À nos featurings et à vos distracks

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À nos featurings et à vos distracks
À nos featurings et à vos distracks

Africa-Press – Gabon. Dans la nouvelle grammaire de la musique urbaine, le featuring et le distrack sont devenus bien plus que des formats: ce sont des armes de visibilité, des terrains d’influence et des espaces de narration où se jouent réputation, puissance créative et conquête de publics. Entre alliances stratégiques et confrontations lyriques, la scène contemporaine d’Afrique centrale et de l’Ouest invente des codes hybrides, modelés par la culture digitale, les plateformes de streaming et l’économie de l’attention. Hugues-Gastien Matsahanga, notre spécialiste des industries culturelles et créatives, décrypte ici ces mécanismes qui redéfinissent la relation entre artistes, labels et audiences, transformant chaque collaboration ou clash en acte culturel total.

La musique urbaine contemporaine façonne aujourd’hui de nouvelles pratiques relationnelles entre artistes, labels et publics. Dans un paysage où le single éclipse peu à peu l’album, où la visibilité se mesure en streams, vues et abonnés, les collaborations musicales ou les confrontations lyriques deviennent des outils stratégiques autant qu’artistiques. L’actualité récente témoigne, une fois encore, de ces codes hybrides où rapprochements créatifs et échanges acérés se succèdent au rythme des tendances.

Les featurings: validation mutuelle et partage de notoriété

Le featuring s’est imposé comme un dispositif clé dans l’industrie musicale actuelle. Il permet de croiser les univers, d’accéder à de nouvelles audiences et de consolider une notoriété parfois déjà solidement installée. C’est un acte artistique, certes, mais aussi un geste stratégique.

L’exemple récent le plus emblématique reste sans doute le remix mondial de « Calm Down »: le Nigérian Rema, déjà figure montante de l’afrobeats, a vu son titre propulsé à une visibilité planétaire grâce à Selena Gomez, dont la présence a ouvert les portes des marchés occidentaux.

En Afrique centrale et de l’Ouest, les artistes ont embrassé ce modèle avec enthousiasme. Le duo Shan’l – Fally Ipupa sur « Où est le mariage? » en est une parfaite illustration: un crossover entre deux géants, devenu un tube régional. Le succès viral de « Chouaaa » signé Didi B en featuring avec L’Oiseau Rare confirme la puissance de ces alliances. Idem pour L’Oiseau Rare & Donzer sur « Dans mon délire », un titre où la synergie entre leurs styles respectifs a immédiatement séduit les plateformes.

Au Gabon, ces stratégies collaboratives deviennent récurrentes. Des titres comme « Mon Bébé » (Emma’a feat. J-Rio) ou « Ndongué a dit » (Creol feat. Ndoman) montrent qu’au-delà de la créativité, le featuring structure désormais les dynamiques de visibilité dans la scène locale.

Le distrack: duel musical à punchlines maîtrisées

À l’inverse du featuring qui rassemble, le distrack oppose, questionne, égratigne ou expose. Hérité des codes du rap, il est devenu un espace où se jouent ego, réputation, arguments et répliques. La forme est à la fois spectaculaire et dramaturgique: un terrain où la plume est une arme et les fans des arbitres volontiers passionnés.

En Côte d’Ivoire, la tension entre Himra et Didi B a donné naissance à un des feuilletons musicaux les plus suivis de l’année: « Nabo Clément », signé Himra, a rapidement trouvé sa réponse avec « Bodoin ». Une confrontation dont la viralité a confirmé la place centrale du distrack dans les cultures numériques.

En RDC, Innoss’B a dérouté les fans en publiant « Love Ya RS », un distrack personnel où il livre sa version de la rupture avec l’artiste et ex-compagne Rébo Tchulo. Le public, suspendu à une éventuelle réplique, observe un silence stratégique du camp adverse.

Au Gabon, le phénomène s’ancre progressivement. Récemment, alors qu’une controverse exposait sa vie privée, Shan’l a sorti « La Queen est fâchée », un distrack mordant qui n’a laissé personne indifférent. La rappeuse Mareless, se sentant égratignée en victime collatérale, a rapidement répondu avec « La Petite n’a pas peur », un morceau sans filtre où la confrontation devient un espace d’affirmation et de pouvoir par les mots.

Ainsi, le distrack s’installe comme une forme d’expression où l’audace, la narrative personnelle et la stratégie digitale s’entrelacent.

Entre autodérision et clash ludique: Eboloko & Dre’A réinventent le jeu

À mi-chemin entre featuring complice et distrack en douceur, la collaboration entre Eboloko et Dre’A incarne une nouvelle tendance: celle du distrack soft, où la confrontation est utilisée comme ressort humoristique plutôt que comme arme.

Dans leur dernier titre « Dohi », les deux artistes revisitent avec dérision les taquineries culturelles que Gabonais et Ivoiriens s’adressent mutuellement. La joute devient ici un jeu: les clichés sont retournés, exagérés, célébrés, et la rivalité se transforme en passerelle entre deux scènes urbaines particulièrement dynamiques.

Ce type d’exercice, plus léger mais tout aussi engageant, illustre l’évolution des pratiques: le clash peut être une fête, un clin d’œil, un miroir tendu aux publics des deux pays. Eboloko et Dre’A démontrent que l’antagonisme peut être une forme de dialogue, et que la créativité musicale continue d’inventer ses propres codes expressifs.

Featurings, distracks et hybridations artistiques: la scène musicale d’Afrique centrale et de l’Ouest s’impose comme un laboratoire d’innovations culturelles. Ces formes participent à la construction de nouvelles stratégies de visibilité, mais elles révèlent surtout la vitalité de cet écosystème où les artistes jouent, se répondent, se confrontent ou se célèbrent.

Dans un univers où tout peut se reprendre, se remixer ou se retourner en punchline, une évidence demeure: la créativité musicale ne cesse de se réinventer. Et c’est précisément ce qui fait battre le cœur de nos scènes urbaines.

Hugues-Gastien MATSAHANGA,

Spécialiste des Industries Culturelles et Créatives

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