Emirates-Qatar Airways, le match des stratégies en Afrique

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Emirates-Qatar Airways, le match des stratégies en Afrique
Emirates-Qatar Airways, le match des stratégies en Afrique

Africa-Press – Gabon. Interviewé par Jeune Afrique en juin dernier, Eduardo Fairen, le patron de la TAAG Angola ne mâche pas ses mots à l’encontre des compagnies du Golfe, qu’il qualifie de « menaces pour toute compagnie africaine sur les liaisons vers l’Europe et vers l’Asie ». Bien que relativement jeunes, Emirates (né en 1985) et Qatar Airways (lancé en 1993) se sont imposés comme des acteurs incontournables dans le paysage aérien international.

Avec 43,6 millions de passagers transportés en 2022, selon le 2023 Allianz Partners Big book of travel data, Emirates est certes loin du numéro un mondial, American Airlines, et de ses près de 200 millions de passagers, ou même du groupe Lufthansa (sixième transporteur mondial avec 101,8 millions de passagers en 2022), mais l’écart se rétrécit par exemple avec Air France-KLM (onzième transporteur mondial avec 65 millions de passagers en 2022 selon le Big Book, 83 millions selon le site du groupe).

En termes de capacité – de nombre de sièges –, les deux compagnies apparaissent dans le top 10 mondial, avec une cinquième place pour Emirates et le dixième rang pour Qatar Airways, selon le site spécialisé SimpleFlying. Sur le continent africain où elles sont très présentes (25 destinations africaines dans le programme hivernal 2023-2024 de Qatar Airways, 18 dans celui d’Emirates), la progression des deux compagnies fascine autant qu’elle inquiète.

Pour l’ancienneté, avantage Emirates

Légèrement plus ancienne, la compagnie émiratie a été la première à déployer ses ailes sur le continent africain. Une avance renforcée par le blocus infligé à Doha par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte freinant le développement à peine amorcé de Qatar Airways en Afrique entre 2017 et 2021.

La compagnie dubaïote s’est taillée « la part du prince, sur le continent, avec à l’échelle de l’Afrique du Sud par exemple, plusieurs vols quotidiens sur Le Cap et Johannesburg, un autre sur Durban », se souvient Sylvain Bosc, directeur général adjoint de South African Airways de 2014 à 2017, qui a constaté l’accueil enthousiaste que les gouvernants africains ont fait à la compagnie.

« Quand ils se sont rendu compte que le nouvel acteur avait aspiré tout le trafic vers l’Asie, et même vers l’Europe, au détriment des compagnies nationales, il était trop tard », détaille-t-il. Quelques années plus tard, Qatar Airways s’est confronté à ce retour d’expérience, qui pousse les gouvernements, du moins ceux où il y a une compagnie nationale à vocation intercontinentale, à négocier plus durement les droits de trafic.

Pour la flotte, avantage Qatar Airways

Dans la flotte d’Emirates, on trouve des gros-porteurs, les Boeing 777, et des très-gros-porteurs : le A380 d’Airbus. Cet appareil confortable, si grand qu’il permet d’offrir des coûts au siège les plus bas du marché, suscite l’enthousiasme des professionnels et des passagers – l’un de nos interlocuteurs le qualifie d’« aimant à clients ».

Mais force est de constater que cette configuration n’est pas très adaptée à l’Afrique, où la demande reste limitée. Emirates doit donc se cantonner aux plus grandes villes, ou coupler les destinations, comme Conakry et Dakar ou Lusaka et Harare.

Avec ses modules plus petits, Qatar Airways peut offrir un réseau bien plus dense et des fréquences élevées.

Pour le hub, avantage Emirates

« Les jeunes, les entrepreneurs, les hommes d’affaires africains de moyenne envergure n’ont pas accès à l’Europe, faute de visas et de titres de séjour. Quant à l’Afrique du Nord, c’est presque aussi compliqué, même pour un transit. En comparaison, il est très simple d’aller à Dubaï ou ailleurs dans le Golfe », analyse Jean Adadevi, consultant chez Lufthansa Systems.

Mais si les deux plateformes offrent des possibilités de connexions similaires, que ce soit en matière de commerce ou de tourisme, « Doha n’est pas Dubaï ». Malgré ses efforts récents, dans la foulée de l’organisation de la Coupe du monde de la Fifa en 2022, le petit émirat ne génère pas encore de flux naturel conséquent.

