Africa-Press – Gabon. La disparition du cinéma Canal Olympia de Port-Gentil, survenue dans une quasi-indifférence nationale, sonne comme l’aveu brutal d’un pays qui semble se détourner de son propre imaginaire collectif. Au moment où le Gabon s’apprête à engager son budget 2026, la question devient urgente: assistons-nous à l’effondrement silencieux de toute ambition culturelle? La fermeture de la dernière salle obscure du pays révèle bien plus qu’une crise du secteur: elle interroge la place que la nation accorde à la création, à la transmission et au rêve partagé. Dans cette chronique sans concession, Hugues-Gastien Matsahanga* dissèque les signaux d’un déclin annoncé et appelle à une prise de conscience nationale.
La fermeture du cinéma Canal Olympia de Port-Gentil, le 29 juin dernier, annoncée presque dans l’indifférence générale, a sonné comme un nouvel avertissement sur l’état de l’industrie cinématographique au Gabon. À l’heure où le pays tente de se projeter vers 2026 avec un nouvel agenda budgétaire, la question se pose: le Gabon est-il en train d’abandonner son cinéma? Ou, plus largement, renonce-t-il à l’idée même d’une politique culturelle ambitieuse?
La place de la culture dans la Loi de Finances 2026: parent pauvre ou variable d’ajustement?
La présentation du projet de Loi de Finances 2026 a une nouvelle fois rappelé une réalité désormais chronique: la culture demeure un secteur marginalisé, relégué derrière les urgences économiques, sociales et sécuritaires. Les allocations budgétaires annoncées restent symboliques, insuffisantes pour structurer un secteur pourtant essentiel à l’identité nationale, à l’emploi des jeunes et au rayonnement international du pays.
Dans un contexte où de nombreux États africains réinvestissent dans les industries culturelles et créatives — moteurs avérés de croissance et d’influence — le Gabon semble suivre la tendance inverse. L’absence d’un plan stratégique pour le cinéma et des industries culturelles en général, d’un fonds dédié, d’incitations fiscales ou de soutien réel aux opérateurs culturels se fait cruellement sentir.
Un secteur cinématographique au ralenti: entre désillusion et survie
L’industrie cinématographique gabonaise, autrefois porteuse d’espoirs avec l’émergence de cinéastes talentueux et la reconnaissance internationale de certains films, traverse l’une de ses phases les plus sombres. En dehors de quelques individualités qui s’affirment à l’international et l’IGIS (Institut Gabonais de l’Image et du Son) qui essaient tant bien que mal de porter quelques projets à la mesure des faibles ressources mises à sa disposition, les infrastructures manquent, les financements s’évaporent, les salles ferment, les initiatives privées s’asphyxient.
Les réalisateurs gabonais, souvent contraints de travailler avec des moyens dérisoires, doivent choisir entre l’exil artistique ou l’auto-production permanente. Le pays n’a plus ni circuit d’exploitation, ni studios, ni politique de formation cohérente. Le cinéma se maintient grâce à quelques passionnés isolés, au prix d’un immense sacrifice.
L’Institut Français de Libreville en travaux: une respiration suspendue
L’Institut Français, qui demeure l’une des rares institutions proposant une offre culturelle régulière et structurée — projections, rencontres, festivals — a été un moment fermé pour travaux.
Si la rénovation est salutaire et promise comme une modernisation nécessaire, elle a néanmoins laissé un vide culturel désolant. Pour de nombreux cinéphiles, étudiants, artistes et professionnels, l’IF est à Libreville, un point d’ancrage culturel. Son indisponibilité a accentué le sentiment de désert culturel à Libreville, où les alternatives se comptent désormais sur les doigts d’une main.
La fermeture du cinéma Canal Olympia Mandji’Ozangue: Port-Gentil perd sa lumière
Avant Canal Olympia, Port-Gentil avait déjà enterré, il y a belle lurette deux cinémas historiques: Le cinéma l’Océan et le cinéma l’Ogooué le Mandji’Ozangue. Véritables institutions locales, ces deux salles ont longtemps porté en elles une mémoire, un ancrage et une convivialité que les multiplexes modernes ne parviennent jamais totalement à remplacer. Parasité par une profusion d’offres télévisuelles (Canal+, Netflix, Prime…).
La fermeture récente de Canal Olympia Mandji’Ozangue a donc été vécue comme un déchirement après seulement deux ans de bons et loyaux services. Cette fermeture est venue achever l’offre cinématographique de la capitale économique, plongeant une ville entière dans le silence des écrans noirs.
Pour les jeunes de Port-Gentil, aller au cinéma était une fenêtre sur le monde, un moment de partage, un apprentissage de l’imaginaire. Le rideau tombé laisse une génération entière sans lieu culturel structurant.
Les limites du programme Canal Olympia: un modèle qui ne prend pas racine
L’arrivée des salles Canal Olympia en Afrique en général avait suscité de grands espoirs: résoudre la pénurie de salles, offrir une programmation accessible, moderniser le paysage audiovisuel.
Mais la réalité s’est révélée moins brillante.
Un modèle économique fragile – Ces salles, dépendantes d’une programmation internationale, d’un public régulier et de partenariats solides, n’ont jamais atteint leur vitesse de croisière. Le modèle repose sur une densité de fréquentation qui manque cruellement dans plusieurs villes africaines — et Port-Gentil n’a pas fait exception.
Une programmation parfois déconnectée du public – Le manque de place accordée aux films africains, et plus encore gabonais, a limité leur appropriation locale. Le cinéma ne peut prospérer sans écosystème national: réalisateurs, distributeurs, festivals, écoles, politiques publiques. Canal Olympia n’était qu’un maillon. Sans les autres, la chaîne ne peut fonctionner.
Des retombées limitées sur la filière – Malgré quelques initiatives, la salle Canal Olympia de Port-Gentil a peu contribué au développement technique ou professionnel du secteur cinématographique gabonais. Son impact, réel mais ponctuel, n’a pas suffi à créer un dynamisme durable.
Clap de fin… ou début d’une prise de conscience?
La fermeture de l’unique salle de cinéma Canal Olympia au Gabon n’est pas qu’un symptôme culturel. C’est un signal politique, un révélateur du rapport que notre société entretient avec la création, l’imaginaire et la transmission. Un pays qui n’a plus de cinéma est un pays qui se prive de récit, de mémoire, de projection collective. Pourtant, rien n’est irréversible.
Avec une volonté publique, une mobilisation des acteurs, un cadre fiscal adapté, un fonds national du cinéma, des partenariats internationaux intelligents, et une véritable stratégie, le Gabon pourrait réanimer sa scène cinématographique. Encore faut-il le vouloir.
Hugues-Gastien MATSAHANGA* ,
Spécialiste des Industries Culturelles et Créatives
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