Pour son salut économique, la Chine mise tout sur les «nouvelles routes de la soie»

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Pour son salut économique, la Chine mise tout sur les «nouvelles routes de la soie»
Pour son salut économique, la Chine mise tout sur les «nouvelles routes de la soie»

Africa-Press – Gabon. Incapable de retrouver le niveau de performance auquel il était habitué, le pays tente de donner un coup de fouet à ses relations commerciales.

En cette fin d’année 2023, il était manifestement important pour la Chine de relancer le vaste projet de coopération avec le reste du monde qu’elle a lancé il y a dix ans sous le nom «La ceinture et la route» («Yi dai, Yi lu», littéralement «Une ceinture, une route»), connu en français comme les «nouvelles routes de la soie».

L’actualité internationale est secouée par la guerre en Ukraine et par le conflit entre Israéliens et Palestiniens du Hamas. Pékin s’efforce de suivre l’évolution de ces affrontements en mettant constamment en avant des intentions de médiation.

Une autre priorité, pour la Chine, est de replacer ses relations économiques dans les réalités du moment. De 2020 à 2022, pour combattre le Covid, elle a imposé à sa population un important confinement qui a considérablement ralenti son activité. Depuis le début 2023, la Chine n’a pas retrouvé les niveaux de performance qu’elle a affichés pendant une vingtaine d’années.

Un forum et un carrefour

Les dirigeants chinois ont donc considéré qu’organiser un forum des «nouvelles routes de la soie» pouvait être très utile. Les 17 et 18 octobre à Pékin, vingt-quatre chefs d’État et de gouvernement, accompagnés de quelques dizaines de délégations techniques, ont participé à ce forum. Dans le contexte international actuel, il y avait moins de dirigeants étrangers, notamment européens, que lors des précédents forums en 2017 ou 2019.

Le concept de «nouvelles routes de la soie» a été lancé en septembre 2013. Dans un discours prononcé à Astana, la capitale du Kazakhstan, Xi Jinping –qui venait d’accéder au poste de président de la République populaire de Chine– a proposé de construire «par le biais d’une coopération innovante» une nouvelle route de la soie.

Le nouveau président chinois précisait alors: «Des pays de différentes ethnies, croyances et cultures peuvent jouir ensemble de la paix et se développer en commun, à condition de rester attachés aux valeurs suivantes: solidarité, confiance mutuelle, égalité et avantages réciproques, […] et coopération gagnant-gagnant.»

Il s’agit de prolonger les liaisons commerciales que la Chine a établies avec 126 pays et 29 organisations internationales.

En parlant de routes de la soie, Xi Jinping actualisait une formulation qui a été couramment utilisée en Chine pendant plusieurs siècles. Elle qualifiait les itinéraires empruntés par les caravanes de chameaux qui, depuis trois siècles avant J.-C., traversaient les continents, de la Chine à la Méditerranée, en passant à travers l’Asie centrale et la Perse, pour aller commercer vers l’empire ottoman ou Venise.

Aujourd’hui, vu de Pékin, il s’agit de mettre à jour et de prolonger les liaisons commerciales que la Chine a établies depuis 2013 en y associant progressivement 126 pays et 29 organisations internationales. Le programme chinois de coopération comporte trois axes: le développement économique, des infrastructures maritimes et terrestres, et le numérique.

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Des ports, voies ferrées, aéroports, routes, zones industrielles et réseaux numériques incluant la 5G ont été réalisés sur tous les continents grâce à des prêts chinois. Autant de domaines qui permettent à la Chine de se positionner en alliée des pays émergents, d’y développer son influence et d’inquiéter les pays occidentaux.

Ces grands travaux ont parfois été considérables. Il y a eu la voie ferrée de 1.035 kilomètres entre le Laos et la Chine, qui a coûté 6 milliards de dollars et a été inaugurée en 2021. Mais aussi le «corridor économique» entre la Chine et le Pakistan, long de 2.000 kilomètres, où ont été installés des pipelines, des routes, des lignes ferroviaires et, tout au sud, le port réaménagé de Gwadar. Ou encore la base navale chinoise de Djibouti, inaugurée en 2017.

Toutes ces grandes infrastructures offrent des débouchés aux entreprises chinoises en même temps qu’elles augmentent les dettes à l’égard de la Chine des pays où elles ont été construites le plus souvent par une main-d’œuvre chinoise.

