La permaculture, une philosophie de vie

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La permaculture, une philosophie de vie
La permaculture, une philosophie de vie

Africa-Press – Djibouti. Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°213 daté avril/ juin 2023.

Tel M. Jourdain parlant en prose à son insu, nombreux sont les jardiniers à pratiquer la permaculture et l’agroécologie sans le savoir. Pousser aujourd’hui la barrière d’un jardin vous fait entrer dans un univers forcément sans pesticides (ils sont interdits depuis 2017) et, la plupart du temps, comportant un compost, planté d’arbres fruitiers, et servant de terrain d’essais pour diverses variétés de légumes et de fleurs. À leur tête, des amateurs plus ou moins éclairés qui se grattent la tête pour tenter de comprendre pourquoi ça pousse ici, et là pas, ou quelles sont les ruses des pucerons et limaces qui s’obstinent à les envahir. Ces pratiques sont à la base de la permaculture et de l’agroforesterie… sans l’étiquette.

L’agroécologie est une notion “ombrelle” sous laquelle on retrouve des pratiques comme le refus des pesticides et engrais chimiques (le bio), le mariage des cultures et des arbres (l’agroforesterie), l’arrêt du travail du sol (l’agriculture de conservation). Toutes ces définitions agronomiques s’appliquent à l’échelle du jardin. Conçue dans les années 1970 par le professeur de biologie australien Bill Mollison (1928-2016) et l’un de ses étudiants, David Holmgren (né en 1955), la permaculture se veut plus large car elle ambitionne non seulement l’autonomie en énergie et en eau et l’absence d’engrais et de pesticides chimiques, mais aussi la “permanence”, car le terrain exploité est productif tout au long de l’année et suffisamment bien géré pour assurer des décennies de légumes, fruits et fleurs. “En fait, la permaculture est un nouveau nom donné aux pratiques de jardinage que nous préconisons depuis la création de notre magazine en 1980”, souffle Marie Arnould, rédactrice en chef du magazine Les 4 saisons publié par l’éditeur Terre vivante à Mens (Isère).

Le “plus” de la permaculture, c’est ce que l’on pourrait définir comme “l’universalité”. Le jardin n’est pas qu’un espace clos dans lequel un démiurge décide de l’ordonnancement de ce qui doit pousser. C’est aussi – surtout – un endroit où les questions de stockage du carbone par les plantes et le sol, de réduction des besoins en énergies fossiles, de préservation des espèces sauvages, de cycle de l’eau sont essentielles. Un petit morceau de planète connecté au reste du vivant.

“À l’origine, la permaculture est surtout une vision du monde et de la relation des hommes avec la nature, un projet spirituel et politique très américain où l’on pense que le citoyen doit se changer par lui-même”, rappelle François Léger, professeur à l’école supérieure AgroParisTech. Cette conception rebute évidemment ceux que les croyances animistes exaspèrent. Plus prosaïquement, il s’agit principalement de changer son regard sur le milieu. François Léger écrit à propos de la ferme du Bec-Hellouin, pionnière de la permaculture en France où il a mené plusieurs études scientifiques : “Cette harmonie [du Bec-Hellouin] n’était pas le fruit du regard des créateurs des jardins sur un lieu, nourri par l’observation attentive de celui-ci armée de connaissances livresques accumulées. Elle était à l’inverse le produit d’un ‘laisser-aller’ face à la nature. Le rêve n’est pas celui de l’humain sur la nature, mais celui de la nature envahissant l’humain qui l’observe.”

Combiner les espèces sur une même parcelle pour de meilleurs rendements

Créée en 2007, la ferme du Bec-Hellouin est la tête de pont de la permaculture dans l’univers francophone. Dans ce coin de l’Eure, ses promoteurs, Charles et Perrine Hervé-Gruyer, ont poussé ses principes jusqu’à leurs extrêmes limites. “Il s’agissait de démontrer que sur une petite surface, le respect de la fertilité des sols, le bon agencement des cultures, une gestion précise de l’eau et des intrants pouvaient permettre à une famille de vivre correctement de son travail”, résume Charles Hervé-Gruyer. Entre 2011 et 2015, François Léger s’est ingénié à mesurer cette productivité. Ses travaux montrent que sur 1.000 mètres carrés, la famille Hervé-Gruyer avait produit pour 55.000 euros de chiffres d’affaires en un an, par travailleur.

Comment font-ils ? Le couple a réuni ses pratiques et expériences dans un ouvrage en trois volumes de plus de 1.000 pages. Difficile donc de résumer cette somme éditée chez Actes Sud. Tout juste pourra-t-on en souligner quelques piliers. “La première des règles, c’est de connaître son climat, son sol, la nature qui vous entoure”, précise Charles Hervé-Gruyer. Le climat englobe autant le régime météorologique que les particularités topographiques du lieu où est implanté le jardin. Une exposition plus ou moins importante au soleil et au vent, l’abondance de la ressource en eau influent sur la conduite des cultures. “La permaculture a aussi mis l’accent sur l’importance de la vie biologique des sols”, pointe Marie Arnould.

