Africa-Press – Djibouti. Le signal a été capté le 28 avril 2021 par les détecteurs de Parker Solar Probe. Alors qu’il plongeait pour la huitième fois vers le Soleil, à 13 millions de kilomètres de l’astre, le vaisseau de la Nasa venait de franchir la « surface critique d’Alfvén », frontière entre l’espace interplanétaire et la zone interne de la couronne solaire. Pour la première fois, une machine humaine pénétrait dans les profondeurs d’une atmosphère stellaire ! Après six décennies d’attente, les spécialistes de l’héliophysique voyaient donc enfin se réaliser un rêve qui remonte aux débuts de l’ère spatiale.
Coup sur coup, en août 2018 et février 2020, deux missions d’étude ont pris leur envol. La première est américaine : Parker Solar Probe doit survoler 24 fois les régions équatoriales du Soleil. La seconde est européenne : Solar Orbiter va observer ses pôles avec une résolution inédite. Dans les deux cas, il s’agit d’identifier les mystérieux phénomènes qui font de la couronne l’un des milieux les plus extrêmes du Système solaire.
Une région vaste
Lorsqu’on l’observe, le Soleil a l’apparence d’une sphère. Mais qu’une éclipse survienne, cachant son disque derrière la Lune, et des structures périphériques apparaissent, éclairées par la lumière crépusculaire. Produites par des champs magnétiques, de grandes boucles ouvertes ou fermées, « plumes » et « jets », jaillissent de notre étoile. Ici ou là, quelques protubérances, composées d’une matière moins chaude que le gaz du milieu environnant, dessinent des arches rouges dans le limbe lunaire. C’est la couronne, une région vaste qui s’étend depuis la surface de notre étoile, la photosphère, jusqu’à des millions de kilomètres de distance…
Cette partie supérieure de l’atmosphère solaire où circulent, à travers toute une « tuyauterie » de tubes magnétiques connectés à la surface, des gaz de plasma constitués d’électrons, de protons et d’ions, fourmille d’énigmes que Parker Solar Probe et Solar Orbiter doivent tenter de résoudre. « Pour l’une, en amenant des sondes au plus près de la fournaise – sondes protégées par un bouclier conçu pour résister aux températures de 1.400 °C qu’elles rencontreront. Pour l’autre, en réalisant des observations à distance et en mesurant les caractéristiques du milieu traversé à l’aide de dix instruments, dont six ont été construits avec la participation d’équipes françaises », explique Milan Maksimovic, directeur de recherche CNRS à l’Observatoire Paris-PSL, responsable scientifique de l’expérience RPW (Radio and Plasma Waves), chargé d’analyser les ondes émises par les plasmas sur Solar Orbiter et impliqué dans l’expérience Fields de Parker Solar Probe.
Première énigme concernant la couronne : celle de son chauffage. Dès 1869, les astronomes américains William Harkness et Charles Young remarquent, au cours d’une éclipse, la présence d’une raie inconnue dans le spectre de la lumière visible qu’elle émet. Interprétée d’abord comme une preuve de l’existence d’un nouvel élément chimique, le « coronium », cette bande de couleur verte est produite – on le découvrira dans les années 1930 – par des atomes de fer ayant perdu 13 de leurs 26 électrons. Problème : pour que le fer se retrouve dans cet état, il doit avoir été porté à des températures considérables. Pas moins de deux millions de degrés ! Or, les observations sont formelles : la surface du Soleil atteint à peine les 5.500 °C… De plus, elle est un million de fois plus brillante que la couronne, dont les émissions lumineuses se limitent pour l’essentiel à des rayons UV et X. Comment expliquer qu’en s’éloignant du brasier, la chaleur augmente au lieu de diminuer ? Et cela, de plus de 300 fois, dans une couche de l’atmosphère de 2.000 kilomètres d’épaisseur à peine !
Diverses théories ont été proposées : l’une, avancée par l’astrophysicien américain Eugene Parker (1927-2022), connu pour avoir théorisé dans les années 1950 l’existence du vent solaire, fait appel à des « nano-éruptions » ; une autre fait intervenir les « ondes d’Alfvén », des vibrations se propageant le long des lignes de champs magnétiques avant de dissiper leur énergie en altitude. Mais aucune de ces hypothèses n’a pu être confirmée.
L’autre grande interrogation concerne le vent solaire, ce flux d’électrons, de protons et d’ions émis en permanence par la couronne et qui se répand en spiralant à travers l’ensemble du Système solaire. « En le mesurant, les astronomes se sont aperçus qu’il présente deux régimes de vitesse différents, indique Kader Amsif, responsable du programme Soleil, héliosphère, magnétosphère au Cnes. L’un, de 600 à 800 km/s, est dit ‘rapide’ et reste inexpliqué, même s’il semble provenir de zones plus froides des pôles, appelées ‘trous coronaux’. »
D’étranges phénomènes dans le vent solaire
Comment ces bourrasques sont-elles accélérées depuis la base quasi statique de l’atmosphère où elles sont censées prendre naissance ? De quelle façon acquièrent-elles la vélocité qui leur est nécessaire pour échapper à la gravité et aux champs magnétiques du Soleil ? Par ailleurs, pourquoi sont-elles si chaudes ?
