Africa-Press – Djibouti. La vidéo, en ultra-haute définition, dure une vingtaine de secondes. Elle met en scène le chat surnommé « Patate » d’un employé de la Nasa pourchassant la tache rouge d’un pointeur laser, avec en surimpression une panoplie de graphiques indiquant la trajectoire de la sonde américaine Psyché, partie en 2023 pour rejoindre et étudier un astéroïde de fer au-delà de l’orbite de Mars – une première dans l’exploration spatiale.
Ce petit film ainsi que d’autres contenus numérisés, telles des photographies d’art ou de paysages terrestres, ont été transmis depuis plus d’un an par Psyché à mesure que le vaisseau s’éloignait de notre planète. Car la Nasa l’a investi d’une autre mission, encore plus capitale: démontrer la faisabilité d’une technologie qui pourrait révolutionner dans les années à venir les communications dans l’espace !
Alors que les engins spatiaux utilisaient jusqu’à présent les ondes radio pour transmettre des informations, le démonstrateur embarqué dans Psyché – dénommé Deep space optical communications (DSOC) – exploite des instruments d’optique, en particulier des lasers. « Cette technologie accroît d’un facteur 10 à 100 les débits de données par rapport aux radiofréquences « , précise l’ingénieur de la Nasa Abhijit Biswas, un des responsables du projet. Et grâce au dispositif DSOC, l’agence spatiale américaine l’a expérimentée pour la première fois dans l’espace lointain: jusqu’à 495 millions de kilomètres de la Terre en décembre 2024, mille fois plus que le précédent record !
« Les systèmes optiques transformeront profondément les capacités de communications des missions d’exploration du Système solaire, assure Abhijit Biswas. Au niveau scientifique, en transmettant beaucoup plus de mesures, d’images complexes et même des vidéos en haute résolution issues des orbiteurs, rovers et autres engins robotisés, mais aussi pour les futurs vols habités à destination de Mars et les communications quotidiennes des astronautes. »
Exploitées depuis les débuts de l’ère spatiale, les liaisons radio rencontrent actuellement plusieurs limitations. En raison d’un très grand nombre d’utilisateurs (radiophonie, télévision, trafic aérien, satellites militaires, etc.), ce spectre d’ondes électromagnétiques est tout d’abord extrêmement chargé. Les intervalles de fréquences allouées aux missions interplanétaires – dans les bandes dites X ou Ka – sont, de surcroît, relativement étroits: « quelques dizaines ou centaines de mégahertz tout au plus « , explique Géraldine Artaud, ingénieure au Centre national d’études spatiales de Toulouse. Des bandes passantes aussi limitées restreignent ainsi la quantité d’informations pouvant être transférée par unité de temps, alors que les instruments embarqués dans les sondes (caméras, radars, spectromètres, etc.), de plus en plus perfectionnés, produisent des volumes de données toujours plus importants.
La longueur d’onde des signaux radio – typiquement autour de 3 centimètres – pose également des difficultés. Car le diamètre d’un faisceau d’ondes électromagnétiques est proportionnel à la distance entre l’émetteur et le récepteur, mais aussi à la longueur d’onde. Un faisceau transmis depuis Mars mesure ainsi plusieurs rayons terrestres de large en arrivant sur notre planète ! « Une grande partie de la puissance initiale est perdue et le signal d’autant plus affaibli « , pose Géraldine Artaud.
De gigantesques antennes paraboliques sont par conséquent nécessaires pour récupérer suffisamment de données, à l’instar des récepteurs du Deep Space Network de la Nasa situés aux États-Unis, en Espagne et en Australie, qui mesurent jusqu’à 70 mètres de large – une taille qu’il devient difficile de dépasser.
Détrôner les ondes radio pour la cartographie de Mars
Et même avec de telles infrastructures, les débits restent faibles, surtout pour les destinations lointaines. En 2019, lorsque New Horizons a survolé l’astéroïde Arrokoth, l’objet céleste le plus éloigné jamais observé par un appareil humain, à près de 7 milliards de kilomètres de la Terre par-delà l’orbite de Pluton, les données n’arrivaient qu’au compte-gouttes au rythme de 1 kilobit par seconde (kbit/s).
Depuis la planète Rouge, c’est Mars Reconnaissance Orbiter, dont la mission principale est de cartographier notre voisine, qui bénéficie des débits les plus élevés grâce à son antenne de 3 mètres de diamètre. Ils n’atteignent toutefois que 6 mégabits/s quand la Terre et Mars sont au plus proche (55 millions de kilomètres) et 500 kbits/s au maximum de l’éloignement (401 millions de kilomètres). Des flux aussi réduits génèrent alors des goulets d’étranglement: « Les scientifiques ne peuvent rapatrier toutes les données qu’ils souhaitent, souligne Géraldine Artaud. Ils sont obligés de choisir. » Malgré des décennies d’observation, la cartographie de Mars à la résolution maximale n’a pu être réalisée ainsi que pour une faible proportion de sa surface.
