Africa-Press – Djibouti. L’étude des sons animaux, ou bio-acoustique, est très utile dans la conservation des espèces animales. En complément de méthodes de comptage, elle offre un suivi pointu de la diversité des espèces: non seulement elle permet d’estimer la taille d’une population, mais aussi d’identifier sa répartition géographique et de comprendre les schémas de migration des espèces.
Mieux encore, la bio-acoustique permet de singulariser des individus au sein des espèces, expliquait Thierry Aubin, responsable de l’équipe de communications acoustiques de l’Université Paris-Saclay dans un article publié par La Recherche en 2019.
Au-delà du décodage du langage animal, la bio-acoustique, par l’analyse d’enregistrements de paysages sonores, nous informe sur l’état de santé d’un écosystème. Les sons animaux aident notamment à mieux comprendre les impacts des pollutions sonores humaines. On comprend dès lors pourquoi ces informations sont essentielles pour élaborer des stratégies de gestion et de conservation de l’environnement.
La visualisation des sons animaux actuelle n’est pas encore maîtrisée
L’étude actuelle des sons d’animaux en biologie et en écologie se fait largement par la représentation temps-fréquence (TF). Les spectrogrammes de transformé de Fourier à court terme (TFCT) constituent le type de visualisation le plus courant pour les sons d’animaux, selon une étude de l’Université de Warwick (Angleterre) et l’Université de Nouvelles-Galles du Sud (Australie) et publiée le 3 juillet 2024.
Or, cette méthode ne rend pas avec précision les détails temporels et spectraux simultanément: elle présente des difficultés à mesurer à la fois les rythmes et la hauteur des sons, en particulier pour les fréquences basses. Le recours à cette méthode a donc pu conduire à une mauvaise interprétation des sons émis par les animaux jusque-là.
Dans l’analyse de sons d’animaux complexes, comme ceux des baleines, cette technique est donc très perfectible, notamment lorsque l’on distingue des sons d’animaux similaires dans le but d’identifier l’espèce ou la population source, signale l’étude. Une représentation temps-fréquence idéale devrait transmettre avec précision la structure du son en termes de fréquence et de temps… ce que la TFCT n’est pas en mesure de faire.
De nouvelles méthodes qui ajoutent un niveau de complexité à l’analyse des sons
Les experts ont donc cherché à affiner la manière d’extraire des informations à partir des enregistrements acoustiques. Depuis les années 1940, la recherche scientifique a déjà beaucoup progressé à ce sujet avec de nombreuses avancées dans l’analyse temps-fréquence.
Alors que la TFCT nécessite déjà un haut niveau d’expertise, ces nouvelles méthodes ajoutent cependant un niveau supplémentaire de complexité à l’analyse des sons, tant sur le plan informatique qu’en termes d’expertise requise par rapport à la TFCT. Il existe donc un réel besoin d’une méthode robuste, simple, familière, précise et facilement utilisable pour les chercheurs ne disposant pas d’une expertise en matière de traitement des signaux.
Les chercheurs ont trouvé une nouvelle technique sur les sons d’animaux qui pourrait être très prometteuse comme outil pour freiner l’extinction des espèces à l’avenir. Alors que la technologie bio-acoustique est en pleine expansion, qu’est-ce qui rend cette nouvelle découverte si novatrice ?
C’est précisément la combinaison de deux outils scientifiques qui pourrait révolutionner la bio-acoustique: la méthode la plus performante à ce jour d’analyse des sons d’animaux de basse fréquence, elle-même exploitée grâce à un nouvel outil logiciel du nom de BASSA.
La super-résolution temps-fréquence offre des résultats très précis
Dans l’étude, les chercheurs testent la précision de quatre méthodes de représentation temps-fréquence existantes à l’aide d’un signal de test synthétisé ressemblant à un son animal à basse fréquence.
L’utilisation d’un signal de test synthétique dont les propriétés temps-fréquence sont connues a permis de définir une représentation temps-fréquence synthétique de « réalité de terrain », servant de référence pour la comparaison avec les représentations temps-fréquence générés par les quatre méthodes.
Les chercheurs évaluent ensuite la concordance de chaque représentation avec la vérité de terrain à l’aide de mesures statistiques de la similarité et de l’erreur d’image.
