Vincent Le Guennou (Africa50) : « Quand un institutionnel africain s’engage, c’est un signal positif »

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Vincent Le Guennou (Africa50) : « Quand un institutionnel africain s’engage, c’est un signal positif »
Vincent Le Guennou (Africa50) : « Quand un institutionnel africain s’engage, c’est un signal positif »

Aurélie Benoit

Africa-Press – Djibouti. Importance des infrastructures, implication des institutionnels, mitigation du risque… Le codirecteur général de l’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund (IAF) partage sa stratégie avec Jeune Afrique alors que le fonds s’apprête à réaliser ses premières transactions.

En décembre 2023, la plateforme d’investissement panafricaine Africa50 annonçait le premier closing de l’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund (IAF) à 225 millions de dollars, soit presque la moitié de la taille cible de 500 millions de dollars. Un accouchement long – le véhicule a été annoncé en 2021 – mais qui se veut pionnier pour le financement des infrastructures africaines.

Depuis Casablanca, siège d’Africa50, les équipes ont réuni pour ce premier tour de table 16 institutionnels africains dont le fonds souverain nigérian et la Banque africaine de développement (BAD), maison mère d’Africa50. Une performance rare dans le paysage du capital-investissement africain où les gestionnaires de fonds ont pour habitude de se tourner vers des bailleurs internationaux. Pour convaincre ces institutionnels africains, le directeur général d’Africa50, Alain Ebobissé, a confié le pilotage du véhicule à un expert de l’industrie: Vincent Le Guennou.

Cofondateur et managing partner durant près de vingt années d‘Emerging Capital Partners (ECP), qui a géré jusqu’à 2 milliards de dollars d’actifs en Afrique, le Franco-Camerounais est un profil hautement qualifié, rompu aux problématiques – nombreuses – de l’investissement sur le continent.

Importance des infrastructures, implication des institutionnels, mitigation du risque… Le codirecteur général de l’Africa50 IAF partage sa stratégie avec Jeune Afrique alors que le fonds s’apprête à réaliser ses premières transactions.

Jeune Afrique: Avec Infrastructure Acceleration Fund, Africa50 s’est distingué en démarchant des institutions africaines. Pourquoi avoir choisi ce modèle ?

Vincent Le Guennou: Cela relève tout d’abord des chiffres. La BAD a évalué le déficit d’infrastructures sur le continent à 100 milliards de dollars par an et a relevé, d’autre part, que plus de 2 000 milliards de dollars de fonds étaient disponibles dans les bilans des investisseurs institutionnels africains: des fonds souverains, des fonds de pension ou encore des compagnies d’assurance. Il semble donc difficilement concevable qu’ils ne soient pas plus visibles dans le capital-investissement africain. Nous avons décidé de les convaincre d’investir dans les infrastructures en Afrique.

Ensuite, avoir 16 investisseurs du continent est très novateur et d’après mon expérience, c’est unique et très positif. Puisque, lorsque l’on va démarcher des investisseurs dans d’autres régions du monde, ils sont convaincus que les Africains croient en leur propre futur.

Ensuite, la présence d’institutionnels africains rassure car ils peuvent aider, dans leur pays d’origine, à naviguer face à des réglementations et des environnements juridiques parfois complexes, comme les contrats de concessions. Enfin, ces institutions sont aussi des sources d’opportunité qui connaissent leur terrain et peuvent faciliter la recherche de transactions.

Au vu des fonds disponibles et des avantages mis en avant, comment expliquer cette frilosité historique de la part des institutionnels ?

Il est difficile de généraliser, chaque situation varie. Beaucoup n’étaient pas familiers de cette classe d’actifs quand d’autres connaissaient ces produits financiers mais n’avaient pas vocation à sortir de leur champ géographique de prédilection. Finalement, avoir Africa50 en tant que sponsor a apporté du crédit à la démarche car c’est une institution reconnue.

Maintenant que vous avez levé près de la moitié de votre objectif initial, comment comptez-vous investir et selon quel calendrier ?

Notre période d’investissement est de cinq années, à partir du premier closing, donc il ne faut pas se précipiter et rester sélectif dans nos investissements. Nous ciblons deux à trois investissements par an et l’objectif à terme est 10 à 12 participations avec un équilibre entre prises de participation minoritaires et majoritaires ; ces dernières requièrent un temps et une attention accrues des équipes.

