L’Afrique, futur hub mondial de l’hydrogène vert ?

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L’Afrique, futur hub mondial de l’hydrogène vert ?
L’Afrique, futur hub mondial de l’hydrogène vert ?

Africa-Press – Djibouti. Rendez-vous était donné à Aix-en-Provence, le 3 mai dernier. Petit cours de chimie et grandes discussions scientifiques pour restituer l’état actuel de la science et des recherches sur un sujet complexe : l’hydrogène, cette énergie qui pourrait devenir une source d’énergie verte alternative. « L’Hydrogène demain : mythes et réalités » était donc le sujet de cette 13e édition des Tables rondes de l’Arbois et de la Méditerranée qui organisent chaque année une conférence de deux jours autour de scientifiques et d’experts dans le grand amphithéâtre de la faculté de droit d’Aix-en-Provence. L’objectif est de diffuser les connaissances scientifiques, d’informer, de débattre et de donner aux citoyens les clés pour comprendre les grands enjeux actuels.

« Le monde tel qu’on le voudrait ne peut exister que si les options énergétiques du XXIe siècle sont respectueuses des biens communs et accessibles par les plus démunis. Le vecteur hydrogène est une promesse pour l’obtention d’une telle énergie », affirme le professeur et fondateur de cet événement, Daniel Nahon.

« Ce sujet a été remis sur le devant de la scène avec la guerre en Ukraine, l’augmentation du prix de l’énergie, notamment du gaz, tout comme la crise climatique de plus en plus tangible », rappelle Fahd Benkirane, directeur pour la France de l’université Mohammed-VI Polytechnique, à l’ouverture de la conférence. « L’Hydrogène bénéficie d’une pertinence temporelle sans précédent, car il offre une lueur d’espoir dans la résolution de problématiques économiques et environnementales. L’exploitation des capacités excédentaires des énergies renouvelables pour créer de l’hydrogène constitue un cercle vertueux dans la quête d’une croissance humaine plus verte et plus durable », poursuit-il.

Pour autant, l’hydrogène n’est pas une découverte récente. Jules Verne, en romancier d’anticipation visionnaire, l’avait décrit dans son roman L’Île mystérieuse en 1875. « Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir », faisait-il dire à l’un de ses personnages. Daniel Nahon rappelle aussi que l’hydrogène est le carburant utilisé dans la propulsion des fusées et que sa capacité énergétique est supérieure à tous les autres carburants.

Dans la nature, l’hydrogène est associé à d’autres éléments, du carbone pour former le méthane et à de l’oxygène pour constituer l’eau. Par exemple, la formule en chimie de l’eau (H2O) est composée d’hydrogène (H2) et d’oxygène (O). Pour isoler l’hydrogène, il faut donc le séparer des autres éléments.

À ce jour, plus de 90 % de la production d’hydrogène est réalisé par gazéification à partir d’une énergie fossile. Mais l’objectif et l’urgence sont bien de développer la production d’hydrogène à partir de l’électrolyse de l’eau, via une énergie renouvelable, ce qui permet de séparer les éléments – oxygène et hydrogène – et de produire un hydrogène décarboné, ou vert. Et inversement, dans le procédé, si on mélange de l’hydrogène avec de l’oxygène à travers l’utilisation d’une pile à combustible, on va pouvoir produire de l’électricité. « Cet hydrogène décarboné va certainement jouer un rôle très important dans la transition énergétique », anticipe Abdelilah Slaoui, directeur de recherche au CNRS, responsable de la cellule énergie.

L’hydrogène produit aujourd’hui sert principalement à la fabrication d’ammoniac, matière première qui compose les engrais, et au raffinage des produits pétroliers, afin de désulfurer les carburants. Dans le monde, près de 60 millions de tonnes d’hydrogène sont produites par an.

« L’hydrogène n’est pas une énergie en soi, mais un vecteur d’énergie. Une fois produit, il faut le stocker, le transporter et l’utiliser », explique Abdelilah Slaoui. Les utilisations potentielles sont multiples. Déjà, 600 taxis parisiens roulent à l’hydrogène. La technologie peut s’adapter aux camions, aux trains, aux bateaux et demain aux avions. Dans le secteur de l’industrie lourde, les chercheurs l’imaginent en remplacement des énergies fossiles notamment pour l’acier et le ciment.

Pour toutes ces applications potentielles, les enjeux majeurs pour les chercheurs restent d’améliorer les performances, de réduire les coûts et la durabilité des systèmes de production, de stockage et de transport de l’hydrogène.

