Inverser la Pollution au Mercure dans les Rivières

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Inverser la Pollution au Mercure dans les Rivières
Inverser la Pollution au Mercure dans les Rivières

Africa-Press – Djibouti. En octobre 2024, un rapport des ONG Bloom et Foodwatch révélait une large contamination des conserves de thon par du mercure, un métal lourd aux effets neurotoxiques. Dans l’air ou dans les océans, on connait à présent l’étendue de la pollution au mercure. Mais jusqu’ici, aucune donnée n’avait été émise sur la contamination des rivières par ce métal lourd.

Une étude de l’Université de Tulane (Etats-Unis) montre que les niveaux de mercure dans les rivières du monde ont plus que doublé depuis l’ère préindustrielle. Ces résultats, publiés dans la revue Science Advances, s’appuient sur un modèle capable de simuler les transports naturels du mercure dans les eaux douces avant 1850.

« Les activités humaines ont perturbé le cycle mondial du mercure »

1.000 tonnes métriques de mercure sont acheminées chaque année dans les océans par les fleuves. Ce chiffre a été calculé à partir des concentrations actuelles de mercure dans les eaux douces. Pour le comparer à l’ère préindustrielle, les chercheurs ont conçu un modèle global simulant le comportement du mercure dans l’environnement.

« Nous utilisons des reconstitutions historiques de l’utilisation des sols, du climat et des émissions de mercure d’origine naturelle (volcans, feux de forêt), combinées à des modèles hydrologiques et géochimiques de pointe, pour simuler la quantité de mercure que les rivières auraient charriée en l’absence de développement industriel et agricole », précise l’auteur principal, Yanxu Zhang, professeur agrégé de sciences de la terre et de l’environnement à l’école des sciences et de l’ingénierie de Tulane.

Ils obtiennent qu’avant 1850, les rivières du monde entier transportaient environ 390 tonnes métriques de mercure vers les océans chaque année. Un chiffre que les chercheurs pensaient plus faible, selon Jeroen Sonke, directeur de recherche au CNRS et au laboratoire Géosciences Environnement Toulouse. « Avant, on pensait que le taux de mercure présent naturellement dans les rivières était plus proche de 40 tonnes métriques par an, mais c’est environ 10 fois plus ».

Le mercure est émis sous forme gazeuse par des activités d’origine naturelle, principalement les éruptions volcaniques et les feux de forêts. Mais à l’heure actuelle, les activités humaines sont à l’origine de 90% du mercure présent dans l’atmosphère. « Les activités humaines ont perturbé le cycle mondial du mercure sous tous ses aspects, a déclaré Yanxu Zhang. Si les études précédentes se sont concentrées sur les concentrations de mercure dans l’atmosphère, les sols et l’eau de mer, elles ont largement négligé les rivières, une voie d’accès majeure pour le mercure qui est effectivement devenue un pipeline pour les eaux usées. »

Les activités industrielles en cause, mais pas seulement

Les principaux facteurs de cette augmentation sont les rejets d’eaux usées, l’érosion des sols et les rejets de mercure provenant des activités industrielles et minières. L’étude a identifié que les augmentations les plus spectaculaires de la pollution par le mercure se sont produites en Amérique du Nord et du Sud, qui contribuent pour 41 % à la croissance mondiale du mercure fluvial depuis 1850, suivies de l’Asie du Sud-Est (22 %) et de l’Asie du Sud (19 %).

« L’orpaillage (exploitation minière artisanale de l’or, ndlr.) est un facteur particulièrement important de pollution par le mercure dans ces régions », explique Jeroen Sonke. Les orpailleurs clandestins utilisent du mercure liquide pour récupérer l’or par amalgamation. Mais le plus souvent, ce mercure n’est pas réutilisé et termine dans les océans.

Parmi les autres sources importantes figurent la combustion du charbon et la fusion des métaux. Les rejets industriels de mercure ont été identifiés comme le principal facteur d’augmentation dans des régions comme l’Asie de l’Est, où les rivières chinoises contribuent à plus de 70 % du mercure régional. Par exemple, le flux de mercure du fleuve Yangtze a plus que doublé par rapport aux niveaux préindustriels.

Mais toutes les régions n’ont pas connu d’augmentation. La région méditerranéenne a connu des niveaux de mercure inférieurs à ceux de l’ère préindustrielle. Les chercheurs expliquent cette évolution par la construction de barrages tels que le barrage d’Assouan sur le Nil, qui piègent les sédiments chargés de mercure.

« Les barrages sont des bombes à retardement »

« Le barrage est une solution à double tranchant, poursuit Jeroen Sonke. Le mercure se colle aux particules du sol, les sédiments, qui vont se piéger dans les barrages. En bloquant les sédiments, ils empêchent le mercure d’arriver dans les océans. Seulement, les barrages se remplissent de sédiments. Que ferons-nous de tout ce mercure une fois qu’ils seront pleins? C’est un élément naturel, il ne peut pas disparaître. Les barrages sont des bombes à retardement. »

En retombant dans l’océan, ces particules se mélangent à des bactéries et se transforment en méthylmercure, un dérivé organique encore plus toxique. Les poissons, dits bio-accumulateurs, ingèrent alors cette neurotoxine qui s’accumule dans leur organisme.

L’Homme, en consommant le poisson contaminé, ingère à son tour cette substance hautement toxique. Même en faibles quantités, l’absorption régulière de méthylmercure est très nocive pour la santé: ce composé peut altérer le développement cérébral des fœtus et des jeunes enfants et provoquer des pertes de mémoire, des troubles moteurs et des déficits cognitifs chez l’adulte.

Notre sang mettrait plusieurs mois pour éliminer la moitié de son mercure ; quant au cerveau, cette durée d’élimination peut se compter en années, voire en décennies, alerte une étude publiée dans la revue scientifique Toxicology and Applied Pharmacology.

Des systèmes dynamiques

Peut-on encore inverser la tendance? Pour les chercheurs, la première chose à faire est d’éliminer progressivement l’utilisation du mercure dans l’extraction de l’or, l’industrie et les produits de consommation. « Mais l’orpaillage est majoritairement clandestin, donc en théorie déjà interdit, rappelle Jeroen Sonke. Il faudrait inciter les orpailleurs artisanaux à récupérer le mercure liquide utilisé ». L’amélioration du traitement des eaux usées et la restauration des zones humides pourraient également contribuer à éliminer le mercure avant qu’il n’atteigne les rivières.

« Les rivières ne sont pas de simples conduits passifs: ce sont des systèmes dynamiques qui réagissent rapidement à l’activité humaine », ajoute Jeroen Sonke. Ainsi, en réduisant la pollution terrestre au mercure, une amélioration relativement rapide des concentrations de mercure dans les rivières devrait être constatée, en particulier dans les régions les plus touchées, l’Asie du Sud-Est et les Amériques.

Le rétablissement des concentrations de mercure dans les rivières n’est pas seulement un objectif environnemental: c’est une priorité de santé publique et une responsabilité mondiale, inscrite dans le traité de Minamata, signée par 128 Etats et entrée en vigueur en 2017. « La pollution au mercure est déjà documentée et réglementée. C’est pourquoi j’ai maintenant choisi de travailler sur un nouvel enjeu: la pollution aux microplastiques », ajoute Jereon Sonke, en direct de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC), à Nice.

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