Africa-Press – Djibouti. Les Dossiers de Sciences et Avenir: Quelles sont les conséquences de l’arrivée des explorateurs européens pour les populations insulaires du Pacifique ?
Christophe Sand: Dès les premiers contacts, soit pour certaines îles dès le 16e siècle, il y a eu introduction de maladies: grippe, dysenterie, tuberculose, oreillons, maladies vénériennes… Comme sur le continent américain après l’arrivée de Christophe Colomb, le choc microbien provoque d’énormes épidémies car la population, porteuse de peu de maladies, n’a aucune défense immunitaire.
Le choc microbien est donc à l’origine de la déstabilisation de ces sociétés ?
C’est l’élément déclencheur qui entraîne une série de phénomènes aggravants. Ainsi, dans la première moitié du 19e siècle, à travers toutes les îles du Pacifique, les peuples océaniens sont en permanence en guerre entre eux: ils espèrent conjurer ce qui les fait mourir en supprimant ceux qu’ils accusent de ce mauvais sort, même s’ils ont fait le lien avec l’arrivée des Européens.
De plus, les chefs, qui ont été les premiers au contact avec les “découvreurs”, sont les premiers à mourir: les dynasties sont éradiquées, les sociétés déstabilisées. L’impact des maladies vénériennes, c’est aussi la stérilité. La plupart des couples ne peuvent plus enfanter. Au 19e siècle, les missionnaires chrétiens témoignent de villages entiers sans enfants et évoquent un “silence de mort”. Certaines chefferies sont contraintes d’aller chercher des enfants sur d’autres îles et de les adopter pour continuer leur lignée.
Comment êtes-vous parvenu à réévaluer la démographie océanienne initiale ?
Jusque dans les années 1980, les démographes estimaient la densité moyenne de la population pré-contact à seulement dix personnes par kilomètre carré. Dès mes premières années de terrain en Nouvelle-Calédonie, il y a trente ans, cette évaluation m’a paru en décalage avec les données archéologiques que nous collections, comme avec les tout premiers témoignages d’explorateurs signalant des îles “bien peuplées”.
En couplant vestiges archéologiques, tradition orale et récits des “découvreurs” (navigateurs, missionnaires, agents coloniaux…), j’ai réalisé une cinquantaine d’études de cas sur l’ensemble du Pacifique. Elles mettent en lumière une chute démographique de l’ordre de 87,5 % en moyenne. De trois millions d’Océaniens au 16e siècle, il ne restait plus au début des années 1900 que 410.000 habitants.
Comment une telle catastrophe est-elle restée si longtemps inconnue ?
Tout d’abord parce que les missionnaires chrétiens, qui ont constaté le dépeuplement dès la fin du 18e siècle, l’ont minimisé – les Océaniens les accusant d’en être responsables. Puis, à la fin du 19e siècle, la plupart des ethnologues occidentaux avaient la conviction que les peuples insulaires sortaient tout juste de la préhistoire, qu’ils constituaient des sociétés pures, multiséculaires… Quant aux démographes, ils étaient persuadés que les îles du Pacifique étaient protégées des épidémies par leur isolement.
Aux 18e et 19e siècles, comment les colonisateurs réagissent-ils au dépeuplement ?
Il y a ceux qui ne veulent pas voir, ceux qui accusent les indigènes d’avoir des comportements bestiaux, dépravés, de favoriser l’emprise de vieux chefs sur les jeunes filles, ce qui nuirait à une bonne reproduction. Peu d’Européens battent leur coulpe ! D’autant que la colonisation a aussi introduit l’opium, le tabac, l’alcool, souvent frelaté, et cela contribue à justifier l’effondrement démographique. Quant aux missionnaires, ils invoquent la volonté de Dieu.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press