
Africa-Press – Djibouti. Une équipe internationale de chercheurs a reconstitué l’écosystème de la Formation de Paja, un site exceptionnel situé en Colombie et vieux de 130 millions d’années. Cette étude récente dont nous nous sommes faits l’écho a permis de découvrir un réseau trophique unique, dominé par d’imposants reptiles marins qui surpassaient en taille et en prédation les orques et les requins blancs actuels. Grâce à l’analyse des fossiles de plésiosaures, d’ichthyosaures et d’autres prédateurs marins, les chercheurs ont pu reconstituer avec précision la chaîne alimentaire de cet environnement aujourd’hui disparu.
Utilisation d’analogues vivants
En s’intéressant aux dynamiques écologiques de cette époque, les scientifiques espèrent également mieux comprendre les facteurs qui influencent la stabilité et l’évolution des écosystèmes océaniques modernes. Pour mieux comprendre ces découvertes, nous avons interrogé Hans Larsson, co-auteur de l’étude et professeur à l’Université McGill (Canada).
Sciences et Avenir: Comment définissez-vous et déterminez-vous les niveaux trophiques dans un écosystème fossile comme celui de la Formation de Paja ?
Hans Larsson: Les niveaux trophiques ont été calculés en construisant une matrice résumant les relations prédateur-proie. Le registre fossile préservant rarement ces liens de manière directe, nous avons utilisé des indicateurs anatomiques tels que la taille du corps et de la tête, la forme des dents et d’autres traits liés à l’alimentation pour estimer les régimes alimentaires. Dans certains cas, des analogues vivants, comme les tortues marines, nous ont aidés à mieux comprendre les habitudes alimentaires des espèces fossiles. Nos recherches montrent que dans les écosystèmes actuels, des critères simples comme la taille du corps et le type de régime (carnivore ou herbivore) permettent de reproduire les réseaux trophiques avec plus de 90 % de précision.
Votre étude révèle l’existence d’un 7ème niveau trophique (contre six dans les océans actuels) dominé par des superprédateurs. Qui étaient-ils ?
Nos analyses suggèrent que les plus grands prédateurs de cet écosystème se nourrissaient principalement de poissons prédateurs et de reptiles marins. Aujourd’hui, ces interactions seraient comparables à celles impliquant des grands requins blancs ou des orques sauf qu’ici, il faut rajouter un niveau trophique puisque dans le cas de Baja, les créatures similaires aux grands requins et aux orques étaient des proies de prédateurs encore plus gros. Cette position trophique élevée est une caractéristique remarquable et rare, elle illustre la complexité des interactions prédateur-proie dans ces eaux du Crétacé. D’autres écosystèmes préhistoriques, notamment ceux du Jurassique tardif, présentent des structures alimentaires similaires, où des prédateurs marins occupaient les mêmes niches écologiques.
La révolution du Mésozoïque
En quoi la Révolution Marine du Mésozoïque a-t-elle transformé les interactions prédateur-proie et comment ses effets se manifestent-ils encore aujourd’hui ?
La Révolution Marine du Mésozoïque (RMM) a marqué l’émergence d’animaux capables de s’attaquer à des proies à coquille dure, ce qui a profondément modifié les équilibres écologiques marins. Avant cette période, de nombreux invertébrés marins vivaient en sécurité dans leurs coquilles rigides. Mais à partir du Mésozoïque, des poissons et des reptiles marins ont évolué pour pouvoir briser ces protections, enclenchant une course aux armements entre prédateurs et proies. Aujourd’hui encore, cette dynamique se retrouve chez plusieurs vertébrés qui consomment des invertébrés à carapace dure, formant un niveau trophique essentiel des écosystèmes marins modernes.
Quel est l’intérêt de comparer les écosystèmes du passé à ceux d’aujourd’hui ?
L’étude des écosystèmes fossiles permet de mieux comprendre comment les réseaux trophiques ont évolué au fil des millions d’années. En reconstituant ces chaînes alimentaires, nous pouvons identifier des tendances à long terme dans les interactions entre prédateurs et proies. Ces données sont essentielles pour comprendre les dynamiques actuelles des océans et prévoir l’impact des changements environnementaux sur les écosystèmes marins. L’analyse de la Formation de Paja nous offre une fenêtre unique sur un âge d’or de la biodiversité marine et peut nous aider à mieux appréhender les mécanismes qui sous-tendent la résilience des océans modernes.
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