Comment le Gabon fait la chasse à ses fonctionnaires fantômes

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Comment le Gabon fait la chasse à ses fonctionnaires fantômes
Comment le Gabon fait la chasse à ses fonctionnaires fantômes

Africa-PressGabon. Depuis 2018, le Gabon s’est lancé dans une réforme d’une fonction publique jugée inefficace et onéreuse. Deux ans plus tard, les dépenses ont été réduites, mais le pays reste loin de l’objectif défini par la Cemac.

Ces dernières années, la fonction publique gabonaise a subi une cure d’amincissement. D’une charge trop importante au regard des recettes du pays, son coût a été revu à la baisse.

« La masse salariale de 710 milliards de F CFA (près de 1,1 milliard d’euros) est insupportable pour les finances publiques, car elle absorbe 59 % des recettes », avait justifié, en 2018, le Premier ministre Emmanuel Issoze Ngondet. Un chiffre très au-dessus du plafond de 35 % donné comme objectif par la Cemac à ses États membres.

Selon les données extraites des lois de finances de 2020, le coût des fonctionnaires a baissé de 4 % en trois ans, représentant l’an dernier un total de 683 milliards de F CFA. Il faut dire qu’au Gabon le service public est depuis longtemps le principal employeur du pays. Selon les chiffres du gouvernement, en 2018, le pays comptait 55 fonctionnaires pour 1 000 habitants, alors qu’ils n’étaient que 13 au Cameroun, 8 au Sénégal, 29 au Congo et 47 au Maroc.

Recensement biométrique des agents

Aujourd’hui, la fonction publique doit être plus efficace : « Il faut réduire toutes les lourdeurs et réconcilier les agents avec leur administration, en permettant une évolution normale des carrières, du recrutement jusqu’à la retraite. Plus ce déroulement est compliqué, moins les fonctionnaires sont enclins à offrir un service de qualité aux administrés, créant un fossé entre l’État et ses agents », explique Joël Ondo Ella, vice-président du comité de pilotage sur la réforme de la fonction publique, qui a remis un rapport en septembre dernier.

Pour réduire le nombre de ses agents, Libreville a notamment opté pour leur recensement biométrique. L’objectif est d’éliminer les doublons et les fonctionnaires fantômes grâce à une identification incontestable avec photo et empreintes digitales.

Au Gabon, il arrive que certains anciens fonctionnaires cumulent emplois dans le secteur privé et traitement versé par l’administration. Ils peuvent être commerçants, médecins ou enseignants. D’autres sont partis à l’étranger et certains sont même décédés… alors qu’un salaire leur est encore attribué.

35 000 agents à la fin de 2009

Achevé en décembre 2019, le recensement biométrique a mis en évidence un surplus de 11 638 agents. Sur les 103 723 fonctionnaires figurant sur le fichier de versement des soldes, seuls 92 085 étaient en droit de percevoir un salaire de la part de l’administration, selon le gouvernement. « Pour éviter les erreurs liées par exemple à des congés maladie, nous avons lancé une deuxième phase de recensement », explique Joël Ondo Ella.

Cette tentative de lutte contre ce qui s’apparente à des détournements de fonds publics n’est pas une première. Déjà en novembre 2009, à peine arrivé à la tête de l’État, le président Ali Bongo avait tenté de faire le ménage dans l’administration, en lançant aussi des audits qui avaient abouti à la radiation de plusieurs centaines de fonctionnaires.

À l’époque, l’État ne recensait que 35 000 agents pour une masse salariale de 336 milliards de F CFA. En un peu plus de dix ans, près de 60 000 nouveaux fonctionnaires seraient venus grossir les rangs des administrations.

Pour faire baisser la masse salariale de la fonction publique, d’autres mesures ont été prises ces dernières années, comme un gel des recrutements, des départs à la retraite anticipés (qui ont débuté dès 2016), et même des baisses progressives de salaires pour les agents gagnant plus de 650 000 F CFA mensuels (environ 1 000 euros), ou une réduction de 50 % de la main-d’œuvre non permanente.

Un train de mesures, dont certaines très fortes, qui ne permettront pas d’atteindre le plafond de dépenses établi par la Cemac pour 2021, comme c’était initialement prévu.

« La baisse n’a donc pas été aussi significative qu’attendue, et les économies pas assez fortes », constate, fataliste, l’économiste Mays Mouissi, qui rappelle que les départs anticipés à la retraite coûtent aussi de l’argent à l’État. il est plus difficile aujourd’hui de cumuler un emploi dans le privé et dans le public

Pour Pierre Mintsa, président de la confédération syndicale, la Machette syndicale des travailleurs gabonais vaillants (MSTGV) : « Il faut plus de transparence dans les résultats du recensement de juillet 2018 pour vraiment éliminer tout fonctionnaire fantôme. »

« Depuis le recensement, il est plus difficile de cumuler un emploi dans le privé et dans le public », témoigne un enseignant à Jeune Afrique.

Des agents dénoncent toujours une gestion inefficace de la fonction publique. « Contre toute attente, nous avons continué les recrutements dans les régies financières, qu’il s’agisse de salariés ou de main-d’œuvre non permanente, alors que Libreville aurait dû geler les situations administratives et toutes les embauches dans l’administration publique », explique Sylvain Ombindha Talheywa, secrétaire général de la Fédération des collecteurs des régies financières (Fecorefi), en grève depuis juillet 2020.

Parallèlement, nombreux sont ceux qui pointent du doigt les avantages dont bénéficient toujours certains hauts responsables de l’administration. Au début de 2020, Mays Mouissi rappelait par exemple que « le rapport d’exécution budgétaire du 3e trimestre de 2019 “autorisait” le ministre de l’Économie et des Finances à équiper son cabinet de véhicules pour un montant total de 2,1 milliards F CFA ». Des dépenses que cet expert estime superflues en cette période de crise.

Enfin, de nombreux fonctionnaires se plaignent en parallèle du non-paiement des rappels et arriérés de salaire, de l’absence de textes d’intégration, du manque de titularisation ou d’avancement après un stage. « On me doit plus de 4 millions de F CFA, soit plusieurs mois de salaire, montant non versé quand j’ai changé d’indice, et je n’ai pas eu d’avancement avec l’ancienneté », témoigne un professeur de lycée à Jeune Afrique.

« De même, de nombreux retraités de la fonction publique connaissent d’importants problèmes d’argent du fait des difficultés à percevoir leurs pensions », ont constaté les participants au forum sur la fonction publique organisé en 2020.

« La réforme toujours en cours va permettre une reprise sous peu des recrutements (gelés dans la fonction publique à l’exception, entre autres, de la santé et de l’éducation nationale) et la régularisation du versement des salaires, avance Ondo Ella, avant de tempérer. Tout dépendra aussi du budget de l’État, fragilisé par la crise du coronavirus ».

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