Africa-Press – Gabon. Un salaire ministériel de 45 millions de francs CFA par trimestre, un marché public hors normes, des influences politiques assumées, des justifications fragilisées à la barre et des réquisitions lourdes de sens: l’audience du 19 décembre 2025 a transformé l’«affaire Bounda Balonzi» en révélateur brutal des failles de la commande publique gabonaise sous l’ère Bongo. À travers le récit précis de SOS Prisonniers Gabon, ce procès met à nu, ligne après ligne, la mécanique d’un dossier devenu test grandeur nature pour la crédibilité de la justice et la lutte contre la corruption.
Vendredi 19 décembre 2025, la salle d’audience du Tribunal correctionnel spécialisé de Libreville s’est muée en chambre d’écho d’un dossier devenu emblématique. Celui de Léon Armel Bounda Balonzi, ancien ministre des Travaux publics, poursuivi pour blanchiment de capitaux, violations des procédures de passation des marchés publics, association de malfaiteurs et détournement de fonds publics. Selon le compte rendu minutieux de SOS Prisonniers Gabon, c’est moins un simple procès que la dissection méthodique d’un système qui s’est jouée.
Trois milliards contre neuf cents millions: un choix impossible à justifier
Au cœur du débat: le marché de construction et de réhabilitation du grand marché de Potos, à Franceville. Un chiffre hante les échanges (trois milliards de francs CFA) quand deux offres concurrentes plafonnaient autour de 900 millions. À la barre, l’ex-ministre assume: le choix de l’entreprise ZEN BTP aurait reposé sur «l’expérience et la capacité». Une justification aussitôt fragilisée par la remarque du juge: ZEN BTP n’apparaît pas dans les fichiers de l’État gabonais, contrairement à SOCOBA, écartée.
L’audience prend alors une tournure plus politique. À la lecture du procès-verbal d’enquête préliminaire, le juge rappelle une déclaration lourde de sens: Bounda Balonzi reconnaît avoir été instruit par Ian Ghislain Ngoulou pour attribuer le marché, et se dit même «redevable» envers ce dernier pour sa nomination ministérielle à l’époque. La frontière entre suggestion et injonction, entre loyauté politique et infraction pénale, devient poreuse.
Caution absente, argent présent: la ligne rouge de la légalité
Les avocats de l’État insistent sur les fondamentaux: ZEN BTP ne remplissait pas les critères légaux exigés par le Code des marchés publics. L’accusé concède un «non», tout en maintenant que l’entreprise disposait d’une expérience suffisante. Autre point de rupture: l’absence de caution bancaire, pourtant exigée par plusieurs dispositions du Code des marchés publics. Abdel Moussavou, directeur général de ZEN BTP, reconnaît avoir perçu 2,4 milliards de francs CFA, avoir été recommandé par Ian Ngoulou, et avoir exécuté le marché sans cette garantie financière obligatoire.
Le volet patrimonial n’est pas éludé. Face aux soupçons de blanchiment, l’ex-ministre invoque ses 45 millions de francs CFA de salaire trimestriel, perçus sur 33 mois, ainsi que des aides familiales. Le ministère public, sceptique, interroge l’origine des fonds ayant permis l’acquisition d’une maison à Fougamou.
Au terme des débats, le réquisitoire est sans ambiguïté: confiscation des biens, 110 millions de francs CFA d’amende, quatre ans d’emprisonnement ferme et le remboursement de 2,59 milliards de francs CFA à l’État gabonais. La défense plaide l’incompétence du tribunal et rappelle des travaux réalisés à 97 %, renvoyant la responsabilité financière vers d’autres signataires du contrat.
Le délibéré est attendu le 9 janvier 2026. D’ici là, l’«affaire Bounda Balonzi» continue de cristalliser les attentes: pour beaucoup, ce procès dépasse un homme et un marché. Il interroge, frontalement, la capacité du Gabon post-transition à solder les dérives de la commande publique et à faire de la justice autre chose qu’une promesse.