Les 17 et 18 octobre, le forum organisé à Pékin permettait de faire le point sur ces équipements qu’ont permis les «nouvelles routes de la soie», et de présenter des perspectives pour les prochaines années. Mais l’attention était parfois dirigée ailleurs, un des dirigeants présents ayant été particulièrement remarqué: Vladimir Poutine.

Poutine, invité d’honneur

Dénoncé par une partie du monde pour la guerre qu’il a déclenchée en l’Ukraine, le président russe aurait pu ne pas être particulièrement distingué par Xi Jinping. Au lieu de quoi, il été traité en hôte d’honneur. Xi Jinping a parlé d’une «confiance politique mutuelle croissante entre la Chine et la Russie», et il a invité Poutine à entrer à son côté dans la grande salle du Palais du peuple où s’est tenu le banquet inaugural du forum.

Pour la grande majorité des pays occidentaux, Vladimir Poutine n’est plus fréquentable. En mars dernier, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt contre lui au motif de crime de guerre. Sa responsabilité dans la déportation illégale d’enfants des zones occupées de l’Ukraine vers la Russie est visée. De telles mises en causes internationales à son encontre amènent Vladimir Poutine à éviter de voyager dans des pays signataires du statut de la CPI, qui en principe seraient tenus de l’arrêter.

Pékin et Moscou envisagent la construction d’un autre gazoduc qui passerait par la Mongolie.

ela étant, les comportements à l’égard du chef du Kremlin sont divers. Jean-Pierre Raffarin, qui représentait la France dans ce forum des «nouvelles routes de la soie», a quitté la salle lorsque Vladimir Poutine a prononcé un discours, et les quelques autres représentants de pays européens sont également sortis.

Mais pas Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, qui avait auparavant rencontré le chef du Kremlin en déclarant que son pays «ne cherchait pas l’affrontement avec la Russie, au contraire». Par ailleurs, le Premier ministre thaïlandais, Srettha Thavisin, a invité Vladimir Poutine à venir en visite officielle dans son pays l’an prochain.

Gaz et pétrole à tous les étages

Les 17 et 18 octobre, les dirigeants chinois avaient d’autres raisons de s’intéresser à la Russie. En marge du forum sur les «nouvelles routes de la soie», se tenait une autre réunion consacrée au gaz et au pétrole. Ces énergies représentent «plus de 75% des exportations russes à destination de la Chine», a affirmé Igor Setchine, le patron de Rosneft, la deuxième plus grande entreprise russe après Gazprom.

Une grande quantité de gaz est envoyée en Chine par le gazoduc Force de Sibérie qui traverse celle-ci. Cette exportation russe dépassera cette année 22 milliards de mètres cubes et «devrait atteindre 30 milliards en 2025», a affirmé Igor Setchine. De plus, Pékin et Moscou envisagent la construction d’un autre gazoduc qui passerait par la Mongolie et qui permettrait aux livraisons de gaz russe en Chine de se situer autour de 100 milliards de mètres cube par an.

Vladimir Poutine s’est félicité du niveau «sans précédent» du partenariat énergétique entre la Russie et la Chine.

Quant au pétrole, la Chine en achète plus à la Russie qu’à l’Arabie saoudite et à l’Irak. Sur les huit premiers mois de 2023, la Russie en aurait fourni plus de 75 millions de tonnes à la Chine, a précisé Igor Setchine, en indiquant que «c’est 25% de plus qu’en 2022». Depuis la guerre en Ukraine, les pays du G7 ont imposé un prix plafond au pétrole russe et ils ont très largement fermé leur marché au gaz russe.

Aussi, Moscou a réorienté ses exportations d’énergies vers la Chine en diminuant sensiblement leur prix. Et le 19 octobre, Vladimir Poutine s’est félicité du niveau «sans précédent» du partenariat énergétique entre la Russie et la Chine.

Cependant, ce ne sont pas les relations économiques avec la Russie qui vont suffire à relancer l’économie chinoise, d’autant que la guerre en Ukraine complique les relations commerciales entre la Chine et l’Europe. Depuis le début de ce conflit, le flux des échanges sino-russes s’est certes développé. Il permet à Pékin de se fournir en énergies russes à prix cassés, et à Moscou de compenser les restrictions imposées par l’Europe. Mais pour la Chine, le commerce avec les pays d’Europe est nettement plus important en volume que celui qu’elle réalise avec la Russie.