Le rôle des vers de terre était déjà connu, beaucoup moins celui des collemboles, carabes, bactéries et virus qui peuplent l’humus. Le travail minimum du sol, voire l’absence totale d’intervention, et le paillage qui retient l’humidité et dynamise les populations de tous ces “travailleurs de l’ombre” est la première action revendiquée. “Les analyses faites par l’Université de Gembloux en Belgique montrent que sans engrais chimiques, au Bec-Hellouin, la teneur en matière organique, l’ensemble des éléments dont les plantes se nourrissent, augmente de 10 % par an : 26 fois plus que les 4 ‰ que les programmes internationaux considèrent comme la norme de fertilité pour les terres agricoles de la planète”, s’enorgueillit Charles Hervé-Gruyer.

Le reste est affaire d’observations attentives, d’inspiration, d’expérience. “Il n’y a pas de mystère : un jardin réussi, c’est un jardin où on s’investit, où l’on se passionne, tout en restant lucide sur le fait que l’on reste un amateur” , souligne Marie Arnould. Et ce, quel que soit le but recherché : le plaisir de faire pousser quelques légumes, l’envie d’un lieu toujours empli de fleurs, l’ambition de nourrir sa famille. Dans son “Potager du paresseux”, Didier Helmstetter reconnaît que le titre choisi est une provocation. Fustigeant la permaculture, “mode de bobos”, qu’il considère comme bouleversant trop les équilibres du jardin, le jardinier alsacien se dit paresseux parce qu’il ne bêche plus son sol. À bien y regarder, pourtant, ses pratiques sont très proches de celles des permaculteurs. Notamment quant à l’ordonnancement des plantations, où il est fortement recommandé de favoriser les mélanges. Il ne fait plus de doute aujourd’hui que la combinaison de plusieurs espèces cultivées au sein d’une même parcelle assure des rendements supérieurs aux monocultures.

Certes, mais marier qui avec quoi ? Un ouvrage de jardinage intitulé “Le poireau préfère les fraises” donne quelques idées d’appariement. Mais le livre est très critiqué. “Il n’est absolument pas prouvé que tel légume préfère le voisinage de tel autre, pondère Charles Hervé-Gruyer, rejoint par Marie Arnould. Chaque jardinier doit faire ses expérimentations, enregistrer les succès et apprendre de ses erreurs. La seule règle de base, c’est qu’un jardin potager doit consacrer une bonne partie de sa surface aux légumineuses, parce que la famille des pois et haricots enrichit les sols grâce à l’association avec des bactéries présentes sur les racines qui captent l’azote de l’air et l’assimilent en nitrate dans le sol.” Cette particularité est une clé de voûte du jardin du 21e siècle. Non seulement ces plantes nourrissent la terre, mais elles fournissent aussi des protéines qui permettent aux hommes de réduire leur consommation de viande.

Nourrir sa famille avec quelques poules et lapins, voire un âne pour le crottin

Les résultats du Bec-Hellouin peuvent faire espérer atteindre l’autonomie alimentaire pour les jardiniers les plus courageux sans qu’il soit besoin d’une grande surface. Nourrir sa famille par soi-même est un vieux rêve. Avec quelques poules et lapins, voire un âne (pour le crottin), l’objectif peut être atteint. Au Bec-Hellouin, on étudie la productivité d’une forêt-jardin de 220 mètres carrés seulement, mêlant en première hauteur les arbres fruitiers, puis à leur pied les buissonnants groseillers, mûriers, framboisiers, et au sol fraisiers, mais aussi courges et herbes aromatiques. La technique est tâtonnante, mais les résultats progressent.

Autre piste explorée : les céréales. Peut-on faire son blé sur une partie du jardin et, partant, produire sa farine ? Au Bec-Hellouin, les premiers tests sur 300 mètres carrés ont porté sur des variétés locales, censées être plus adaptées aux conditions de l’agriculture biologique. “Mais elles souffrent de deux inconvénients majeurs : une sensibilité à la verse (le blé se couche, ndlr), surtout sur les terres riches, et une difficulté à obtenir de hauts rendements. Devant ces constats, nous pensons intéressant de faire des essais avec des variétés modernes pour voir ce qu’elles peuvent donner dans de telles conditions”, écrivent les chercheurs de l’Inrae dans leur rapport annuel sur les expériences menées au Bec-Hellouin.

Le jardinier pourrait donc atteindre l’autonomie. Mais est-ce bien souhaitable ? “Couper les liens avec ses voisins, sa communauté, refuser les échanges, ça ne ressemble pas du tout à ce qu’est un jardinier, qui doit au contraire partager avec ses contemporains l’envie de se nourrir sans détruire la planète”, pose Gildas Veret, formateur en permaculture. Le jardin est par essence humaniste et universel.

Six principes à respecter
– Un travail minimal du sol par l’instrument phare du jardin, la grelinette. La permaculture s’appuie aussi sur des buttes, constituées de déchets verts et de compost, qui, une fois créées, ne sont plus travaillées.

La couverture du sol par du paillage ou des résidus de broyage forestier (RBF). Cette couche favorise la vie biologique des sols, du ver de terre aux bactéries et champignons en passant par les collemboles et carabes, et conserve l’humidité.

Les mélanges de variétés de légumes et de fleurs sur les parcelles.

L’association des cultures avec les plantes sauvages et les fleurs qui favorisent les auxiliaires des cultures.

La recherche de l’autonomie en eau.

La réduction drastique de l’utilisation des machines fonctionnant au gazole, à l’essence ou à l’électricité (motoculteur, tondeuse, débroussailleuse), sachant qu’il est cependant difficile de se passer de tronçonneuse. Le jardin est aussi un endroit de pratique physique.

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