Tous s’accordent pour évoquer l’énorme potentiel du continent africain en ressources naturelles. « Solaire, éolien, mais aussi hydraulique – par exemple, la République démocratique du Congo a un potentiel énorme – pour faire de l’hydrogène, sans parler de la biomasse. Toutes ces ressources en énergies renouvelables peuvent être exploitées pour l’électrification et la production d’hydrogène », commente Paul Duchesse, président de l’accord hydrogène de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). « L’Afrique devrait se mobiliser. Chaque pays à son génie énergétique. Le solaire et l’éolien pour le Maroc et la Mauritanie, les déchets de bois au Gabon, mais aussi la géothermie pour Djibouti. Au Mali, il y a même de l’hydrogène blanc, un hydrogène naturel », précise Marc Guillaume, professeur à Polytechnique.

La production d’hydrogène vert en Afrique devrait atteindre 50 millions de tonnes par an d’ici 2035, selon un rapport de la Banque européenne d’investissement, de l’Alliance solaire internationale et l’Union africaine, publié en novembre dernier : « Africa’s Extraordinary Green Hydrogen Potential » (L’extraordinaire potentiel de l’Afrique dans le domaine de l’hydrogène vert). L’analyse met en évidence les avantages de l’exploitation de l’énergie solaire pour créer de l’hydrogène vert dans quatre pôles africains : Mauritanie, Maroc, Afrique australe et Égypte. « Économiquement viable à 2 €/kg, l’hydrogène vert peut accélérer la croissance économique à faible intensité de carbone sur tout le continent et réduire les émissions de 40 % », selon le rapport.

« L’Afrique dispose aussi de ressources minérales importantes pour la transition énergétique. La RDC abrite les plus grandes réserves de cobalt, même si l’exploitation est sujet à beaucoup de polémiques. Si le contexte est là, il faut un cadre politique stable pour que les industriels et les investisseurs aient confiance. Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne », observe Paul Duchesse.

La Mauritanie est toujours citée pour son extraordinaire potentiel. « Elle a des minerais de fer, beaucoup de vent et soleil, rien n’interdit, d’installer des industries sidérurgiques pour que le pays, qui a une faible population, exporte de l’acier décarboné », poursuit-il.

« Au Maroc, les fondements d’une souveraineté énergétique sont là. Le complexe Noor Ouarzazate abrite l’une des plus grandes centrales solaires au monde. Avec une telle dynamique, notre objectif 52 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, y compris l’hydrogène vert est à portée de main », explique Fahd Benkirane.

Le premier objectif est de produire de l’ammoniac vert. Pour le groupe marocain, l’OCP, qui produit des engrais, il s’agit de progressivement remplacer les importations d’ammoniac par de l’ammoniac produit sur place à partir d’énergies renouvelables. Pour ce faire, l’OCP en partenariat avec l’université Mohammed-VI Polytechnique (UM6P) accélère la recherche dans ce domaine.

« Notre ambition est de faire du Maroc un leader mondial dans l’industrialisation et le développement de l’hydrogène vert. L’UM6P continue d’établir des partenariats stratégiques au niveau national et international, notamment avec l’installation de projets pilotes d’ammoniac vert dans les installations du groupe OCP, en vue d’une industrialisation à plus grande échelle », commente Fahd Benkirane.

« L’Afrique peut garantir l’accès à une énergie propre et durable sur le continent et devenir un acteur mondial de l’énergie grâce aux exportations d’hydrogène vert », affirme le rapport sur l’hydrogène vert en Afrique qui évalue aussi les investissements nécessaires à 1 000 milliards d’euros. Peut-être… mais avant d’exporter de l’hydrogène vert, l’Afrique ne devrait-elle pas déjà s’éclairer, utiliser cette énergie pour se développer ? « La Namibie fait l’objet de beaucoup d’attention de la part de l’Allemagne », constate Paul Duchesse, qui reconnaît que « des rapports très critiques de la part d’ONG, ont été publiés sur cette politique allemande ». De son côté, Marc Guillaume insiste : « Les Africains doivent prendre l’initiative, s’appuyer sur de petits projets qui peuvent grandir. » Pour les très gros projets, comme ceux qui émergent en Mauritanie, « c’est aux pays africains d’être dans la négociation, de faire jouer la concurrence entre l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Japon… ».

Pour conclure d’une manière optimiste ces deux jours de tables rondes, Hicham El Habti président de l’IM6P affirme que « l’Afrique est tellement généreuse qu’elle va contribuer à la décarbonation de l’économie mondiale ».

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