Dérives Ségrégationnistes: Honorer la Promesse Républicaine

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Dérives Ségrégationnistes: Honorer la Promesse Républicaine
Dérives Ségrégationnistes: Honorer la Promesse Républicaine

Africa-Press – Gabon. Le débat public connait un glissement préoccupant. Certains s’adonnent à une génétique de comptoir. Cette polémique en dit long sur la fragilité de la cohésion nationale.

Pouvons-nous nous en accommoder? Au moment où le pays s’apprête à tourner la page de la Transition, le débat public connait un glissement préoccupant. Là où on s’attendait à des échanges sur les réformes, les perspectives d’avenir ou les états de service, certains prennent plaisir à entretenir une suspicion identitaire. Parfois à demi-mots, souvent avec désinvolture, toujours sur un ton inquisiteur, ils s’adonnent à une génétique de comptoir, maniant des thèses sociobiologiques sans en mesurer la dangerosité. Au lendemain de l’élection du président de l’Assemblée nationale, ils ont tôt fait de contester sa légitimité non pas sur la base de son engagement public, mais sur le fondement de la consonance de son patronyme. Devons-nous nous en accommoder? La loyauté peut-elle être redéfinie au gré d’une anxiété diffuse, alimentée par des raccourcis intellectuels et raisonnements fallacieux?

Banalisation du soupçon identitaire

Perfides et réductrices, les attaques contre Régis Onanga Ndiaye sont révélatrices de cette dérive. Politiste de formation, diplomate de carrière, le président de l’Assemblée nationale a servi le Gabon aux Nations-unies, défendu les intérêts de l’Etat comme ambassadeur puis en qualité de ministre des Affaires étrangères, incarnant l’image d’un pays ouvert. Jamais son nom n’avait suscité la moindre réserve, encore moins de polémique. Notoirement connue et assumée, son ascendance n’a jamais entravé son action ni biaisé son regard. Pourquoi son patronyme suffirait-il aujourd’hui pour le disqualifier? Pourquoi suffirait-il à justifier la remise en cause de sa pleine et entière citoyenneté? Loin d’être anecdotique, cette polémique en dit long sur la fragilité de la cohésion nationale. Le cas de Pascal Houangni Ambouroué n’est pas moins révélateur de cette dérive. Fils d’une ancienne mairesse de Port-Gentil, il a été plusieurs fois ministre. S’il a parfois été raillé pour son zèle partisan ou certaines de ses initiatives, jamais ses origines n’avaient fait l’objet de débat.

Comment sommes-nous arrivés à ce renversement soudain? Pourquoi cette inquiétante dégradation du discours public? Beaucoup pointent le Dialogue national inclusif (DNI) d’avril 2024. Censé jeter les bases d’un Gabon nouveau, ce raout enregistra son lot de dérapages. Avec une rare légèreté, certains participants ne s’étaient guère gênés pour parler de «préférence nationale», de «Gabonais de souche», de «Grand remplacement»… Or, ces notions sont historiquement chargées et idéologiquement connotées: forgées par les mouvements de l’extrême droite européenne, elles traduisent toujours un projet divisionniste, xénophobe et raciste. Leur intrusion dans notre lexique politique marque un tournant. Non pas en raison de la réalité sociologique, mais du fait d’une évidente banalisation du soupçon identitaire: chacun s’autorise désormais à trier, hiérarchiser, exclure, en se fondant sur des critères inconnus de la République.

Un poison pour la nation gabonaise

Cette dérive ne doit pas être relativisée. Elle doit être nommée: c’est un poison pour la nation gabonaise. N’en déplaise chantres de la pureté ethnique, le Gabon d’aujourd’hui n’est pas une construction homogène. Jamais notre pays n’a vécu reclus ou refermé sur lui-même. À travers l’histoire, il s’est affirmé par l’ouverture et la prise en compte progressive d’histoires individuelles venues enrichir un récit collectif. Malheureusement, ce modèle est aujourd’hui remis en cause par des apprentis-sorciers, tenants d’une lecture à courte vue. Quand la légitimité d’un responsable politique se mesure à son nom et pas à son parcours, quand on exige aux citoyens des preuves d’un enracinement supposé et pas d’une adhésion aux valeurs communes, on s’en prend à la République et à ses valeurs d’union, de travail et de justice. Or, notre pays n’a nullement besoin de ce ferment supplémentaire de division. Bien au contraire. L’ampleur du chantier de reconstruction requiert de la lucidité, de la cohésion et une capacité collective à ne pas flatter les bas instincts.

Comment mettre fin à cette dérive? L’État doit camper fermement sur la ligne républicaine. Il lui appartient de rappeler certains principes: la nationalité gabonaise est un statut juridique, non un héritage génétique ; la Constitution ne reconnaît pas de citoyenneté différenciée ; nul ne peut être écarté de la vie publique pour son origine, réelle ou fantasmée. Quant à la société, elle doit refuser d’être le relais complaisant des inquiétudes les plus troubles. Pour protéger le pays des fantômes du passé, les Gabonais doivent se reconnaître dans un projet commun, au lieu de se complaire dans la recherche de différences. À l’heure de la «restauration des institutions», cette exigence doit devenir centrale. D’elle, et d’elle seule, dépend notre capacité à honorer la promesse républicaine.

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