En se rapprochant de l’étoile jusqu’à des distances inédites, les missions américaine et européenne pourraient récolter de précieuses informations. De fait, elles ont déjà produit des révélations spectaculaires. Dès son premier survol de l’astre, en octobre 2018, Parker Solar Probe a pu observer d’étranges phénomènes dans le vent solaire, près de sa source : de soudaines modifications de la géométrie des lignes de champs magnétiques le long desquelles il se déplace. « Ces renversements du champ magnétique local durent quelques secondes à plusieurs heures et créent, sur ces structures, des lacets (ou switchbacks ) en forme de S plus ou moins marqués », raconte Clara Froment, chargée de recherches CNRS au Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E), à Orléans. La surprise ne vient pas tant de l’existence de ces « déflexions » – d’autres sondes en avaient détecté – que de leur fréquence et de leur nombre. Suggérant la possibilité qu’elles soient, d’une façon ou d’une autre, associées au mécanisme responsable du chauffage et de l’accélération du vent solaire.
En attendant le prochain pic d’activité du Soleil
Quelques mois plus tard, en mai 2020, c’était au tour de Solar Orbiter de surprendre les astronomes. Les premières images de la couronne envoyées par la sonde dévoilaient la présence d’une nuée de minuscules boucles éclairées : pas moins de 1.500 sur le champ de vue exploré par l’instrument en quatre minutes d’observation, et couvrant des régions de 400 à 4.000 kilomètres. Depuis, des dizaines de milliers de ces « feux de camp » (campfires) ont été identifiés sur des images exhumées des archives des observatoires, laissant supposer qu’ils constituent une forme d’activité permanente du Soleil.
Pourraient-ils correspondre à ces fameuses nano-éruptions si longtemps invoquées – mais jamais observées – pour expliquer le chauffage de la couronne ? Ces tempêtes, un milliard de fois moins puissantes que celles susceptibles d’être détectées depuis la Terre, seraient produites constamment, partout à la base de la couronne, par l’entortillement de lignes de champs magnétiques supposément induit par les mouvements internes du Soleil… « Pris individuellement, ces ‘feux de camp’ sont des événements insignifiants. Pour savoir si, collectivement, ils pourraient chauffer la couronne, il faudrait pouvoir établir leurs bilans d’énergie, ce qui ne sera pas simple » , tempère Fréderic Auchère, astronome à l’IAS (Institut d’astrophysique spatiale) et responsable des spectro-imageur et imageur Spice et EUI de Solar Orbiter.
Les deux sondes devraient avoir rejoint leur place en 2024 ou 2025 pour assister au grand spectacle à venir : le prochain pic d’activité du Soleil. « Ce maximum se caractérise par une augmentation du nombre des éruptions et des éjections de masse coronale, ainsi que par une inversion des pôles magnétiques de notre étoile , explique Sacha Brun, responsable scientifique du programme Solar Orbiter au CEA. Tous ces événements vont pouvoir être observés avec une résolution et sous des angles inédits. Cela permettra de comprendre quantité de phénomènes. Qu’il s’agisse des irrégularités du cycle de onze ans qui rythme l’activité du Soleil, de la dynamo à l’origine de ses champs magnétiques, des ondes sismiques qui parcourent l’intérieur de notre étoile, ou encore de la modulation de la spirale décrite par le vent solaire. » L’aventure ne fait que commencer !
Toucher le Soleil : mission accomplie !
Parvenir à déployer des instruments dans l’atmosphère du Soleil… Une prouesse que les astrophysiciens auront mis pas moins de six décennies à accomplir. Dès 1958, le Conseil national de la recherche des États-Unis préconisait l’envoi d’une sonde dans les régions situées entre notre étoile et l’orbite de Mercure. Un projet hors de portée des technologies alors disponibles. Mais dans les années 1960, la confirmation de l’existence du vent solaire par les premières missions soviétiques Luna incitera d’autres nations à se lancer dans la course. Plus d’une dizaine de projets de vaisseaux spatiaux verront ainsi le jour, en URSS, aux États-Unis et même en France. Certains projettent d’envoyer des astronefs directement à l’intérieur du Soleil grâce à des systèmes de propulsion nucléaire, d’autres visent par la suite à tirer parti de l’attraction gravitationnelle de planètes afin de placer des engins sur des orbites leur permettant de passer, à une ou plusieurs reprises, à travers l’atmosphère solaire.
À l’étude entre 2000 et 2005, dans le cadre du programme New Horizons de la Nasa, la mission Solar Probe imaginait se servir de Jupiter comme d’une fronde pour placer une sonde sur une trajectoire qui lui aurait permis de survoler les deux pôles de notre étoile, à une altitude de 2,8 millions de kilomètres. Mais, jugée trop chère et par trop incertaine quant à ses retombées scientifiques (Solar Probe devait effectuer au mieux deux survols), elle sera retoquée par la Nasa. L’actuelle Parker Solar Probe, lancée en 2018, a hérité de ces travaux préparatoires. Moins ambitieuse pour ce qui est de sa pénétration dans l’atmosphère du Soleil (la sonde ne s’approchera jamais de sa surface à moins de 6,9 millions de kilomètres), la mission recueillera davantage de données grâce à une vitesse réduite et un nombre d’allers-retours plus important – 24. Son plan de vol ne prévoit pas une observation des pôles. Mais cette tâche sera assurée par la sonde Solar Orbiter de l’ESA, lancée en 2020, qui toutefois ne passera jamais à moins de 42 millions de kilomètres de l’astre.
Les deux sondes auront-elles des successeurs ? En février 2022, la Nasa a annoncé la sélection de deux futures missions solaires. La première, baptisée Muse, a pour but de déployer dans l’espace un télescope fonctionnant dans le domaine des « ultraviolets extrêmes », à même de réaliser des images de la couronne solaire d’une résolution inédite. La seconde, HelioSwarm, s’appuiera quant à elle sur une flottille de neuf satellites qui, fonctionnant de conserve, seront pour la première fois capables de cartographier les fluctuations du champ magnétique émis depuis la surface de notre astre et les turbulences de son vent.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press