Africa-Press – Djibouti. Il est des matins où la culture murmure plus fort que les discours, où les mots anciens se fraient un chemin dans nos mémoires dans un surgissement fracassant. Ce 20 avril 2025, à partir de 9h30, le Centre d’Étude et de Recherche de Djibouti (CERD) a accueilli une cérémonie aussi solennelle qu’émouvante: le lancement officiel de la publication de trois pièces de théâtre somali, collectées, transcrites en somali, traduites en français et annotées par Dr. Fatouma Mahamoud Hadji Ali.
Universitaire chevronnée, critique littéraire et passionnée de culture somali, Fatouma Mahamoud Hadji Ali a consacré de longues années à étudier les tensions entre traditions et modernité dans le théâtre à Djibouti. Son doctorat soutenu en 2017, véritable pierre angulaire de son travail, portait sur la confrontation des valeurs culturelles dans le théâtre somali de Djibouti.
La cérémonie a été inaugurée par la Ministre de la Jeunesse et de la Culture, Son Excellence Dr Hibo Moumin Assoweh, qui a salué le « travail titanesque » accompli par la chercheuse. Dans une allocution empreinte de chaleur et de gravité, la ministre a souligné l’importance de sauvegarder un patrimoine oral en voie de disparition. Elle a rappelé avec éloquence que, dans les cultures nomades dont nous sommes les héritiers, la poésie et le théâtre sont bien plus que des arts: ce sont des piliers de la mémoire collective, transmis oralement et commémorés collectivement. C’est ensuite le Ministre de l’Enseignement supérieur, Son Excellence Dr Nabil Mohamed Ahmed, qui a pris la parole. Lui aussi a exprimé son admiration pour cette œuvre de transmission. Dans un ton complice, il a salué sa collègue ministre, également chercheuse en littérature, et a souligné la portée symbolique de cette publication. « La culture, a-t-il déclaré, est l’âme d’un peuple. Et la préserver est notre responsabilité commune. » Il a particulièrement insisté sur les thèmes abordés dans ces pièces, notamment la place des femmes, question essentielle dans une société écartelée entre le respect des traditions et les aspirations à la modernité.
Le cœur de la matinée fut sans nul doute l’intervention de Dr Fatouma elle-même. Emue et dans un souffle empreint d’humilité et de reconnaissance, elle a remercié les deux ministres présents, ainsi que le public venu nombreux — chercheurs, cadres, amis, collègues, parents, artistes, et amoureux du théâtre. Apres de longs applaudissements, Elle a pris le temps d’expliquer les raisons profondes de son entreprise.
D’abord, rendre hommage aux auteurs, deux grandes figures de la dramaturgie somalie: Hassan Elmi Dirié et Ibrahim Souleiman « Gadhle », véritables architectes du rire, de la réflexion et de l’émotion durant plus d’un demi-siècle. Ensuite, offrir des supports pédagogiques aux collégiens, lycéens et étudiants, pour que ces textes puissent vivre dans les salles de classe autant que sur les scènes. Enfin, souligner que ces œuvres, bien qu’ancrées dans la tradition, posent des questions d’une actualité brûlante: le rapport entre les sexes, l’identité, la modernité, l’éducation, la famille, l’argent et l’émancipation féminine.
Loin d’être de simples translittérations, les traductions de Dr Fatouma restituent le souffle poétique originel de la langue source, cette langue somalie versifiée, chantante, conçue pour être mémorisée, récitée, incarnée. Le vœu le plus cher de l’auteure repose sur la relance de ce théâtre, un retour sur la scène de ces œuvres majeures, jouées en somali comme en français. Elle souhaite qu’elles soient portées par la jeunesse, non comme un poids du passé, mais comme une parole vivante et actuelle.
Ce souhait ne restera pas lettre morte: la ministre de la Jeunesse et de la Culture a confirmé que la troupe « Jeunes Talents », parrainée par son ministère, répète actuellement Le Pari des Trois (Sadex baa isku faantay), une pièce où passé, présent et futur dialoguent et s’affrontent dans une fresque aux accents philosophiques.
À l’issue des discours, les applaudissements ont laissé place à un moment plus intime: une séance de dédicaces pleine de sourires, suivie d’une pause-café. Les conversations s’y sont prolongées, nourries par l’émotion et la fierté collective.
Hier matin, au CERD, la parole s’est faite mémoire et promesse. Dans le silence des livres fraîchement publiés, dans le murmure des vers somalis restitués à leur dignité et révélés aux jeunes générations, on croyait entendre les pas du passé foulant doucement le seuil du présent.
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