Ils appliquent ces méthodes à la visualisation des sons de la baleine bleue de Chagos, de l’éléphant d’Asie, du casoar à casque (un grand oiseau d’Australie), du Psophode à tête noire (oiseau d’Australie), du mulloway (un poisson d’Australie) et du crocodile américain.
L’étude apporte deux conclusions. D’abord, les chercheurs ont jugé le « Superlet transform » (SLT), méthode introduite en 2021, comme la plus performante parmi celles qui ont été testées pour visualiser des sons d’animaux complexes à basse fréquence.
« Superlet transform » est une super-résolution temps-fréquence, qui utilise des ensembles d’ondelettes avec une largeur de bande de plus en plus restreinte, selon une étude de Nature publiée le 12 janvier 2021. Ces ondes sont combinées géométriquement afin de maintenir la bonne résolution temporelle des ondelettes individuelles et de gagner en résolution de fréquence dans les bandes supérieures. Les résultats de l’étude montrent que cette méthode est bien plus précise que les précédentes: « Superlet transform » visualise le signal de test avec 18,48% à 28,08% d’erreur en moins que les autres méthodes !
Le graphique suivant montre que la représentation temps-fréquence produite par le SLT présente une résolution temporelle suffisante et les périodes de silence entre les impulsions sont bien mieux définies. La résolution en fréquence est elle-aussi bien meilleure et permet de visualiser avec précision la structure harmonique du signal test. Au temps = 6s, les composantes de la bande latérale restent visibles.
Représentation temps-fréquence de la résolution du signal test avec quatre méthodes, a) visualisation du signal test « réalité de terrain », b) spectrogramme TFCT court, c) spectrogramme TFCT long, d) scalogramme CWT et e) scalogramme SLT du signal test. Une représentation temps-fréquence idéale présente une ressemblance maximale avec la représentation temps-fréquence du signal test « réalité de terrain ».
« Superlet transform » est une avancée majeure pour la science: non seulement de nouvelles informations scientifiques ont pu être révélées mais elle remet aussi en cause des détails contestés au sujet d’espèces menacées d’extinction.
Les chercheurs ont ainsi découvert que les éléphants d’Asie produisent des sons pulsés, et pas seulement des tonalité continues ; ils ont également détecté des pulsations similaires dans les appels des casoars à casque et des crocodiles américains, résume un communiqué de presse de Science Daily du 30 juillet 2024.
Si cette méthode est la plus performante, la SLT a un coût de calcul plus élevé par rapport à la TFCT, ce qui affecte le temps des calculs de la visualisation temps-fréquence ; et donc sa mise en œuvre. Mais les chercheurs vont plus loin.
Une nouvelle plateforme scientifique plus accessible
BASSA. C’est le nom d’un nouvel outil logiciel, qui signifie « bio-acoustique de scalogrammes en superlet ». Mais de quoi s’agit-il ?
Ce logiciel met en œuvre la SLT, mais pas seulement. BASSA est un outil simple, basé sur une interface graphique, qui permet de générer des visualisations haute fidélité de sons d’animaux à basse fréquence présentant des structures temporelles et spectrales complexes.
Jusque-là, les seules implémentations de la SLT accessibles au public exigent de l’utilisateur qu’il écrive au moins un peu de code informatique. BASSA améliore l’accessibilité de l’orthophonie pour les chercheurs qui ne possèdent pas l’expertise nécessaire en matière de codage pour utiliser les implémentations existantes. De plus, l’outil a été conçu sans aucune dépendance logicielle, ce qui élimine le besoin de licences commerciales coûteuses ou la configuration d’un environnement de développement informatique compliqué.
BASSA sera probablement très utile dans des domaines d’étude tels que la phonation, les méthodes de production vocale et l’identification des espèces. Par contre, le logiciel n’a pas été conçu pour l’éco-acoustique. En effet, à la différence de la bio-acoustique, qui se focalise sur une seule espèce, l’éco-acoustique s’intéresse à de grandes structures écologiques, comme les communautés d’espèces et qui comprennent tous les sons – animaux ou non – issu d’un paysage, selon le Journal CNRS. L’éco-acoustique traite d’enregistrements d’une durée beaucoup plus longue que ce que BASSA peut actuellement prendre en charge.
Plus précise, accessible et gratuite, BASSA pourrait permettre à davantage de chercheurs de contribuer à la conservation des espèces menacées d’extinction dans le futur. Affaire à suivre…
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