Africa-Press – Gabon. Présentée comme un simple levier de financement des collectivités, la Taxe Forfaitaire d’Habitation (TFH) révèle un malaise plus profond: celui d’une réforme fiscale conduite dans la précipitation, entre contradictions budgétaires, incertitudes juridiques et brouillage du débat public. Superposition d’impôts, flou parlementaire et projections financières peu étayées interrogent la cohérence et la justice du système fiscal gabonais. Dans la tribune sans concessions suivante, l’analyste politique Noël Biloghe Bi Ndong* démonte les ressorts d’une taxe qu’il juge mal calibrée, mal expliquée et porteuse d’un déséquilibre social difficilement justifiable.
L’instauration de la Taxe Forfaitaire d’Habitation (TFH) au Gabon, prévue pour entrer en vigueur en 2026, n’est pas simplement une mesure fiscale technique: elle cristallise aujourd’hui les contradictions d’une gouvernance budgétaire qui manque de clarté, de transparence et de cohérence.
Un passé fiscal récent oublié: la CFU remplace (et non pas coexiste avec) la TFH
En 2022, le Gabon a supprimé l’ancien dispositif de taxe d’habitation, qui a été remplacé par la Contribution Foncière Unique (CFU), un impôt annuel fondé sur la valeur locative ou vénale des biens immobiliers, et qui concerne uniquement les propriétaires titulaires d’un titre foncier.
Ce remplacement visait à simplifier et à moderniser le système fiscal lié à la propriété. Par conséquent, dire que la TFH figure dans la loi de finances 2022 est trompeur si l’on ne précise pas qu’elle avait été abrogée pour être substituée par la CFU. Il ne s’agit pas d’un dispositif resté en vigueur. Cette confusion volontaire induit en erreur l’opinion publique.
Une taxe « nouvelle » qui ne devrait pas coexister avec la CFU
Aujourd’hui, la loi de finances 2026 (PLF 2026) comporte bien la CFU comme impôt foncier principal.
La réintroduction d’une TFH distincte, prélevée via les factures d’électricité, créerait une superposition de prélèvements. D’un côté, la CFU, un impôt annuel foncier et de l’autre, une taxe d’habitation mensuelle frappant tous les usagers (propriétaires et locataires).
La question de principe que cette situation soulève est: va-t-on appliquer à la fois la TFH et la CFU?
Cela revient à imposer deux fois le même fait générateur (occupation ou possession d’un logement), mais avec des assiettes, des modes de recouvrement et des finalités différents.
Une procédure parlementaire incertaine
Un texte voté par une législature ne peut pas être repris sans exposer le pays à des risques d’irrégularités procédurales, surtout dans un contexte où:
L’Assemblée nationale de transition qui a voté le PLF 2026 a été remplacée par une nouvelle législature élue,
Le Sénat est dans une configuration différente,
Une intersession parlementaire est en cours jusqu’en mars 2026.
Dans ces conditions, faire adopter un nouvel impôt « par ordonnance » ou par initiative gouvernementale sans débat détaillé devant les représentants élus affaiblit la légitimité même de la réforme.
Une communication confuse: prélèvement mensuel vs annuel, recette de 2,8 vs 22 milliards
La TFH est présentée officiellement par le gouvernement comme un prélèvement « mensuel » adossé à la facture d’électricité via la SEEG, ce qui donne l’impression d’un nouvel impôt régulier et automatique.
Pourtant, dans le débat public, certains responsables et commentateurs ont évoqué des tarifs annuels pour cette même taxe, ce qui aggrave la confusion autour de sa périodicité et de son mode de calcul.
Plus grave encore, le gouvernement a revu à la hausse ses projections de rendement: des attentes initiales d’environ 2,8 milliards FCFA par an à 22 milliards FCFA, sans qu’une méthodologie transparente ne soit fournie pour expliquer cette multiplication par près de dix.
Cela illustre une gestion budgétaire au doigt mouillé, incompatible avec les bonnes pratiques fiscales (clarification de l’assiette, taux, exemptions, simulation des impacts) que tout contribuable est en droit d’attendre.
Une taxe socialement injuste
La TFH frappe tous les logements, qu’ils soient occupés par des propriétaires ou des locataires, sans égard pour le niveau de revenu ou la situation économique des ménages.
Adossée à la facture d’électricité, cette taxe devient une charge fixe qui pèse de manière disproportionnée sur les ménages déjà fragilisés par l’inflation, la hausse du coût de la vie et des services essentiels coûteux.
Une confusion persistante sur l’affectation de la taxe
La TFH est aussi marquée par un flou préoccupant sur son affectation réelle.
Le gouvernement évoque une taxe au profit des collectivités locales, sans jamais préciser clairement qui décide, qui collecte et qui redistribue.
Si cette taxe est destinée aux communes, pourquoi ne pas leur laisser le pouvoir d’en fixer le taux, l’assiette et les modalités de recouvrement? Une fiscalité locale sans autonomie fiscale n’est qu’un habillage politique.
À l’inverse, si l’État entend collecter la TFH, notamment via la facture d’électricité, alors il s’agit d’un impôt national déguisé, présenté comme local pour en diluer la contestation.
Dans ce cas, des questions essentielles restent sans réponse: quelle sera la clé de répartition entre les communes? Sur quels critères? Selon quelle transparence? Avec quels mécanismes de contrôle?
Ce flou n’est pas anodin. Il traduit une volonté de centraliser la ressource, tout en transférant le coût politique vers les ménages. Une taxe dont l’affectation est incertaine ne peut être ni légitimée, ni comprise, ni acceptée.
Un impôt mal calibré, mal expliqué et potentiellement injuste
La TFH, telle qu’annoncée, souffre de trois défauts majeurs:
Incohérence avec le cadre fiscal existant (CFU déjà en place dans la loi de finances 2026) ;
Procédure parlementaire contestable dans un contexte institutionnel volatile ;
Communication confuse sur la périodicité et le rendement, source d’incertitude pour les citoyens.
Plutôt que d’additionner de nouvelles taxes, l’État devrait renforcer la transparence, la cohérence et la justice sociale de son système fiscal, en s’assurant que chaque impôt sert clairement un objectif de service public identifiable et accepté.
Par Noël BiLOGHE BI-NDONG*
Directeur Audit & Contrôle Interne, spécialiste de la gestion des risques, de la conformité et de l’optimisation des processus. Diplômé en Finance, Comptabilité, Contrôle et Audit (IAE – France), Président EPG Diaspora