Déconvenues et déviation

Or, depuis quelques temps, les relatons sino-européennes connaissent des à-coups. En 2019, l’Italie avait été le premier pays du G7 à signer un protocole d’accord avec les «nouvelles routes de la soie». Mais le 2 septembre dernier, les dirigeants italiens ont indiqué que le principe gagnant-gagnant que leur promettait cet accord était loin d’être réalisé et que le déficit commercial de leur pays avec la Chine s’était fortement aggravé. En conséquence, l’Italie annonce qu’elle ne reconduira pas sa coopération avec les «nouvelles routes de la soie».

D’autres déconvenues sont apparues pour Pékin ces dernières années, notamment sur le continent africain. La Chine veut rentabiliser les infrastructures qu’elle met en place, mais il semble que cet objectif soit difficile à atteindre dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. L’activité économique de ces derniers n’est pas suffisante pour qu’ils puissent tirer profit des différents équipements que la Chine a installés sur leur sol. En conséquence, il leur est difficile de rembourser les emprunts qu’ils ont contractés auprès de banques d’État chinoises, et Pékin a dû mettre en place des plans de sauvetage financier et allonger les délais de remboursement.

Une des intentions de la Chine est d’imposer sa présence économique sur un continent jusqu’ici dominé par les États-Unis.

Aussi, en 2019, quelques pays africains ont préféré refuser des propositions chinoises. La Tanzanie a annulé un projet de port, et la Sierra Leone a fait de même pour l’installation d’un aéroport. En 2022, la Chine a dû réduire de deux tiers les prêts qu’elle accordait régulièrement à la plupart des pays d’Afrique.

À Pékin, au forum des «nouvelles routes de la soie», il a été annoncé que d’autres destinations étaient désormais privilégiées par les autorités chinoises, et particulièrement en Amérique latine. La Chine a ainsi vendu au Pérou la réalisation par le puissant armateur chinois Cosco d’un vaste port en eaux profondes. Il se situera à Chancay, à 80 kilomètres de Lima, et permettra d’établir une connexion maritime directe entre l’Amérique du Sud et la Chine.

Le Brésil, la Colombie et l’Équateur ont dit être particulièrement intéressés par ce projet qui devrait être achevé fin 2024. Ce nouveau port sera établi sur 141 hectares, disposera de quinze postes d’amarrages, et Cosco a investi 3,5 milliards de dollars dans sa construction. Une des intentions de la Chine est de faciliter ses importations de produits agricoles et miniers sud-américains –et d’imposer sa présence économique sur un continent jusqu’ici dominé par les États-Unis.

«Nous devrions tous nous considérer comme des amis»

En ouverture du forum, le 17 octobre, Xi Jinping a insisté sur l’esprit dans lequel la Chine propose les «nouvelles routes de la soie»: «Grâce à la coopération de “La ceinture et la route”, la Chine ouvre encore plus largement sa porte au monde», dit-il. Il propose alors une vision fraternelle des relations internationales en déclarant: «Nous devrions tous nous considérer comme des amis et des partenaires, nous respecter, nous soutenir et nous aider à réussir. Comme le dit le proverbe, lorsque vous offrez des roses aux autres, leur parfum reste sur vos mains. En d’autres termes, aider les autres, c’est aussi s’aider soi-même.»

Après quoi Xi Jinping a affirmé que la Chine veut «soutenir une économie mondiale ouverte», qu’elle va «faire progresser l’innovation scientifique et technologique», ou encore qu’elle a pour ambition de «promouvoir le développement vert» en approfondissant «la coopération dans les énergies vertes et les transports verts».

Tout au long de ce discours, il est question d’établir des zones de prospérité économiques dans le monde. Rien n’est dit, en revanche, sur la démocratie ou les droits humains… Ce qui marque évidemment une nette différence avec le point de vue généralement émis par des responsables politiques dans les pays occidentaux.

Par rapport aux guerres qui secouent la planète, Pékin prend soin de se placer dans une position d’arbitre potentiel. S’il y a une volonté chinoise évidente de moderniser et de développer son armée, c’est pour l’amener un jour à mettre fin au régime parfaitement indépendant qui régit l’île de Taïwan.

En dehors de cette perspective, le régime communiste chinois entend consolider, grâce à l’encadrement des «nouvelles routes de la soie», un système d’économie libérale qui lui a grandement réussi. L’objectif de la Chine est maintenant de faire de ces routes un soutien de sa croissance. Le forum de Pékin avait pour but de fixer des perspectives en ce sens. Il reste à les concrétiser.

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