Pierre Goudiaby Atepa : « Le gagnant-gagnant chinois n’est pas bon pour l’Afrique »

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Pierre Goudiaby Atepa : « Le gagnant-gagnant chinois n’est pas bon pour l’Afrique »
Pierre Goudiaby Atepa : « Le gagnant-gagnant chinois n’est pas bon pour l’Afrique »

Africa-Press – Djibouti. L’ambition est son maître mot. Pour ses projets, le secteur privé sénégalais et le continent. Architecte de renom aux multiples réalisations et figure du monde des affaires ouest-africain, Pierre Goudiaby Atepa, à la tête du groupe éponyme, est devenu mi-janvier le président du Club des investisseurs sénégalais (CIS). Créée en 2018 par le fondateur du leader de l’aviculture Sedima, Babacar Ngom, et comptant 80 membres, l’organisation patronale défend la place du secteur privé national dans le développement du pays.

Alors que la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont rappelé la nécessité de renforcer la souveraineté nationale, cette revendication initiale trouve un écho renouvelé. C’est dans ce contexte que Pierre Goudiaby Atepa, jusqu’ici vice-président du CIS, endosse sa nouvelle fonction. Une de plus dans un parcours qui en compte de nombreuses, dont celle d’ancien conseiller du président Wade et d’ex-patron de la Bourse régionale (BRVM).

Fervent défenseur du littoral sénégalais, l’architecte né à Ziguinchor, en Casamance, qui ne cache pas son soutien à l’opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko, déploie sa feuille de route pour le patronat national tout en portant un regard sans concession sur l’essor de Dakar.

Jeune Afrique : Vous avez pris la tête du CIS en début d’année, succédant au fondateur du club et président du groupe Sedima, Babacar Ngom. Quelle est votre priorité ?

Pierre Goudiaby Atepa : Je tiens à rendre hommage au président sortant, qui a donné le la pour que le secteur privé sénégalais prenne toute sa place dans l’émergence du pays. C’est plus que jamais notre priorité alors qu’on a laissé ces dernières années des acteurs étrangers, notamment chinois, jouer notre rôle. Il y a près de quarante-cing ans, nous avons construit l’immeuble le plus haut de Dakar [la tour de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont il a été l’architecte] rien qu’avec des entreprises sénégalaises. Il est inconcevable que l’on ne puisse pas faire de même aujourd’hui.

Le gagnant-gagnant chinois n’est pas bon pour l’Afrique parce qu’il n’apporte pas de véritable transfert de compétences. Il est temps de rééquilibrer la situation en faveur des acteurs nationaux, qui ne doivent plus se contenter des miettes. Cela signifie être plus exigeant dans les partenariats conclus avec l’étranger en pariant sur d’autres acteurs.

Comment faire concrètement ?

Le G7 a annoncé en juin un plan d’investissement de 600 milliards de dollars dans les infrastructures destinés en priorité à l’Afrique. Cette volonté des Européens et des Américains de contrecarrer l’influence de la Chine sur le continent est du pain bénit pour nous. Combinée à notre richesse en matières premières, elle va nous permettre de conclure des partenariats qui, pour être féconds, doivent prendre la forme de coentreprise et inclure un réel transfert de compétences. Sans cela, pas d’accord. C’est cette stratégie qu’il faut adopter pour l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz. Sur ce point, si nous saluons la qualité de la législation adoptée par le gouvernement, nous sommes et resterons vigilants sur sa mise en œuvre.

Cette approche est aussi au cœur du projet porté par votre groupe, l’Alliance africaine de l’acier et de l’aluminium. Il ambitionne d’utiliser le gaz sénégalais pour produire l’énergie nécessaire à la transformation en acier et aluminium des importantes ressources en fer et bauxite de la Sierra Leone et de la Guinée. Comment convaincre les investisseurs ?

Ce projet, qui a reçu le soutien des trois exécutifs ouest-africains, est à même de créer un déclic pour l’essor de la région. Le tonnage de fer par habitant donne une indication du niveau de développement. Ainsi, on compte 1 000 kg de fer par habitant aux États-Unis et 600 kg en Chine, contre 50 kg sur le continent, Afrique du Sud comprise, la barre du développement se situant à 200 kg. Ce n’est pas un hasard si l’industrialisation de l’Europe s’est réalisée via la Communauté du charbon et de l’acier…

SUR LE PLAN DES INFRASTRUCTURES, MACKY SALL A FAIT DU BON BOULOT

Fort de ce constat, nous avons réalisé une analyse chiffrée des ressources et du potentiel du marché dans le contexte mondial. Cela nous a permis de mettre au point une structuration juridique et financière assurant l’exploitation du fer et de la bauxite. Le modèle, qui a pour prérequis la coentreprise et le transfert de compétences, est rentable, donc attractif. Si le G7 est sérieux dans ses promesses, les groupes industriels issus des pays le composant ne peuvent qu’embarquer dans le projet.

