Hydrogène vert : la révolution africaine aura-t-elle lieu ?

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Hydrogène vert : la révolution africaine aura-t-elle lieu ?
Hydrogène vert : la révolution africaine aura-t-elle lieu ?

Africa-Press – Gabon. Priorité stratégique de la décarbonation de l’industrie au sein de l’Union Européenne, les projets de développement du « carburant du futur » sur le continent suscitent de l’espoir, mais peinent encore à décoller. Décryptage.

Pour décarboner progressivement son économie, l’Union européenne (UE) mise sur le potentiel africain afin de produire et importer l’hydrogène vert, indispensable à la transition énergétique. Depuis le lancement du Plan RePowerEU, en 2022, sur fond de crise énergétique mondiale, institutions internationales, États et entreprises privées se bousculent au portillon pour annoncer des accords de développement de « la molécule miraculeuse » en Afrique.

De Rabat à Pretoria, en passant par Le Caire, Windhoek, Nouakchott, Tunis, Alger ou encore Kinshasa, une déferlante de protocoles d’entente s’est généralisée aux quatre coins du continent. Désormais, l’enjeu est de taille pour les pays européens, déterminés à importer pas moins de 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable par an depuis les pays africains à l’horizon 2030.

Un potentiel de production de 50 milliards de tonnes/an

À l’heure où l’hydrogène industriel (également appelé hydrogène gris) est majoritairement produit par les énergies fossiles, essentiellement du gaz naturel ou du charbon, la production de l’hydrogène vert se fait, elle, après électrolyse de l’eau à partir des énergies renouvelables issue des parcs solaires, éoliens ou hydroélectriques pour concrétiser l’objectif de zéro émission de CO2.

Si le « carburant du futur » est, à ce jour, produit à petite échelle, avec une capacité de production mondiale de 109 kilotonnes en 2022, le continent dispose d’atouts importants. Selon un rapport de Deloitte, l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne font partie des régions au plus fort potentiel de développement de l’hydrogène vert dans le monde, avec le Moyen-Orient et le continent américain, avec une production bien supérieure à la consommation locale. À en croire une estimation de Gide Africa, le continent est même aux avant-postes de cette « révolution verte » avec un potentiel de production de « 50 milliards de tonnes par an d’ici à 2035 ».

Bras financier de l’UE, la Banque européenne d’investissement (BEI) énumère, pour sa part, quatre pôles africains clés portés par « la meilleure énergie solaire au monde », en l’occurrence la Mauritanie, le Maroc, l’Afrique australe et l’Égypte. Dans son rapport « L’extraordinaire potentiel de l’Afrique dans le domaine de l’hydrogène vert », la BEI évoque même des projets d’hydrogène vert « économiquement viable à 2 euros par kilo » sur le continent.

Alors que l’institution financière européenne voit l’Afrique comme un futur hub mondial de l’énergie grâce aux exportations de son « or vert », qui peut accélérer la croissance économique à faible intensité de carbone, les analystes de Deloitte misent sur des flux mondiaux qui pourraient atteindre environ 280 milliards de dollars à l’horizon 2050, tandis que le marché frôlerait, au total, les 1 400 milliards de dollars.

Un pari à coup de « grands projets »

Pressée de toucher au but, l’UE compte créer une « Banque européenne de l’hydrogène », dotée d’un budget de 3 milliards d’euros, et mobiliser 100 milliards d’euros d’investissements pour produire et importer « l’or vert ». Une aubaine pour le Maroc, la Mauritanie, l’Égypte, le Kenya, la Namibie et l’Afrique du sud, réunis au sein de l’Alliance africaine de l’hydrogène vert (Agha), dont l’objectif est de doper leur PIB grâce aux exportations du « carburant du futur ».

Conscients de leur force de frappe sur le papier, les pays africains, présentés comme la plaque tournante potentielle pour la production d’hydrogène vert, se sont empressés au cours de ces deux dernières années de signer des accords et des partenariats, accompagnés de promesses de financement, avec leurs partenaires européens, en particulier l’Allemagne, qui reste sur tous les fronts avec son programme H2Global.

