Tension diplomatique Gabon/Angola : Solder les comptes du passé ?

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Tension diplomatique Gabon/Angola : Solder les comptes du passé ?
Tension diplomatique Gabon/Angola : Solder les comptes du passé ?

Africa-Press – Gabon. L’incident diplomatique ne saurait être perçu comme une brouille entre deux États.

Le fait est suffisamment rare pour être signalé: ayant peu apprécié l’attitude de João Lourenço lors de la 4ème session extraordinaire du Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (Copax), le Gabon vient de rappeler son ambassadeur à Luanda. En clair, Guy Nambo Wezet a été sommé de regagner Libreville afin d’aider le gouvernement à se faire une meilleure idée du sens et de la portée des agissements du président angolais. Pour mémoire, le traité constitutif de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) fut signé dans la capitale gabonaise en octobre 1983. Plus éloquent, son organe exécutif est actuellement dirigé par Gilberto Da Piedade Verissimo, un citoyen angolais. Pour ces deux raisons, cet incident diplomatique ne saurait être perçu comme une brouille entre deux Etats. Il doit être compris ou comme une volonté de solder les comptes du passé ou comme une remise en cause de la ligne diplomatique de l’organisme sous-régionale.

Peurs et phobies

Sans sombrer dans le chauvinisme ni faire dans un juridisme de circonstance, rien dans les textes de la CEEAC ne lui confère le droit de prendre des sanctions contre l’un de ses membres. Y compris dans le traité révisé en décembre 2019, aucune disposition ne donne au Copax le pouvoir de prendre une telle décision. Même en cas de manquement aux «obligations vis-à-vis de la communauté», seule la conférence des chefs d’État et de gouvernement est habilitée à agir. Défini comme un «mécanisme de prévention, de règlement des conflits et de gestion des crises», le Copax est «un système d’alerte et de sécurité collective». Son objectif est et reste le maintien de «la stabilité politique et sécuritaire dans la région». Au risque de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un État, il ne peut porter de jugement de valeur sur la vie politique d’un pays. Il n’est pas non plus fondé à se prononcer sur les modes de dévolution du pouvoir.

Pourtant, au lendemain de la prise du pouvoir par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la CEEAC avait pris des libertés avec l’esprit et la lettre de son traité constitutif, annonçant la suspension du Gabon de toutes ses instances. Dans la foulée, elle avait plaidé pour un «retour à l’ordre constitutionnel», comme si elle n’avait jamais eu vent des dérives juridico-institutionnelles nées de la gouvernance d’Ali Bongo. Comme si elle redoutait un éventuel effet domino, elle a convoqué des instruments estampillés Union africaine, pour mieux hausser le ton. Ayant désigné le président centrafricain, Faustin Archange Touadera, comme médiateur, elle lui a donné mandat «d’engager des pourparlers» avec «tous les acteurs gabonais et les partenaires du pays» afin de parvenir à une feuille de route. Dans cette atmosphère de surenchère, l’attitude de certains dirigeants en dit long sur leurs propres peurs et phobies.

Méfiance du peuple gabonais

La CEEAC ne peut se soucier de l’intégrité physique d’Ali Bongo et sa famille sans laisser le sentiment de minimiser les souffrances endurées par le peuple gabonais ou de militer contre un éventuel mécanisme de justice transitionnelle. Si on peut lui savoir gré d’avoir invité le CTRI à «assurer la protection des droits humains et des libertés fondamentales», on doit lui demander de ne pas avoir la mémoire sélective. Au-delà, on doit la rappeler à sa mission première: la promotion de la «coopération et le renforcement de l’intégration régionale en Afrique Centrale dans tous les domaines de l’activité politique, sécuritaire, économique, monétaire, financière, sociale, culturelle, scientifique et technique». Dès lors, on peine à comprendre pourquoi doivent-ils prendre autant de libertés avec le traité constitutif. Sauf, bien entendu, si certains de ses membres ont des agendas cachés

Même si le traité constitutif y fait vaguement référence, le CEEAC n’a jamais été acquise aux idées portées par la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Dans cet espace, les élections se suivent et soldent toujours par les victoires des mêmes. Dans certains pays de cette zone, des dynasties familiales ou des formations politiques sont au pouvoir depuis de nombreuses décennies, parfois depuis l’indépendance. D’où la méfiance du peuple gabonais. D’où son soutien au CTRI. D’où aussi les interrogations suscitées par le comportement de la diplomatie angolaise. Comme le Zaïre de Mobutu, le Gabon d’Omar Bongo fut longtemps accusé d’être un poste avancé de l’Occident dans la sous-région: on les disait impliqués dans la plupart des événements vécus par d’autres pays. Les dirigeants de la CEEAC adhèrent-ils à cette thèse ? Croient-ils faire payer aux générations actuelles les fautes supposées de leurs aînés ? Pour ne pas aider à l’enlisement de la crise actuelle, les parties doivent apporter des réponses à ces questions.

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