D’aucuns vont crier à l’éléphant blanc…

Il n’en est rien. La plupart des éléphants blancs sortent des cartons des États. Ce n’est pas le cas de notre plan, solide car conçu par le secteur privé. Il faut sortir de la logique des soixante dernières années qui a consisté à multiplier les petits projets financés en quémandant auprès du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale.

Il faut avoir de l’ambition, et celle-ci doit notamment être portée par le monde entrepreneurial. C’est lui qui peut concevoir de grands projets structurants capables de sortir les pays du sous-développement en créant des emplois. Pour tracer la voie avec les États.

Dans le cas de Dakar, la puissance publique a été motrice dans l’aménagement de la ville. Quelle évaluation en faites-vous ?

Sur le plan des infrastructures, même si certaines comme le TER ont coûté trop cher et même si on aurait pu aller plus loin dans le cas du BRT en optant directement pour un tramway au lieu des bus électriques, il faut reconnaître que la présidence Macky Sall a fait du bon boulot.

Concernant la modernisation de la capitale, le bilan est en demi-teinte. Si je ne peux que saluer la création d’une ville nouvelle à Diamniadio comme moyen de désengorger Dakar tout en créant un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie, je déplore l’absence d’une vision forte pour la ville-centre qui doit conserver son âme et son sens.

Diamniadio, maintenant desservie par le TER, abrite d’importants projets immobiliers, dont une cité pour accueillir l’ensemble des équipes des Nations unies et plusieurs hôtels. Pour autant, il y a beaucoup d’interrogations sur l’avenir de la ville. Croyez-vous à son succès ?

Pratiquement toutes les capitales africaines vont voir leur population doubler dans les vingt ans à venir. La création de nouveaux pôles urbains est donc une nécessité. Le mérite du président Macky Sall est d’avoir osé la réalisation de Diamniadio, même s’il est vrai que le sol composé entre autres d’argile gonflante pose un problème sérieux. Avec le président Wade, notre choix s’était porté sur le site du lac Rose.

LA GESTION DU LITTORAL EST LE PLUS GRAND SCANDALE DE DAKAR

Devant cet impératif de trouver une solution à l’explosion démographique de nos villes, mon cabinet a mis au point un modèle économique intéressant car il permet la construction de villes nouvelles intelligentes qui non seulement ne coûtent rien à l’État mais permettent aussi de renflouer ses caisses et de créer des centaines de milliers d’emplois. Ce modèle repose sur la structuration d’une valorisation foncière par la création d’un fonds commun de créances – FCC– (Special Purpose Vehicle, SPV) ad hoc.

La première ville nouvelle à être réalisée sur ce modèle est celle de Kitoko, à 40 kilomètres de Kinshasa, une capitale qui devrait voir sa population passer de 18 millions d’habitants aujourd’hui à plus de 30 millions en 2040.

Pour revenir à Dakar, un autre enjeu clé est la protection du littoral, l’un de vos chevaux de bataille. Alors que la pression sur le foncier ne cesse de croître, ce combat est-il perdu ?

La gestion du littoral est sans nul doute le plus grand scandale de Dakar. Alors que le domaine public maritime est inaliénable, une clause permet de le déclassifier pour cause d’utilité publique. Or, par le jeu de la corruption, de très nombreux individus, dont des personnalités établies, obtiennent des déclassifications « d’utilité privée » pour spéculer sur la plage dont tout le monde devrait pouvoir profiter.

C’est une mafia dont il faut se débarrasser. Mais, sans volonté politique, c’est impossible. Malgré ce constat sombre, la bataille n’est pas perdue. Pour preuve, après plus de vingt ans à le réclamer, l’aménagement de la corniche ouest est enfin en cours de réalisation. Un signal positif qui, je l’espère, en annonce d’autres.

Quels sont les modèles dont la capitale sénégalaise devrait s’inspirer pour réussir sa mue ?

Sur le continent, il y a quelques réalisations à mettre en avant parce qu’elles ont impliqué d’avoir le courage de prendre des décisions difficiles – souvent casser l’existant – pour aller de l’avant. Voyez les corniches de Casablanca et de Rabat, au Maroc, ainsi que l’aménagement de la baie de Cocody à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Pour un projet global de ville, il faut regarder plus loin. À mes yeux, le modèle économique et urbain demeure sans conteste Dubaï, une monarchie qui a su utiliser son pétrole pour diversifier son économie et assurer son essor spatial en construisant des îles sur l’eau. Une perspective stimulante pour la Dakar de demain.

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