Qu’est-ce que la bactérie Escherichia coli et quelles maladies provoque-t-elle ?

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Qu'est-ce que la bactérie Escherichia coli et quelles maladies provoque-t-elle ?
Qu'est-ce que la bactérie Escherichia coli et quelles maladies provoque-t-elle ?

Africa-Press – Djibouti. Le 30 mars 2023, la direction du groupe suisse Nestlé a décidé de fermer l’usine qui produisait il y a encore un an les pizzas surgelées Fraîch’Up de la marque Buitoni. Ces pizzas avaient été à l’origine d’une infection à E. coli causant la mort de deux enfants et une infection alimentaire chez plus d’une cinquantaine de personnes. Sciences et Avenir avait à cette occasion dressé le portrait de cette bactérie qui tue chaque année plus de 2 millions d’êtres humains, et qui est en même temps un hôte tranquille de nos intestins, élément essentiel de notre microbiote.

Escherichia coli : une bactérie commensale et un modèle expérimental pour les scientifiques

Découverte en 1885 par le pédiatre Théodore Escherichia, E. coli est une bactérie dont 95% des souches ne sont pas dangereuses pour l’être humain. On la qualifie généralement de “bactérie commensale”, c’est-à-dire qu’elle vit en bonne intelligence avec son hôte. Habituellement elle colonise l’intestin des animaux à sang chaud. Elle est transmise au nouveau-né par le microbiote maternel, puis par voie orale, à partir de l’alimentation. Elle est un élément essentiel du microbiote intestinal, dont on sait aujourd’hui qu’en plus de jouer un rôle dans la digestion, il assure des fonctions physiologiques et immunitaires.

Cette bactérie est aussi présente dans les selles ; on peut donc la retrouver dans les sols et dans l’eau, c’est à ce titre qu’elle est utilisée comme indicateur de pollution fécale.

CHRONOLOGIE DE L’AFFAIRE DES PIZZAS BUITONI
Mercredi 30 mars 2022, Santé publique France a confirmé le lien entre la consommation de pizzas surgelées Fraîch’Up (marque Buitoni – groupe Nestlé) et plusieurs dizaines de cas d’infections alimentaires dues à Escherichia coli.

Le 1er avril, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour “homicides involontaires”, “tromperie” et “mise en danger de la vie d’autrui”.

Au 13 avril, 53 cas d’infections sont confirmés, deux enfants sont décédés, et Santé publique France, en lien avec l’Institut Pasteur, enquête sur 26 autres cas.

Mercredi 4 mai, une femme âgée de 34 ans a déposé plainte pour “blessures involontaires” après avoir contracté une infection alimentaire à E. coli et à une autre bactérie Shigella. Elle avait mangé le 27 mars une pizza de la gamme « Bella Napoli », provenant de la même usine que les pizzas Fraîch’Up.

Pour les scientifiques, c’est un organisme vivant modèle. E coli est facile à élever, une simple boîte de Petri avec un gel nutritif suffit. Elle se reproduit rapidement : toutes les 20 minutes environ ; de ce fait en 3 jours, 200 générations sont déjà observées. Elle a l’avantage d’avoir un génome (ensemble des gènes d’un organisme) qui peut muter facilement et se transmettre. Elle échange sans hésiter du matériel génétique avec d’autres familles de bactéries. Elle peut ainsi intégrer d’autres gènes (gènes de résistance aux antibiotiques). Bref, un vrai bonheur pour les chercheuses et les chercheurs. Elle a, par exemple, permis aux pasteuriens François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff de comprendre comment se régule la production des enzymes (opéron lactose), ce qui leur a valu ensuite le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1965.

Quelles maladies provoque Escherichia coli ?

5% de souches de E. coli sont pathogènes pour l’être humain. On les classe en deux catégories, selon qu’elles infectent l’intestin ou s’attaquent à d’autres organes. C’est dans la vessie que l’infection est la plus courante. 12% des femmes seraient touchées chaque année par une infection urinaire, et dans 80% des cas E. Coli en serait la cause. Chez le nouveau-né, en s’attaquant au cerveau et à la circulation sanguine, Escherichia coli est la deuxième cause de méningite et de septicémie. A l’hôpital, Escherichia Coli est responsable de 26% des infections nosocomiales, souvent liées à la pose d’une sonde urinaire, d’une sonde d’intubation, ou encore lors de l’infection d’un cathéter.