Pionnier dans le développement des énergies renouvelables en Afrique, le royaume chérifien a récemment dévoilé « l’offre Maroc » pour faire du pays l’un des leaders mondiaux de l’hydrogène vert. Engagé à assumer son rang, le pays a décidé de mettre un million d’hectares, « accessible et à fort potentiel en matière de production d’hydrogène vert » à disposition des investisseurs nationaux et locaux.

Cependant, à en croire les données de l’agence internationale de l’énergie (IEA), seuls quelques projets ont atteint la phase d’étude de faisabilité et de conception, sans qu’une décision finale d’investissement ait vu le jour. « Pour l’instant, Il y a très peu de projets concrets, non seulement en Afrique, mais à l’échelle mondiale », souligne Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy au sein de la School of International and Public Affairs de l’université Columbia New York.

Un marché inexistant

Sur le terrain, la majorité des projets de développement du « carburant du futur » en Afrique sont à un stade extrêmement précoce. La raison ? « Les incertitudes quant au développement d’un marché international de l’hydrogène vert, mais aussi au manque d’acheteurs et à l’impact de la hausse des prix sur les coûts de production », analyse l’Agence internationale de l’énergie dans son dernier rapport, « Renewables 2023: Analysis and Forecast to 2028 », selon lequel la production de « l’or vert » augmentera plus lentement que prévu partout dans le monde, sauf en Chine.

« Après l’enthousiasme suscité par les annonces politiques en cascade, il y a une forme de retour à la réalité car le développement de l’hydrogène vert se heurte encore à des difficultés de financement et aux faiblesses des politiques de soutien existantes », explique Ines Bouacida, chercheuse spécialiste des questions sur le climat et l’énergie à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Autre hic, et non des moindres, le coût de production de l’hydrogène vert oscille aujourd’hui entre 4,5 et 6,5 dollars par kilogramme, selon les dernières prévisions d’Hydrogen Council et McKinsey & Company. Une augmentation d’entre 30 % et 65 %, accélérée par la hausse des coûts de la main-d’œuvre et des matériaux, mais aussi par l’augmentation des coûts de construction des usines d’électrolyse.

Ainsi, la promesse de baisser très rapidement le coût de l’hydrogène renouvelable tarde également à se concrétiser. Pire, les prix ont tendance à augmenter. « Pour accélérer les projets, il faut des acheteurs prêts à s’engager avec des contrats long terme. Mais face à des prix qui restent élevés, les acheteurs sont encore hésitants à s’engager sur une longue durée », déplore Anne-Sophie Corbeau.

Revers de la médaille

Promesse attirante pour les pays africains, l’hydrogène jouerait, si la filière parvient à se développer, un rôle crucial dans la décarbonation de l’industrie au sein de l’Union européenne. Majoritairement dédiés à l’exportation, les protocoles d’accord signés sur le continent suscitent toutefois des remous, à l’heure où 567 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité.

Vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qu’il a intégré dès les années 1990, Youba Sokona dénonce une forme d’hypocrisie et s’interroge: « Pourquoi les États africains, pressés de devenir les premiers fournisseurs de l’UE, acceptent-ils de répondre aux besoins des partenaires européens avant de garantir l’accès à une électricité décarbonée sur leurs territoires ? » Pour le chercheur malien, le continent doit résoudre les trois problèmes majeurs auxquels il est actuellement confronté: la trappe de la dette, la souveraineté alimentaire et la souveraineté énergétique.

Pour Ines Bouacida, le développement de l’hydrogène vert pour l’exporter peut soulever une question de justice climatique, car le risque de construire des partenariats déséquilibrés existe, tout comme le risque que des projets ne voient pas le jour. Tout dépendra des partenariats. « Produire de l’hydrogène vert pour l’exporter plutôt que de le vendre sur le marché peut faire baisser les taux de financement et augmenter les recettes en devises étrangères, mais il ne faut pas non plus que toute la production de l’hydrogène renouvelable soit exportée », tempère Anne-Sophie Corbeau, car à ce stade, « il y a beaucoup plus de pays qui manifestent leur intérêt pour éventuellement exporter que de pays qui veulent importer ».

Source: JeuneAfrique

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