Les obélisques, des virus d’un genre nouveau

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Les obélisques, des virus d'un genre nouveau
Les obélisques, des virus d'un genre nouveau

Africa-Press – Djibouti. Décidément, notre organisme est vraiment une terra incognita. En novembre 2024, une équipe de chercheurs américains de l’université Stanford a publié dans le magazine Cell une stupéfiante découverte: une toute nouvelle classe d’entités biologiques pullule à l’intérieur des bactéries des microbiomes humains. Inconnus jusque-là, ces éléments ont été nommés « obélisques » (Obelisks) en raison de leurs formes oblongues.

Et ils sont loin d’être rares: les chercheurs les ont détectés dans environ 10 % des échantillons d’intestins humains étudiés et dans plus de 50 % des échantillons oraux ! En tout, leurs investigations ont mis au jour près de 30.000 obélisques différents, parmi les 5,4 millions de données génétiques publiées qu’ils ont examinées.

Formellement, les obélisques ressemblent aux viroïdes, des agents pathogènes de plantes découverts en 1971 sur des pommes de terre atteintes de la maladie des tubercules fusiformes. Ils se transmettent de cellule à cellule et de plante à plante par des mécanismes pas totalement élucidés. Comme eux, ils sont constitués uniquement d’une molécule d’ARN fermée sur elle-même et aplatie comme une tige, et ne comportent pas d’enveloppe comme les virus classiques. Seulement, là où un viroïde compte de 200 à 400 nucléotides – les éléments constitutifs de l’ARN et de l’ADN -, un obélisque est trois fois plus grand. Surtout, alors que le génome du viroïde d’une plante ne sert à fabriquer aucune protéine, celui des obélisques présente des séquences codant des protéines mystérieuses et jamais rencontrées auparavant, que les chercheurs ont nommées « oblins ».

« Leur rôle demeure totalement inconnu pour le moment, témoigne Sébastien Pfeffer, directeur de recherche CNRS à l’université de Strasbourg. L’une des premières choses à préciser serait justement de savoir si les séquences des ‘oblins’ sont effectivement traduites et exprimées en protéines. Pour cela, il va être nécessaire de mettre au point des anticorps et de les diriger contre ces séquences afin d’en savoir un peu plus.  »

Des entités peut-être très anciennes

L’ARN est souvent présenté schématiquement comme un alter ego de l’ADN, la molécule en double hélice. Cette dernière, présente dans les cellules du corps humain, contient l’intégralité du matériel génétique qui fait de nous ce que nous sommes. Dans ce cadre, l’ARN apparaît comme une molécule transitoire entre l’ADN et les protéines. Elle en est très proche chimiquement, dans une version apparemment simpliste d’un enchaînement linéaire de nucléotides. Mais, l’ARN est beaucoup plus que cela. Au moins 200 virus pathogènes connus, dont Ebola, la grippe ou le Covid-19, ont des génomes uniquement constitués de cette molécule.

D’un point de vue évolutif, certains éléments laissent ainsi à penser que l’ARN serait apparu avant l’ADN en tant que molécule porteuse d’information génétique. « Les obélisques confortent cette hypothèse « , avance Sébastien Pfeffer. Étant donné qu’elles ne ressemblent à rien de connu, ces entités pourraient être très anciennes et constituer les vestiges d’éléments qui ont depuis disparu. « Quant à leur rôle, on peut imaginer que les obélisques confèrent aux bactéries qui en contiennent un avantage par rapport aux autres, propose le chercheur. Par exemple, chez la levure Saccharomyces cerevisiae, il existe un virus qui fabrique une toxine pouvant infecter et tuer les levures environnantes dépourvues de ce virus.  »

Karim Majzoub, de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (CNRS) est en train d’écrire une revue, avec le prix Nobel 2006 Andrew Fire et les autres auteurs de la découverte des obélisques, concernant le panthéon des ARN circulaires présents chez les espèces vivantes, des plantes aux bactéries, en passant par les champignons et les animaux. « Mon laboratoire travaille notamment sur un petit ARN circulaire qui provoque l’hépatite D chez l’être humain. Or, quand ce sous-virus satellite est présent avec le virus de l’hépatite B, la maladie qu’ils provoquent à eux deux est beaucoup plus sévère. C’est pourquoi, savoir si les obélisques constituent des agents infectieux et un danger pour la santé humaine est l’une des questions les plus immédiates à laquelle il faut répondre.  »

Un champ de recherche entièrement vierge

Les obélisques viennent d’ouvrir un champ de recherche entièrement vierge et suscitent quantité d’interrogations. L’article de Cell se conclut en listant une vingtaine de questions concernant ces entités biologiques. Sont-elles nuisibles ou, au contraire, protègent-elles les organismes qu’elles habitent ? Comment se répliquent-elles ? Quel est leur mode de propagation ? Est-ce que l’abondance et la variété des obélisques au sein d’un organisme sont prédictives de sa bonne ou de sa mauvaise santé ? Ou encore: quel est le rôle de ces éléments parasites ? À supposer d’ailleurs qu’ils en ont !

« Nous avons tendance à avoir une vision très anthropocentrique de ce type d’éléments, estime Karim Majzoub. S’ils sont là, ce serait forcément pour une raison. Mais ces éléments parasites que sont les obélisques n’ont pas nécessairement une fonction pour les bactéries et les organismes qu’ils occupent. Ils peuvent n’avoir de fonction que pour eux-mêmes, se multiplier et se transmettre, répondant ainsi à la définition première d’un virus… « .

Une place à part dans le vivant

Parmi les formes de vie microbienne, les obélisques occupent une place intermédiaire. Ils sont à la fois proches des viroïdes de plantes par leur absence d’enveloppe, mais également proches des virus à ARN puisqu’ils codent a priori des protéines. Toutefois, leur taille médiane entre ces deux classes de microbes et le fait qu’on ignore tout de leurs implications sur leurs hôtes ainsi que sur l’identité et la fonction des protéines qu’ils fabriquent en font des entités à part totalement énigmatiques.

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