de la Chine – qui représente près de 60% de la production mondiale annuelle d’éléments de terres rares – Josep Borrell, a suggéré que l’Afrique pourrait offrir une alternative stratégique pour diversifier les chaînes d’approvisionnement clés de l’espace européen. En effet, l’Afrique abrite de nombreux gisements de terres rares, notamment en Afrique du Sud, à Madagascar, au Malawi, au Kenya, en Namibie, au Mozambique, en Tanzanie, en Zambie et au Burundi.
43% DES ENTREPRISES TRAVAILLANT AVEC L’AFRIQUE PRÉVOIENT D’Y AUGMENTER LEURS INVESTISSEMENTS
C’est un positionnement similaire qui a amené Claudio Descalzi, le PDG d’ENI, à penser que « l’Europe devrait se tourner vers l’Afrique plutôt que vers les États-Unis pour remplacer l’énergie en provenance de Russie ». Et alors que l’Italie importait 45 % de son gaz de Russie, dès le mois de mars 2022, soit un moins d’un mois après le début de la guerre en Ukraine, Rome s’est tourné vers l’Afrique. Deux accords qui définissent les projets communs sur l’approvisionnement, la transition énergétique et la décarbonisation ont été signés entre ENI et l’algérien Sonatrach. Ainsi, la fourniture en gaz naturel algérien passera de 9 milliards à 15 milliards de mètres cubes par an en 2023 et à 18 milliards en 2024.
En parallèle, la société italienne accélère ses projets de GNL au Congo-Brazzaville, et prévoit d’exporter 1 milliard de mètres cubes en 2023 et 4 milliards de mètres cubes d’ici à 2025. De nouveaux contrats gaziers sont également en cours en Angola, au Mozambique, et en Côte d’Ivoire.
Exemples allemand et français
De son côté également, l’Allemagne veut placer ses pions sur le continent. Les initiatives « Plan Marshall avec l’Afrique » et « Compact with Africa » lancées en 2017 ont marqué le début de ce tournant. Plus récemment, Berlin a engagé des discussions avec le Sénégal (qui prévoit de produire 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié en 2023, et 10 millions en 2030), le Nigeria et la Mauritanie pour partager des gisements de gaz sur leurs côtes. Par ailleurs, selon une enquête menée en 2022 auprès des membres de l’Association des entreprises germano-africaines, les entreprises allemandes indiquent vouloir renforcer leur engagement sur le continent en 2023, en se concentrant notamment sur l’hydrogène vert et le gaz naturel liquéfié. En tout, 43% d’entre elles prévoient d’augmenter leurs investissements sur le sol africain. Une tendance qui dénote avec l’état d’esprit pré-Covid : en 2018-2019, l’intérêt des entreprises privées allemandes était extrêmement faible.
La France, elle, partenaire historique de l’ouest du continent doit faire face à l’émergence d’un sentiment antifrançais. L’époque du « pré-carré » africain semble avoir bel et bien disparu : d’après un récent rapport publié par le ministère français du Commerce, l’Afrique représente uniquement 5,3 % du commerce extérieur de la France. Un ratio qui a presque été divisé par deux en quinze ans. Pour autant, selon le dernier Rapport 2022 sur l’investissement dans le monde de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), la France figure parmi les plus grands détenteurs d’actifs étrangers en Afrique, avec 60 milliards d’euros. Sans oublier que l’Hexagone a tenu le rôle de porte-voix de la cause africaine, en plaidant dès avril 2020 dans le cadre du Club de Paris pour une « annulation massive des dettes ».
Pour renouveler son approche, et comme l’a indiqué le président Emmanuel Macron lors de son célèbre discours à Ouagadougou, Paris persévère avec une stratégie moins offensive qui repose sur un partenariat économique « plus pragmatique ». Par exemple, à l’initiative du gouvernement, l’Agence Française de développement a lancé sa filiale « Digital Africa », qui réunit incubateurs, financiers institutionnels, sociétés de capital-risque et pôles de haute technologie, qui vise à aider et à structurer les écosystèmes numériques sur le continent. Ce projet, mais aussi la commission Afrique de France Invest, en partenariat avec Bpifrance, illustrent bien cette approche nouvelle.
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