Africa-Press – Djibouti. Une filière agricole tropicale est en train de s’immiscer dans les assolements des pays européens tempérés. Le sorgho conquiert petit à petit de nouvelles latitudes, aidé par le changement climatique qui favorise sa résistance aux températures élevées mais poussé également par l’intérêt nouveau porté à ses graines. Les 400 participants au deuxième congrès mondial dédié à la plante, qui s’est tenu à Montpellier du 5 au 9 juin 2023, croient en tout cas en cette culture pour l’instant modeste mais répandue dans le monde entier, et qui commence à conquérir les campagnes françaises.
Le sorgho, c’est la plante nourrissante de l’Afrique sub-saharienne, la base de l’alimentation de 300 millions de paysans pauvres qui lui doivent de ne pas sombrer dans la faim. Sur les 60 à 70 millions de tonnes produites tous les ans (ce qui place la plante très loin des 1000 millions de tonnes du maïs, les 750 millions de tonnes du riz et du blé, les 160 millions de tonnes de l’orge), 30 millions de tonnes sont produites en Afrique, principalement pour l’alimentation. Mais le premier pays producteur mondial, ce sont les Etats-Unis qui vendent une grande partie de leur récolte à la Chine pour nourrir leurs porcs. « Les conditions de culture ne sont évidemment pas les mêmes si bien que les rendements américains atteignent de 3 à 4 tonnes par hectare contre 700 kilos à 1,2 tonne en Afrique », pose David Pot, chercheur à l’unité d’amélioration génétique et d’adaptation des plantes tropicales (AGAP) au Cirad.
La culture s’installe en Europe
Comme l’Afrique, l’Amérique latine consomme le sorgho pour l’alimentation humaine et animale et seule l’Argentine en exporte. Enfin, l’Asie-du-sud-est produit elle aussi pour répondre aux besoins des élevages porcins chinois. « Avec la peste porcine africaine, les Chinois ont des rotations importantes d’animaux et donc de grands besoins d’aliments pour ce bétail », explique Martin Gomez, chargé de promotion de la culture à l’association française des producteurs de maïs au sein du consortium Sorghum ID. L’Europe enfin est une terre de conquête pour le sorgho où la culture a trouvé une tête de pont, la Hongrie.
Si le sorgho a trouvé refuge chez les planteurs de maïs français, c’est que la céréale à bien des points communs avec son grand cousin. Elle a d’abord de multiples usages. Outre son rôle alimentaire des hommes et des bêtes, elle sert aussi à produire des sucres, des alcools, des molécules à forte valeur ajoutée pour l’industrie, des carburants de première génération. En Chine, elle est la base d’une boisson alcoolisée prisée, le Baiju et la bière de sorgho -courante en Afrique- intéresse les brasseurs européens. Ses tiges et feuilles peuvent servir pour la production de biogaz ou bien comme biomasse énergie. « Nous avons aussi mené des expériences de sorgho semé comme une luzerne que les bovins peuvent pâturer pendant que la plante régénère le sol grâce à ses racines profondes », poursuit Martin Gomez.
Une nouvelle culture qui permet à l’agriculture française de s’adapter au changement climatique
Spécialisé dans l’agriculture tropicale, le Cirad, organisateur du congrès de Montpellier, suit des programmes de recherche pour optimiser les rendements en Afrique et ainsi améliorer le sort des paysans du Sahel. « Il s’agit d’obtenir une production plus régulière tout en conservant une bonne qualité de grain, d’accroître la compétitivité de la plante et de lui assurer de nouveaux débouchés pour que les agriculteurs puissent mieux en vivre », explique David Pot. Les recherches portent donc sur de nouvelles variétés plus productives et plus adaptées à la demande des marchés avec une réelle coopération entre les laboratoires des pays développés et ceux d’Afrique. « La plante est originaire d’Ethiopie et du Soudan et c’est là que se trouve la plus grande diversité génétique dont ont besoin les laboratoires de sélection américains et européens, poursuit David Pot. Les échanges de techniques contre du matériel génétique sont donc nombreux ». L’agronomie est également explorée avec des essais de culture associée avec le niébé, le haricot africain lui aussi à fort potentiel.
Dans les pays tempérés, les enjeux sont tout autres. « Dans un contexte de changement climatique, le sorgho peut judicieusement s’insérer dans les assolements et fournir une alternative aux agriculteurs quand ils doivent faire leurs choix de plantation », expose Martin Gomez. La plante demande en effet beaucoup moins d’eau et résiste beaucoup mieux aux canicules. Alors que le maïs s’épanouit entre 23 et 26°C, le sorgho savoure les 27-30°C et sa culture nécessite 30% de moins d’eau du fait de racines très profondes. Cela explique que ce sont les organisations de planteurs de maïs qui, depuis 2017, président au développement de la culture en France. Les surfaces augmentent régulièrement pour occuper aujourd’hui 30 000 hectares semés principalement dans le sud-ouest.
De nouvelles recettes pour élargir les débouchés
Cependant, la plante a de nombreux défauts pour les agriculteurs. « Le principal, c’est qu’elle est concurrencée par les mauvaises herbes, or la réduction de l’usage des pesticides imposent le désherbage mécanique qui implique de passer deux fois au lieu d’une dans les champs », assure Martin Gomez. L’autre défaut est celui du risque climatique qui est l’inverse de celui du maïs. Le sorgho peut en effet voir ses rendements drastiquement baisser si l’été est pluvieux et pas très chaud, ce qui est arrivé en 2021. En revanche, des étés secs et caniculaires le favorisent et pénalisent le maïs dont les rendements plongent dès qu’il y a interdiction d’irriguer comme c’est arrivé en 2022. « Ce que nous préconisons, c’est d’insérer le sorgho dans les assolements annuels et non pas de remplacer le maïs », rassure Martin Gomez. Le dernier obstacle enfin est celui des filières de collecte et de traitement de la plante. La plupart des coopératives ne sont pas équipées pour accueillir, stocker et commercialiser le sorgho. C’est exactement le même problème pour les légumineuses (pois, féverolles, lupins) qui, elles aussi, ne sont pas assez densément cultivées dans certaines régions pour justifier économiquement un circuit de collecte et la construction de silos.
Le congrès de Montpellier a également été l’occasion d’observer une réelle agitation autour des utilisations du sorgho. L’industrie de la transformation explore les possibilités d’une céréale dont la farine peut servir à la panification, les sucres à des sirops, et les graines peuvent même remplacer le maïs pour le pop-corn. « En Afrique, l’enjeu est majeur car le sorgho a une image de nourriture de pauvres et de ruraux si bien que les urbains se tournent vers des aliments importés comme le blé et le riz » ,regrette David Pot. En la matière, ce sont les Américains qui ont le plus d’imagination ainsi que le démontrent par exemple des entreprises comme Nu Life au Kansas avec des arguments gustatifs mais aussi sanitaire : le sorgho ne contient pas de gluten.
Les recherches s’intensifient donc pour effacer cet obstacle devant une plante dont les agronomes savent qu’elle peut constituer un bon moyen pour l’agriculture de s’adapter à un climat plus sec et plus chaud. De nouvelles variétés, plus tolérantes à des températures qui ne sont pas encore africaines, sont en cours de développement. L’institut technique des céréales Arvalis teste des itinéraires culturaux qui diminuent la présence de mauvaises herbes. Petit à petit, le sorgho se fait sa place.
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