Le fonds prendra des participations supérieures à 40 millions de dollars, ce qui le distingue d’Africa50 Project Finance dont les investissements sont minoritaires et n’excèdent pas 40 millions de dollars. La taille de nos tickets pourra être significativement augmentée grâce aux possibilités de co-investissement offertes à nos investisseurs.

Quand on voit l’immensité des besoins en matière d’infrastructures en Afrique et la complexité de certains projets… Comment s’assurer de construire un portefeuille solide ?

L’équilibre doit se faire selon plusieurs grands axes. D’abord géographique, avec une très large couverture du continent, puis au niveau des secteurs avec des priorités à l’énergie, l’eau, l’assainissement, le transport, la logistique mais aussi les infrastructures digitale et sociale, telles que l’éducation et la santé.

Il faut aussi un équilibre entre les différents couples risques-rendements attendus, en mixant des investissements. Certains auront plutôt un profil low risk-low returns [faible risque-faible rendement], comme dans le cas d’un producteur indépendant d’électricité (IPP) par exemple, dont les revenus sont contractualisés et donc garantis ; d’autres se présenteront comme des actifs dont les revenus sont exposés à la demande des consommateurs et dont les retours attendus sont plus élevés, à la mesure du risque pris.

D’expérience, comment reconnaissez-vous les ingrédients d’un bon actif ?

La qualité des partenaires reste primordiale: avec un mauvais partenaire, cela peut mal se passer même dans des secteurs porteurs et avec une société performante.

Un autre point de vigilance à garder à l’esprit quand vous gérez un fonds libellé en dollars est la dépréciation des monnaies. Quand je parle aux investisseurs, c’est une question que je n’élude pas car elle est très importante dans la construction d’un portefeuille et dans la structuration des transactions. Si vous regardez sur une période de quinze ans environ, les monnaies africaines se sont dépréciées de près de 45 % en moyenne. C’est impressionnant.

Comment juguler ce risque alors, en particulier dans le monde des infrastructures ?

On en revient à la question de la diversification géographique et sectorielle. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu toutes les monnaies africaines s’effondrer en même temps. Il faut également compter sur les secteurs dont les revenus sont libellés en dollars, notamment certaines infrastructures dans la logistique portuaire ou les transports.

Il faut aussi s’assurer que les contrats de concession dans le cadre de partenariats public-privé – routes, ponts, centrales électrique notamment – comportent les clauses permettant des ajustements de tarifs en cas de dévaluation de la monnaie afin que les dépenses d’exploitation et le service de la dette soit couverts lorsqu’ils sont libellés en devises.

Il y a aussi une autre situation: celle où vous êtes dans une industrie tellement clé que vous avez un pouvoir de négociation sur vos consommateurs et que vous pouvez ajuster vos tarifs.

Il est souvent dit que l’Afrique souffre d’un biais de perception du risque. Depuis vos débuts sur le continent, avez-vous noté une évolution positive de cette vision ?

Au début de ma carrière, nous étions plutôt en bas du cycle en matière de perception du risque et puis les choses se sont améliorées vers la fin des années 2000 et avant la crise financière. Et à nouveau, on a senti une descente progressive jusqu’au moment où on parle, à un point peu élevé.

Mais cela représente une fenêtre d’opportunité pour les institutionnels qui doivent assurer pleinement leur rôle. Lors d’une crise, certains investisseurs peuvent être tentés de partir ou de ne pas venir tout court. Mais du côté institutionnel, le point de vue est différent avec une vision plus sur le long terme.

Les fonds dédiés aux infrastructures semblent connaître un fort regain d’intérêt dans le monde avec le rachat récent de Global infrastructure partners (GIP) par BlackRock ou encore Actis par General Atlantic… Pensez-vous que cet engouement puisse bénéficier au continent ?

Il est difficile d’apporter une réponse définitive à ce sujet. Je sais juste que si nous arrivons à démontrer que ce que nous faisons est rentable, il y aura un effet positif et d’autres institutionnels se rapprocheront du continent et de cette classe d’actifs en particulier, et cela sera bénéfique pour la réduction du déficit d’infrastructures en Afrique.

Vous venez de réaliser le premier closing, vous êtes donc tout près du premier investissement…

Il y a trois ou quatre projets en concurrence et il y a toujours des analyses et négociations à mener. Je ne saurais dire quel projet passera la ligne en premier mais espérons que d’ici à la fin du premier semestre, nous aurons une bonne nouvelle !

Source: JeuneAfrique

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