D’où l’idée de remplacer les ondes radio par la lumière laser, dans le proche infrarouge notamment. Ces rayonnements monochromatiques procurent en effet d’indéniables avantages. À commencer par des plages de fréquences non encombrées et surtout bien plus élevées pour encoder les informations, avec des bandes passantes gigantesques de l’ordre du térahertz (mille milliards de hertz). La largeur du « tuyau » permettant de transmettre des données est « incomparablement plus grande que pour les radiofréquences « , insiste Géraldine Artaud.
Et comme les longueurs d’onde sont plus petites – autour de 1 micromètre -, les signaux divergent mille fois moins que les ondes radio. Un faisceau laser émis depuis Mars ne mesurerait ainsi que quelques pourcents du rayon terrestre en nous parvenant, « ce qui permettrait de réduire la puissance, la taille et donc le coût des équipements de télécommunications « , poursuit l’ingénieure.
Une précision angulaire extrêmement fine
Plusieurs défis techniques doivent toutefois être surmontés. Ils concernent en premier lieu la transparence de l’atmosphère, car les liaisons optiques sont beaucoup plus sensibles aux perturbations atmosphériques que les ondes radio. Au sol, il faut en outre pouvoir récupérer des signaux fortement atténués par leur long voyage dans l’espace, en détectant parfois des quantités extrêmement faibles de particules lumineuses (photons).
Enfin, du fait de l’étroitesse du faisceau laser, un pointage très fin doit être réalisé avec des engins lointains se déplaçant à très grande vitesse: une précision angulaire de l’ordre du millionième de radian pour les distances martiennes par exemple, sans quoi le laser ratera sa cible et la communication sera perdue.
Le laser peine à franchir les nuages
Contrairement aux ondes radio, les communications par laser sont très sensibles aux perturbations atmosphériques: nuages, brouillard, turbulences, etc. « C’est la principale limitation de cette technologie pour transmettre des données entre la Terre et l’espace », relève l’ingénieure Géraldine Artaud. Les longueurs d’onde des lasers – autour du micromètre – interagissent en effet avec les éléments de taille équivalente, comme les aérosols et autres particules présentes dans les nuages. Si ceux-ci sont trop épais, le signal sera ainsi complètement éteint.
Plusieurs solutions sont à l’étude, comme des systèmes de communication hybride (radio/optique) exploitant des satellites-relais, des récepteurs installés dans des régions à faible nébulosité ou très haute altitude, mais surtout la mise en place d’un réseau de stations actionnables selon la météorologie.
Réalisées principalement par la Nasa, les expérimentations se sont multipliées depuis le début des années 2010. Elles ont permis d’établir des liaisons optiques avec la Station spatiale internationale, des satellites en orbites basse et géostationnaire et au plus loin avec la sonde lunaire Ladee, à 350.000 km de la Terre. L’expérience DSOC pulvérise ainsi tous les records de distance !
« Les technologies mises en œuvre sur Terre et dans l’espace fonctionnent à merveille « , se réjouit Abhijit Biswas. Au sol, l’observatoire de Table Mountain en Californie (États-Unis) fait office de station de liaison « montante ». Il transmet dans la direction de Psyché un faisceau laser de 7 kilowatts d’une longueur d’onde de 1,06 micromètre: un peu divergent pour illuminer plus facilement la sonde et servir en quelque sorte de balise, afin que DSOC la reconnaisse puis dirige vers la Terre son petit télescope avec une grande précision. Celui-ci émet alors un laser de 4 watts moins divergent (1,55 micromètre) contenant les informations à transmettre, telle la vidéo du chat Patate. Cette liaison « descendante » est réceptionnée finalement à l’observatoire du Mont Palomar par un télescope de 5 mètres de diamètre, lui aussi en Californie, qui utilise des matériaux supraconducteurs pour détecter les photons un à un.
En décembre 2023, alors que Psyché se trouvait à 53 millions de kilomètres de la Terre (la distance minimale avec Mars), le flux s’élevait ainsi à 267 mégabits par seconde (Mbits/s)- comparable à une connexion internet haut débit ! Comme les scientifiques pouvaient s’y attendre, il s’est réduit ensuite de façon exponentielle avec la distance. Mais en juin 2024, à 390 millions de kilomètres de la Terre, le débit atteignait encore 8,3 Mbits/s – 20 fois plus qu’avec les ondes radio.
Alors que les tests devraient se poursuivre jusqu’en août 2025, « ces résultats dépassent déjà toutes nos attentes et marquent une étape clé pour les communications laser dans l’espace « , se félicite Abhijit Biswas. « Ces démonstrations sont très impressionnantes, abonde aussi Géraldine Artaud. Elles montrent que cette technologie pourrait changer radicalement la donne et se généraliser probablement d’ici à une dizaine d’années. »
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