Africa-Press – Djibouti. « Nous ne savons pas à quoi ressemblaient les sons des animaux disparus, mais nous connaissons les bruits que font les animaux actuels qui leur sont apparentés », indique Ashley Deutsch, auteure de l’étude pour Sciences et Avenir. Avec un poids moyen de 200 kilos et des canines gigantesques d’au moins 18 cm de long, le tigre à dents de sabre, Smilodon fatalis, partageait en effet un ancêtre commun avec le chat moderne, vivant il y a 15 millions d’années. Des chercheurs de l’université de Caroline du Nord se sont interrogés sur le cri du Smilodon. Était-ce un râle puissant ou bien un doux ronronnement ? De petits os nichés à l’arrière de la gorge, appelés os hyoïdes, seraient la clé de ces capacités vocales particulières. Les résultats de cette étude ont été publiés dans le Journal of Morphology.
Ronronner ou rugir, il faut choisir
Les félidés ne peuvent-ils pas ronronner et rugir ? « Non ! », répond Ashley Deutsch, catégorique. « De nombreux chats miaulent et ronronnent, tandis que d’autres chats rugissent, mais aucun chat ne ronronne et ne rugit à la fois. » Cette différence pourrait être due à leur évolution particulière. En effet, il existe deux lignées de chats modernes : les panthérins (lions, tigres, léopards…), qui ont sept os hyoïdes, et les félins (couguars, guépards, servals …), qui en ont neuf. Tous les félins ronronnent et la plupart des panthérins rugissent.
Au fil des années, de nombreux chats ont évolué dans chacune des lignées. « On peut comparer l’évolution des chats à un arbre généalogique humain. L’ancêtre commun des chats modernes est comme un grand-parent avec deux enfants, qui ont chacun eu leurs propres enfants : les chats que nous avons aujourd’hui. Les tigres à dents de sabre sont comme une grand-tante », illustre la paléontologue. Tous font toutefois partie de la famille des Félidés. Le tigre à dents de sabre a vécu durant le Pléistocène, entre -1,6 million d’années et -10.000 ans, et son dernier ancêtre commun avec les chats modernes était lui-même un chat.
Une histoire d’os
La vocalisation est produite par le larynx et les tissus mous de la gorge. Cependant, les chercheurs ont remarqué que les os hyoïdes étaient à l’origine de l’ancrage de ces tissus. Pour déterminer quelle était la vocalisation des tigres à dents de sabre, les chercheurs ont examiné les os de quatre espèces de chats rugissants et cinq de chats ronronnants. Ils les ont ensuite comparés à 105 os hyoïdes de différents individus appartenant à l’espèce Smilodon fatalis.
Ces petits os différents par leur taille et par leur nombre entre les deux lignées de chats modernes. Les félins ronronnants en possèdent neuf, quand les panthérins rugissants n’en comptent que sept. Il manque à ces derniers deux des os les plus près du crâne. A titre de comparaison, l’humain ne possède qu’un os hyoïde.
« En outre, nous avons mesuré la longueur, la largeur et l’épaisseur des os hyoïdes des chats modernes et de Smilodon fatalis », souligne Ashley Deutsch. Ceux qui se trouvent à la base des tissus ont une forme différente chez les félins et les panthérins. Leur localisation, très proche des organes dédiés à la vocalisation, indique qu’ils pourraient jouer un rôle important dans la capacité des félidés à ronronner ou à rugir.
Un ronronnement grave
Mais qu’en est-il du tigre à dents de sabre ? D’après cette nouvelle étude, il possédait donc sept os hyoïdes, comme les panthérins rugissant. « Mais leur forme est plus proche de celle des chats qui ronronnent, avec une taille nettement supérieure bien sûr », nuance l’anatomiste. En effet, les os hyoïdes du tigre à dents de sabre mesurent 35 mm, c’est presque 70 % de plus que ceux des tigres modernes, qui ont à peu près la même taille.
Jusqu’à présent, il était admis que Smilodon rugissait, car il possédait sept de ces petits os. Mais d’après les chercheurs, la relation entre le nombre d’os et le type de vocalisation n’a jamais été prouvée. « Si c’est la forme des os hyoïdes qui détermine les vocalisations des chats, il est donc possible qu’ils aient ronronné, mais avec une tonalité plus grave », avance Ashley Deutsch. L’étude suggère que les deux os de différence entre les chats ronronnants et rugissants ne seraient pas à l’origine de leur différence de vocalisation. Selon les anatomistes, si c’était le cas, les hyoïdes qui relient les deux os supplémentaires des chats ronronnants, auraient une forme différente de ceux des chats rugissants. Mais ils sont tout à fait identiques.
L’étude des os du léopard des neiges pourrait permettre de trancher ! C’est d’ailleurs la prochaine étape pour les chercheurs de l’université de Californie du Nord. S’il possède sept os hyoïdes, comme les chats rugissants auxquels il est assimilé, ce panthérin est incapable de rugir ou de ronronner. « Nous n’avons pas pu inclure d’os hyoïdes de léopards des neiges dans cette étude mais leurs caractéristiques pourraient nous aider à comprendre les facteurs nécessaires aux vocalisations », conclut l’anatomiste.
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