Mais son organe de prédilection reste l’intestin où elle provoque des diarrhées plus ou moins graves, de la gastroentérite à des diarrhées infantiles, en passant par des diarrhées du voyageur.

Parmi ces souches pathogènes intestinales d’E. Coli, certaines préoccupent particulièrement les autorités sanitaires : il s’agit d’E. coli dites entérohémorragiques (ECEH) et ce sont elles qui font régulièrement la une de la presse à chaque nouveau rappel de produits contaminés. Identifiée pour la première fois aux États-Unis chez un patient en 1973, puis en 1982, à la suite d’une flambée d’intoxications alimentaires provoquée par des hamburgers dont les steaks hachés étaient insuffisamment cuits, ces souches bactériennes d’Escherichia coli provoquent des diarrhées sanglantes eou des atteintes rénales sévères ; on parle alors de “syndrome hémolytique et urémique” (SHU).

CLIQUEZ SUR L’INFOGRAPHIE POUR LA VOIR EN GRAND. © Horia Bahri/ recherche photo d’Isabelle Tirant/ adaptation de la publication Croxen, M. A., & Finlay, B. B. (2010). Molecular mechanisms of Escherichia coli pathogenicity. Nature Reviews Microbiology, 8(1), 26-38.

Qu’est-ce que le syndrome hémolytique et urémique (SHU) provoqué par E. coli ?

Lorsqu’une personne est infectée par des souches entérohémorragiques, ces dernières produisent, dans l’intestin, une puissante toxine (shiga-toxine), qui attaque les cellules intestinales (diarrhée sanglante). En outre, la toxine est capable de passer dans le sang et de pénétrer dans plusieurs types de cellules : certaines cellules rénales, ce qui conduira à l’insuffisance rénale, voire certaines cellules cérébrales, ce qui provoquera des troubles neurologiques.

Le mode opératoire de la bactérie a été décrit : les cellules attaquées possèdent en effet un récepteur auquel peut se lier la toxine. Une fois dans la cellule, celle-ci se fixe sur un élément de la machinerie moléculaire (ribosome) et empêche la synthèse des protéines. C’est la mort des cellules (apoptose).

CLIQUEZ SUR L’INFOGRAPHIE POUR LA VOIR EN GRAND. Infographie par Betty Lafont, publication originale dans un article d’Hervé Ratel publié dans Sciences et Avenir, juillet 2011/ sources : Anses et LNR.

Quels sont les symptômes du SHU ?

L’infection donne lieu à des diarrhées banales ou évolue vers des diarrhées sanglantes. Au début de la contamination le malade peut être pris de vomissements. De plus apparaissent des douleurs abdominales, accompagnées ou non de fièvre légère.

Ces symptômes sont sensibles entre 3 et 4 jours après la contamination, mais selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement, travail), cette durée d’incubation peut être bien plus courte (2 jours) ou bien plus longue (12 jours).

Un malade est contagieux pendant une semaine, mais chez les enfants ce délai peut s’allonger. Il est par ailleurs possible d’être porteur sain de ces souches bactériennes. Les symptômes disparaissent assez rapidement, entre 5 et 12 jours après l’infection, et moins de 10% des personnes infectées développent des formes graves. Le SHU conduit dans 50% des cas à une insuffisance rénale, dans 25% des cas à des complications neurologiques. En France, dans 1% des cas le malade ne survit pas à l’infection, ce patient étant souvent un enfant de moins de 15 ans.

Quels traitements sont-ils possibles ?

Bien qu’il s’agisse d’une infection bactérienne, les antibiotiques sont déconseillés, car la destruction des bactéries entraîne la libération des toxines et aggrave la maladie. Dans le cas de la forme bénigne, il est conseillé aux patients de se réhydrater. Pour les formes graves, la stratégie thérapeutique consiste à compenser les déficits occasionnés par les toxines : par exemple, le malade est dialysé pour compenser le dysfonctionnement du rein, et des transfusions de sang sont réalisées pour compenser la chute de globules rouges. Cependant de nouveaux traitements sont en cours d’évaluation. Ils concernent des antibiotiques (azithromycine) qui n’entraîneraient pas le relargage des toxines.

Quels sont les risques en France d’avoir une forme grave après une infection par une bactérie entérohémorragique (ECEH) ?

