Africa-Press – Gabon. Moins d’une semaine après l’inscription historique du Mvet Oyeng au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, une pétition inattendue fait irruption dans le débat public gabonais. Sous la plume du collectif « Les Gabonitudes », des voix s’élèvent pour dénoncer une « appropriation culturelle » et rejeter catégoriquement le concept « Ekang » qui a servi de cadre à cette candidature trinationale portée par le Gabon, le Cameroun et le Congo. Entre fierté patrimoniale et fracture identitaire, la reconnaissance internationale d’un trésor culturel se transforme en un champ de bataille où s’affrontent revendications historiques, souveraineté culturelle et visions divergentes de l’identité Fang.
L’euphorie aura été de courte durée. Le 10 décembre 2025, lors de la 20e session du Comité intergouvernemental de l’Unesco réunie en Inde, le Mvet Oyeng devenait officiellement le premier élément culturel gabonais inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une consécration historique saluée par les autorités gabonaises comme une victoire diplomatique et culturelle majeure. Pourtant, cinq jours plus tard, cette reconnaissance internationale se retrouve au cœur d’une polémique identitaire d’une rare intensité.
Le dossier enregistré sous le numéro 02253, présenté comme une candidature conjointe du Gabon, du Cameroun et du Congo autour de la communauté Ekang (Fang-Beti-Bulu) d’Afrique centrale, est aujourd’hui contesté par un collectif gabonais qui y voit une « falsification de l’histoire » et une « confiscation » du patrimoine Fang. « Nous affirmons avec clarté et fermeté que le Mvett est un patrimoine exclusivement Fang, d’origine Fang Gabonaise, dont la paternité historique, spirituelle et culturelle est irréfutable », martèle le collectif Les Gabonitudes dans une pétition adressée à l’Unesco, au président Brice Clotaire Oligui Nguema et à la ministre de la Culture, Armande Longo Moulengui.
Au cœur de cette contestation: le refus catégorique du concept « Ekang » utilisé comme cadre de référence pour l’inscription. « Le peuple Fang du Gabon ne s’identifie pas et refuse d’être associé à un concept Ekang tel qu’il est aujourd’hui défini, promu et instrumentalisé depuis le Cameroun. Ce concept, hautement controversé, ne repose ni sur un consensus historique clair, ni sur une filiation clanique rigoureuse, ni sur une délimitation anthropologique établie », dénonce le collectif, qui oppose à cette construction « floue et indéterminée » l’identité Fang « clairement définie, avec une filiation clanique précise et une organisation sociale, historique, spirituelle cohérente ».
La charge va plus loin en dénonçant un « agenda idéologique tribaliste et ségrégationniste » qui instrumentaliserait le patrimoine Fang à des fins politiques. « Nous dénonçons l’usage du concept Ekang comme un outil idéologique qui ne reflète ni l’histoire, ni la volonté, ni l’identité du peuple Fang du Gabon. Toute tentative d’y associer le Mvett revient à nier notre autonomie culturelle, à dissoudre notre identité et à instrumentaliser notre patrimoine au profit d’un autre narratif », affirment Les Gabonitudes. Le collectif reconnaît que le Mvett a été « historiquement transmis à d’autres peuples par le biais des migrations, des contacts culturels et des échanges régionaux », mais rejette toute idée de « copaternité patrimoniale »: « Cette transmission n’efface ni l’origine, ni la paternité, ni le caractère fondateur Fang du Mvett. Les pratiques observées ailleurs relèvent essentiellement de formes folkloriques ou adaptées et ne sauraient justifier une réécriture de l’histoire. »
Face à ce qu’ils qualifient d’« appropriation culturelle manifeste », les pétitionnaires formulent quatre exigences: le retrait du Mvett Oyeng de toute classification fondée sur le concept Ekang, sa reconnaissance exclusive comme patrimoine du peuple Fang du Gabon, la révision immédiate du dossier d’inscription avec consultation obligatoire des autorités coutumières Fang et des maîtres du Mvett, et enfin la mise en place de garanties contre toute appropriation culturelle future. « Le Mvett appartient au peuple Fang du Gabon. Son origine est Fang. Sa filiation est Fang. Sa paternité est Fang. Toute autre lecture est une falsification de l’histoire », assène le collectif dans sa conclusion.
Cette polémique soulève des questions fondamentales sur la gestion du patrimoine culturel en Afrique centrale, où les frontières coloniales ont souvent divisé des peuples partageant des racines communes. Elle interroge également le rôle de l’Unesco dans la préservation de patrimoines transnationaux et la capacité des États à concilier reconnaissance internationale et sensibilités identitaires locales. Alors que le gouvernement gabonais n’a pas encore réagi officiellement à cette pétition, le débat met en lumière les tensions entre une vision inclusive du patrimoine culturel, portée par les instances internationales, et des revendications d’authenticité et d’exclusivité défendues par certaines communautés.
Reste à savoir si cette controverse conduira à une révision du dossier Unesco ou si, au contraire, elle alimentera durablement les divisions autour d’un trésor culturel dont la reconnaissance devait justement célébrer la richesse et la profondeur historique.