Pour les partenariats, avantage Qatar Airways

Sur le continent, les deux compagnies bénéficient de plusieurs accords de partenariat : Air Mauritius, Royal Air Maroc, Tunisair, South African Airways et Airlink pour Emirates, Royal Air Maroc, Rwandair Air Botswana et Airlink pour Qatar Airways. Mais si ce dernier, membre de l’alliance OneWorld, est accoutumé à la coopération, c’est une pratique exceptionnelle pour Emirates, qui se contente habituellement de travailler avec sa filiale moyen-courrier FlyDubaï.

« Tim Clark [l’ex-président d’Emirates, NDLR] aurait préféré un produit Emirates pur jus », analyse un ancien cadre de la compagnie pour qui de tels accords sont « une nécessité plutôt qu’une stratégie, du fait de la politique d’octroi des droits de trafic des États et de la faible empreinte africaine de FlyDubaï ».

Qatar Airways, au contraire, n’exclut pas pousser la coopération jusqu’au terrain capitalistique, même si sur ce plan-là, l’accord annoncé en janvier 2020 avec Rwandair – alors que Qatar Airways subissait le blocus – attend toujours d’être finalisé. Il n’en est même pas fait mention dans le dernier rapport annuel publié par la compagnie qatarie. Mais celle-ci, propriétaire à 60 % du futur aéroport de Kigali, laisse à son partenaire rwandais l’ensemble des opérations sur la ligne Kigali-Doha, comme elle a longtemps laissé la RAM desservir seule l’axe Casablanca-Doha. Elle a en outre fait de Kigali son premier hub cargo à l’extérieur du Golfe.

Pour le business plan, avantage Emirates

Peu de pétrole, peu de gaz. À l’intérieur de la fédération des Émirats arabes unis, Dubaï n’est pas aussi bien servie qu’Abu Dhabi en termes de ressources naturelles. « L’une des conséquences, c’est qu’Emirates est fondamentalement une entreprise commerciale, bâtie sur la rentabilité », estime Sylvain Bosc, selon lequel si l’entreprise peut tirer les prix vers le bas, « c’est surtout grâce à la taille de ses modules qui lui permet de multiplier les passagers, y compris en classe affaires ».

En comparaison, notre interlocuteur juge que Qatar Airways – qui affiche pourtant des résultats dans le vert – est une entreprise à mission diplomatique plus qu’économique : « Une Qsuite [un siège en classe affaire, capable de se transformer en lit double, NDLR] est très lourde et n’optimise pas l’espace en cabine, elle est donc difficile à rentabiliser. » « Qatar Airways est un jalon de la stratégie d’influence du pays », assure un bon connaisseur des réseaux diplomatiques africains.

Turkish Airlines, l’adversaire à ne pas négliger

La Turquie n’est pas le Golfe. Pourtant, par son maillage africain solide, sa politique tarifaire attractive et sa position au nord-est du continent, là encore au carrefour entre Europe, Afrique et Asie, Turkish Airlines est un adversaire à prendre au sérieux pour les compagnies du Golfe.

D’ailleurs, la compagnie, qui fait office, du haut de ses 90 ans, de vieille dame à côté de ses deux concurrentes, les devance, que ce soit en termes de chiffre d’affaires global (18,4 milliards de dollars en 2022, selon son rapport annuel), de passagers (71,8 millions, dont 9,5 % depuis ou à destination de l’Afrique) ou du nombre de destinations africaines (49 villes dans 37 pays). Ce n’est qu’en termes de capacités que Turkish Airlines, du fait de ses modules plus petits, se place derrière Emirates, mais tout de même à la huitième place mondiale, selon le classement de Simple Flying.

Avec son maillage serré majoritairement desservi à l’aide d’appareils à monocouloir, la stratégie de Turkish peut être rapprochée de celle de Qatar Airways, l’autre élément commun étant la mission tant diplomatique qu’économique que revêt la construction du réseau de la compagnie. L’ouverture d’une desserte de Turkish Airlines s’accompagne ainsi généralement d’une pléiade d’autres actions du soft power turc : mission économique, ouverture d’une représentation consulaire, construction de mosquées, etc.

Source: JeuneAfrique

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