En 2020, en France, 167 cas de SHU ont été signalés. Mais le nombre varie chaque année et est en augmentation depuis 1996, année du début du suivi de ce syndrome. Ce sont surtout les enfants de moins de 3 ans qui en sont les principales victimes, 68% en 2020. Les autres patients ont la plupart du temps moins de 15 ans. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution car lors de l’épidémie de ECEH en Allemagne en 2011, l’âge médian des patients qui ont développé un SHU était de 42 ans.

CLIQUEZ SUR LE TABLEAU POUR LE VOIR EN GRAND. Nombre de cas de SHU répertorié chez les enfants de moins de 15 ans en France de 1996 à 2020. © Bilan SHU 2020 – Institut Pasteur – hôpital universitaire Robert-Debré – Santé publique France

Comment contracte-t-on une infection à E. coli de type ECEH ? Et avec quels aliments ?

Si, lors de l’identification de cette souche d’E. coli, on a parlé de “maladie du hamburger” car tous les patients infectés avaient consommé du steak haché contaminé, le mode de transmission est bien plus large puisque les animaux, qu’ils soient dits d’élevage ou sauvages peuvent être des porteurs sains. Le mode de transmission principal est donc l’ingestion d’aliments contaminés : produits carnés ou produits laitiers, au lait cru en particulier.

Cependant des fruits et des légumes crus non pelés ou de l’eau non traitée peuvent être sources de contamination s’ils ont été au contact de matières fécales d’animaux contaminés. On se souvient des graines germées de fenugrec qui avaient été mises en cause dans l’explosion de cas en 2011 en Allemagne.

La contamination peut aussi se faire par contact avec des animaux de ferme ou avec leur environnement : quelques cas ont été observés au Japon (2006), aux États-Unis (2007) et au Royaume-Uni (2009).

La transmission entre personnes est également possible : elle a été observée dans les lieux d’accueil de la petite enfance ou au sein de la cellule familiale.

CLIQUEZ SUR LE TABLEAU POUR LE VOIR EN GRAND. Epidémies à EHEC survenues entre 2006 et 2011 et répertoriées dans la littérature scientifique – Ce tableau montre la variété des sources de contamination. Source : BEH (bulletin épidémiologique hebdomadaire)/HS – 9 mai 2012.

Quelles préventions peut-on mettre en place contre les infections à E. coli de type ECEH ?

La première des préventions consiste à appliquer strictement les mesures d’hygiène et de contrôle à tous les stades de la chaîne alimentaire, de la production à la préparation des aliments, aussi bien dans les établissements industriels qu’en milieu familial. Pour les particuliers, le site internet de l’Institut Pasteur conseille huit types de précautions, en rappelant qu’elles concernent tout particulièrement les jeunes enfants, et mettent en garde contre deux produits : les steaks hachés et les fromages au lait cru. Les autorités françaises ont créé un site internet Rappel Conso répertoriant les lots d’aliments contaminés.

Rappel de produit : pizzas Fraîch’Up Buitoni du groupe Nestlé dans le rayon d’un supermarché du 15e arrondissement de Paris, le 6 avril 2022 © Laure Boyer / Hans Lucas / AFP

Depuis 1996, en France, une surveillance des SHU chez les enfants de moins de 15 ans a été mise en place par l’Agence nationale de santé publique. Dans le cadre de la surveillance des infections alimentaires collectives, lorsque des cas suspects de SHU sont observés, ils doivent être déclarés ; des prélèvements chez les patients sont ensuite analysés par le CNR (Centre national de référence) afin de déterminer s’il s’agit d’une intoxication de même origine.

Cependant, certaines ONG regrettent que des mesures plus contraignantes n’aient pas été prises pour obliger les industriels de l’agroalimentaire à davantage de rigueur, et dénoncent le manque de contrôle des chaînes de fabrication de produits alimentaires. Le cas de l’usine de fabrication des pizzas Fraîch’Up Buitoni du groupe Nestlé en est un exemple frappant. Après l’apparition de plusieurs cas de contaminations et deux morts, l’inspection sanitaire de l’usine avait montré “un manque d’entretien et de nettoyage des zones de fabrication, de stockage et de passage”.

Toutes les mesures de précaution prises individuellement par les particuliers et collectivement par le corps médical ne pourront donc être efficaces que dans la mesure où les produits alimentaires mis sur le marché seront eux-mêmes sans danger. A quel horizon peut-on l’espérer sachant par exemple que le nombre d’inspections sanitaires inopinées faites par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a fortement diminué entre 2011 et 2019 ?

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