Africa-Press – Gabon. Par une lettre remise à l’ambassadeur de France, des citoyens invitent le président français à «reconsidérer l’opportunité de (venir) l’année de l’élection présidentielle (au Gabon).» Seront-ils entendus ? On demande à voir.
Sur quel ton et avec quels mots faudra-t-il le dire ? Comment amener les autorités françaises à prendre la mesure des enjeux ? Comment les inviter à ne pas nourrir les bas instincts ? Par lettre datée du 10 janvier courant et remise à l’ambassadeur de France au Gabon par le président de la campagne Tournons la page, des citoyens invitent le président français à «reconsidérer l’opportunité de (venir) l’année de l’élection présidentielle» au Gabon. Disant agir «dans l’intérêt bien compris (des) deux pays et (des) peuples respectifs», ils le mettent en garde : «A tort ou à raison, les Gabonais interpréteront votre arrivée (…) comme l’expression du soutien de la France au régime en place en vue de favoriser son maintien au pouvoir», préviennent-ils.
Bravade de plus ou survivance de la Françafrique ?
Marc Ona Essangui et ses amis seront-ils entendus ? On demande à voir. Comme la présence de Nicolas Sarkozy aux obsèques d’Omar Bongo Ondimba, la participation d’Emmanuel Macron au One forest summit pourrait être comprise comme une immixtion dans la présidentielle à venir. Comme ce fâcheux précédent, elle pourrait alimenterce fameux «sentiment anti-français». Dans leur lettre, les signataires se veulent factuels : «En 2016, les Français résidant au Gabon, tout comme les intérêts français (…), ont été préservés (…) (en) reconnaissance (de) la position de réserve (observée par François Hollande)», écrivent-ils. Implicitement, ils affirment une chose : en s’attaquant au consulat de France à Port-Gentil puis au foyer Roger Buttin, centre sportif et social de Total, en septembre 2009, les populations croyaient rendre à Nicolas Sarkozy la monnaie de sa pièce.
Sur les réseaux sociaux, la tonalité des échanges en atteste : accusant la France d’être un soutien inconditionnel au régime, une large frange de la population rêve d’en découdre. Au gré des errements de la politique française, ce ressentiment a fini par s’enraciner. Certains n’en finissent plus d’analyser les conséquences de l’intervention de la Compagnie autonome de parachutistes d’infanterie de marine (Capima) en février 1964. D’autres épiloguent sur le débarquement de la Légion étrangère à Port-Gentil en mai 1990. Il s’en trouve aussi pour condamner le comportement de Jacques Chirac, réputé excessivement proche de la famille Bongo Ondimba. Il y en a même pour accabler Nicolas Sarkozy, accusé d’avoir fait la courte échelle à Ali Bongo. Dans un tel contexte et au regard du calendrier électoral national, la visite d’Emmanuel Macron sera forcément reçue sinon comme une bravade de plus, du moins comme la preuve de la survivance de la Françafrique.
Curieux timing
Même en faisant montre d’une grande naïveté, on ne peut se satisfaire des explications officielles. Même avec la foi du charbonnier, on doit rechercher les implications politiques de ce déplacement. Emmanuel Macron veut-il «avancer (…) sur l’action climatique et la préservation de la biodiversité» ? Il n’en reste pas moins l’incarnation de l’autorité de l’État français. En aucun cas, il ne peut être assimilé à un militant écologiste. Cherche-t-il à «promouvoir la solidarité Nord-Sud» ? Sauf s’il connait déjà le résultat de la présidentielle d’août 2023, il aurait été mieux inspiré d’attendre le prochain président gabonais. Ni les thèmes en débat ni l’agenda politique national ne justifient ce curieux timing. Comme le soulignent Marc Ona Essangui et ses amis, «2023 est, (…) une année (…) sensible au cours de laquelle les Gabonais seront appelés à élire leur président de la République». Pourquoi le minimiser ? Pourquoi faire comme si «l’action climatique et la préservation de la biodiversité» relèvent du court terme ? Pourquoi agir comme si «la solidarité Nord-Sud» doit se discuter en mars 2023 ou jamais ?
N’en déplaise à Emmanuel Macron, son déplacement à Libreville ne peut se justifier par des considérations écologiques. Dans la lutte contre les changements climatiques, comme dans la bataille pour la préservation de la biodiversité, trois principes guident l’action : la transparence, la participation et la reddition des comptes. Or, sur ces points, le régime d’Ali Bongo est loin d’être exemplaire. Bien au contraire. On le voit avec les scandales de corruption à répétition, y compris dans le secteur forestier. On le voit aussi avec la marginalisation d’acteurs à la notoriété établie comme Marc Ona Essangui, seul Gabonais lauréat du Prix Goldman pour l’environnement. On le voit également avec le refus du gouvernement de procéder à l’audit de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN), pourtant réclamé par la société civile et l’Assemblée nationale. Sauf à poursuivre des objectifs inavouables, le président français doit l’entendre et le méditer.
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