Africa-Press – Gabon. Sauf rétropédalage, l’incarcération du fils aîné d’Ali Bongo devrait faire des ravages. De nombreuses personnalités et institutions pourraient être concernées.
C’est une décision judiciaire aux conséquences politiques et institutionnelles encore mal évaluées. Accusé notamment de faux et usage de faux, contrefaçon des sceaux de la République, contrefaçon d’imprimés officiels, falsification de la signature du chef de l’Etat, usurpation de titre et de fonction, Noureddin Bongo Valentin a été écroué mardi dernier. Coordonnateur général des Affaires présidentielles de décembre 2019 à septembre 2021, il est soupçonné d’avoir profité des ennuis de santé d’Ali Bongo pour s’accaparer des leviers du pouvoir. Or, selon la Constitution en vigueur à compter du 11 janvier 2021, «tout acte portant atteinte (…) à l’intégrité des institutions constitue un crime de haute trahison.» Même si les contours de cette notion demeurent flous, on imagine la lourdeur de la peine encourue. Déjà, l’on se demande si les tribunaux de droit commun peuvent connaître de cette affaire ou s’il faut recourir à une juridiction d’exception.
Au vu et au su de tous
Sauf rétropédalage, cette incarcération devrait faire des ravages. Son onde de choc devrait atteindre de nombreuses personnalités et institutions. De Marie-Madeleine Mborantsuo à Luc Oyoubi, Jonathan Ignoumba ou Christian Bignoumba Fernandez en passant par Julien Nkoghé Bekalé, Rose Christiane Ossouka Raponda, Alain-Claude Billié-By-Nzé, Faustin Boukoubi ou Lucie Milébou Aubusson Mboussou, tant de gens semblent concernés à des degrés divers. De la Cour constitutionnelle au gouvernement en passant par les bureaux des deux chambres du Parlement, tant de structures peuvent être mises en cause. On peut crier à l’injustice au regard des rôles des uns. On peut évoquer l’omnipotence des présidents d’institutions pour excuser les autres. On peut même plaider la méconnaissance des faits. Mais, toutes ces personnalités étaient en position de sonner l’alerte. En cas de résistance, elles avaient la liberté de se démettre. En se maintenant, elles ont choisi de se soumettre, acceptant de couvrir une usurpation de pouvoir.
Certes, personne n’a eu accès au dossier médical du président déchu. Certes, sa famille nucléaire entretenait l’opacité. Mais ses apparitions publiques en disaient long sur ses capacités physiques et cognitives. Comme s’il n’était pas de leur responsabilité de faire respecter la Constitution, les institutions et leurs animateurs préféraient regarder ailleurs. Pendant ce temps, Noureddin Bongo Valentin gagnait en influence au vu et au su de tous. En février 2020, il ordonna au ministre de l’Enseignement supérieur de demander des explications au recteur de l’Université Omar Bongo à propos de sa gestion. Révulsé, Marc-Louis Ropivia choisit alors de rendre son tablier. Deux mois plus tard, en avril 2020, il intima l’ordre aux députés de distribuer des kits alimentaires prétendument offerts par lui. Apeuré, le président de l’Assemblée nationale répondit dans un langage extrêmement policé, décrivant cet oukase comme le signe de la «reconnaissance de (l’) ancrage (des députés) au sein de la population».
Aller au fond du dossier
Fut-il fils aîné d’Ali Bongo, Noureddin Bongo Valentin ne se serait jamais cru tout permis si les institutions lui avaient opposé leur statut. Il n’aurait jamais pris de telles initiatives si les détenteurs de l’autorité publique ne lui avaient pas fait allégeance. D’où la nécessité d’aller au fond du dossier. Pourtant, personne n’est demandeur d’une purge stalinienne. Encore moins d’une chasse aux sorcières. Nul ne veut imputer à autrui les fautes d’un autre. Effrayés par les dysfonctionnements institutionnels de ces dernières années, les Gabonais veulent s’assurer de la viabilité de leur Etat. Choqués par les outrances de personnes à peine sorties de l’adolescence, ils veulent faire la lumière sur cette période. Désireux d’obtenir des garanties de non-répétition, ils veulent pointer les responsabilités, quitte à inviter chacun à assumer les conséquences de ses actes. Prêts à offrir l’absolution, ils tiennent la justice pour un préalable au repentir.
Ayant dénoncé «une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale», le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) s’est posé en garant de «la protection des institutions». Dès lors, la justice ne devrait rencontrer aucune résistance si elle entend faire son travail dans le respect des règles, y compris des droits de la défense. Ainsi, devrait-elle commencer par citer à comparaître toutes les personnes «dont l’audition paraît utile à la manifestation de la vérité», conformément à l’article 108 du Code de procédure pénale. Dans cette optique, l’article 13 de la Constitution peut l’aider à dresser la liste des témoins potentiels. Sauf si elle ne redoute pas de nourrir le soupçon ou les accusations d’instrumentalisation voire de politisation, la justice ne peut éviter cette étape.
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