Par Thaïs Brouck (envoyé spécial à Casablanca)
Africa-Press – Djibouti. Entre promesses de financements non tenues et projets verts en quête de capitaux, l’Afrique peine à transformer l’ambition climatique en réalité économique. Les débats lors de l’AFIS 2025 à Casablanca l’ont montré: des solutions locales et innovantes existent mais souvent ignorées par les grands bailleurs.
« Historique ! » C’est ainsi qu’avait été qualifiée l’émission obligataire durable de 750 millions d’euros réalisée par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) en 2021. Le mot avait de nouveau été brandi pour décrire l’échange de dette contre nature du Gabon de 500 millions d’euros réussi en 2023, ou encore pour saluer l’obligation verte de 1 milliard de couronnes norvégiennes (soit 100 millions d’euros) émise la même année par la Banque africaine de développement (BAD).
Mais force est de constater que ces initiatives inédites ont peu, voire pas du tout, été imitées depuis. Malgré une croissance notable – le nombre d’émissions durables a progressé de 125 % entre 2022 et 2023, selon la Société financière internationale (IFC) – le marché africain des obligations durables reste anecdotique. En volume, il pèse moins de 2 % du total des obligations vertes ou durables émises au niveau mondial. Or les besoins de financement n’ont jamais été aussi élevés. « L’adaptation climatique, c’est la résilience des infrastructures, c’est-à-dire les ports, les routes, les aéroports ou l’agriculture qui vont devoir s’adapter à la montée des eaux ou à la hausse des températures », a rappelé Souad El Ouazzani, spécialiste services durables au sein de Forvis Mazars lors de l’Africa Financial Summit (AFIS)*, organisé les 3 et 4 novembre à Casablanca.
Rien que pour l’adaptation climatique, les besoins continentaux sont estimés entre 53 et 230 milliards de dollars. « Pourtant, l’Afrique ne parvient à mobiliser qu’entre 13 et 20 milliards de dollars », regrette-t-elle.
Projets risqués et peu rentables
Mais pourquoi la finance verte a-t-elle autant de mal à décoller en Afrique? « Il y a beaucoup de projets sur le marché mais la plupart ne sont pas rentables. Ils sont restés au stade de l’étude de faisabilité pendant des années, lesquelles études sont souvent dépassées. Pendant ce temps là, les besoins des pays ont changé, confirme Karim Ezzedine, vice-président de SkyKapital. Les investisseurs ne s’y intéressent pas suffisamment car ce sont des projets très risqués et peu rentables. Les primes de risques sont plus élevées, les réglementations ne sont parfois pas adaptées et les investisseurs ne connaissent pas bien ces marchés qui, par ailleurs, sont trop fragmentés. »
Pourtant, des solutions existent pour combler ce vide et convertir ces initiatives isolées en investissements massifs. « En tant qu’institution de développement, c’est à nous de structurer le marché et de faire en sorte qu’il y ait plus de projets de ce type sur le marché obligataire », estime Djalal Khimdjee. Le directeur général délégué de Proparco, qui revendique environ un milliard d’euros d’investissements par an dans la finance durable, poursuit: « Il est important que nous soyons présents en tant qu’investisseurs de référence pour attirer le privé ».
George Agyekum Donkor, le président de la BIDC, la Banque de développement de la Cedeao, estime pour sa part qu’il faut aller chercher l’argent où il se trouve, à savoir au sein des caisses de prévoyance et des fonds de pension africains. Selon la Fondation Mo Ibrahim, la valeur combinée des actifs des fonds de pension sur l’ensemble du continent s’élève à 205,9 milliards de dollars en 2022. « La charité commence à la maison, assène George Agyekum Donkor. Nous ne devrions pas avoir à dépendre de qui que ce soit pour la finance climat. Mais pour y parvenir, il faut dérisquer les projets verts et renforcer les capacités des analystes crédits sur le sujet. »
Penser régional pour agir local
Par ailleurs, les investisseurs ont besoin d’économies d’échelle. « Lorsque l’on a financé un projet d’énergie solaire au Togo, on ne devrait pas avoir à tout recommencer pour en financer un autre au Ghana. Les réglementations doivent être harmonisées. Il faut penser régional pour agir local », développe Karim Ezzedine qui regrette que les marchés financiers ne soient pas assez connectés: « Une obligation émise à Abidjan devrait facilement être accessible pour un investisseur basé au Nigeria ou au Maroc ».
Une autre piste repose sur le développement rapide du sukuk, la finance islamique, dont les préceptes s’alignent sur les objectifs de la finance durable: prohibition de la spéculation ; partage des profits et des pertes ; interdiction d’investir dans des secteurs illicites. À fin 2024, la Banque islamique de développement (BID) avait émis pour plus de 5 milliards de dollars de sukuk (investissements) verts et durables, destinés à des projets climatiques et sociaux. L’institution installée en Arabie saoudite vient de débloquer une nouvelle enveloppe de 10 milliards de dollars disponibles aux dix pays d’Afrique membres de la Ligue arabe.
« Les pays africains doivent se mobiliser mais il ne suffit pas de vouloir lever de l’argent, indique Ahmed Aboubacrine, le directeur de la BID pour l’Afrique du Nord. Les banques multilatérales de développement ont besoin de pipelines de projets, cela évite de tout recommencer. »
(*) L’Africa Financial Summit est organisé par Jeune Afrique Media Group, en partenariat avec la Société financière internationale (IFC).
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