Africa-Press – Gabon. Depuis la rentrée scolaire du 1er septembre, les établissements de Libreville sont le théâtre d’une inquiétante montée de violences. En l’espace d’un mois, huit élèves ont été interpellés dans les lycées Georges-Mabignath et Paul-Indjendjet-Gondjout, un adolescent de 15 ans, Warren, a été violemment agressé, et un élève du lycée Léon Mba poignardé à trois reprises par un camarade. Face à cette recrudescence, une question s’impose: les tendances musicales actuelles contribuent-elles à banaliser, voire encourager, ces comportements?
Des paroles qui dérangent
Il y a deux ans, l’artiste Espoir La Tigresse alertait déjà sur l’influence croissante du langage argotique dans la musique urbaine, un langage désormais omniprésent dans les cours d’école. Aujourd’hui, c’est le contenu même des chansons qui suscite l’inquiétude. Le style Ntcham-Bangando, très populaire chez les jeunes, véhicule des paroles qui semblent glorifier la délinquance.
Des phrases choc telles que «Tue quelqu’un, quelqu’un meurt» dans les clips de L’Oiseau Rare ou Fetty Ndoss, ou encore «Tout le monde est maudit, sauvage, voleur, jusqu’à la gare» dans le titre Tu Ndolo Le Ndoss de Pablito, interpellent. Le général Itachi, dans Transcender, évoque sans détour: «Tu sors la lame».
Les visuels qui accompagnent ces morceaux ne sont pas en reste. Ils mettent en scène des braquages, des vols, et des figures controversées comme le «Roi Béni», présenté comme un modèle dans plusieurs clips. Le titre Goudronnier de Donzer, avec sa formule «Dadado, dans les cobolos», fait l’apologie de la consommation de drogues, tout comme l’usage du mot «poignardé», qui illustre crûment la violence juvénile.
L’inquiétude des élèves et du corps enseignant
Face à cette tendance, élèves et enseignants tirent la sonnette d’alarme. Sandra N. V., élève de quatrième au lycée d’Awoungou, témoigne: «La musique d’aujourd’hui ne raconte rien. Ils font de la musique pour le buzz et poussent les jeunes que nous sommes à nous révolter. Ils disent qu’être un ndoss (délinquant, voyou) c’est être génial. Nos frères et sœurs s’intéressent à ça, car ils se disent que c’est normal.»
Pour elle, la musique, censée adoucir les mœurs et éveiller les consciences, a perdu sa vocation éducative.
Même constat du côté des enseignants. B.L., professeure à l’école privée laïque Les Atchoums, déplore: «Dans nos écoles, la musique d’aujourd’hui ne fait qu’enfoncer cette jeunesse dans la dépravation des mœurs, aucun texte concret, aucun enseignement. La musique ne parle que de kobolos (drogue) ; à quoi doit-on s’attendre?»
La musique: entre éducation et responsabilité
Face aux critiques, certains artistes appellent à une prise de conscience. Mijie Avika, ambassadrice culturelle, insiste sur le rôle fondamental de la musique comme vecteur de valeurs et outil de médiation: «Quel que soit le style musical, le texte doit être soigné et s’inscrire dans une démarche de conscientisation.»
Le slameur La Voix de l’Orphelin, auteur du texte Lettre à ma génération, aborde lui aussi les violences scolaires. Il pointe du doigt la responsabilité des autorités qui valorisent parfois d’anciens détenus, érigés en modèles: «Si le style, le son et la mélodie comptent, le message du texte est primordial. Les jeunes devraient être capables de choisir le message qui conscientise plutôt que celui qui brutalise.»
Quelle régulation face à l’urgence?
Alors que le président de la République prône une politique de tolérance zéro, la société gabonaise s’interroge sur l’environnement moral et culturel dans lequel évolue sa jeunesse. L’enfant grandit au contact de ce qui l’entoure, et la musique, omniprésente dans son quotidien, façonne en partie son imaginaire.
Dès lors, un encadrement rigoureux des contenus musicaux semble indispensable. Une politique de régulation, voire de censure, pourrait s’imposer face à des productions qui promeuvent ouvertement la violence et la consommation de stupéfiants.
Thécia Nyomba (Stagiaire)
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Gabon, suivez Africa-Press
            




