Africa-Press – Gabon. À la croisée de l’histoire nationale et des combats pour l’égalité, le parcours de Marie-Augustine Houangni-Ambouroué trace le sillage d’une femme d’exception. Dans cette tribune libre, Chantal Midzie Abessolo, spécialiste des questions de genre et gouvernance, rend hommage à une référence politique sur l’île des rois Orungu. De la mairie de Port-Gentil à l’Assemblée nationale, de la fondation partisane aux luttes militantes, son engagement constitue un fil d’Ariane à travers les méandres de la politique gabonaise, éclairant les défis démocratiques d’hier et d’aujourd’hui.
M-A. Houangni-Ambouroué, comme un fil d’Ariane de l’histoire politique du Gabon
Cet article rend hommage à Marie-Augustine Houangni-Ambouroué, femme dont le parcours constituerait un guide à travers les dédales de l’histoire politique, au-delà de la post-colonie gabonaise. Ce témoignage anthume prend une signification particulière en ce mois du souvenir d’août 2025 car, si le 17 marque le 65e anniversaire de l’indépendance du Gabon, le 18 lui est le jour de naissance de l’octogénaire célébrée, un peu avant le 30, journée de la Libération. Son récit de vie, à travers époques, acteurs, institutions, organisations et pouvoirs, renforce la dimension historique et politique de cet hommage. En ce contexte inédit de Cinquième République naissante favorable à la « panthéonisation », reste à savoir dans quelle(s) mesure(s) la patrie accorderait sa reconnaissance aux femmes de ce pedigree. Pour la sociologie politique, cette figure archétypale trouverait sa place dans le corps virtuel des célébrités politiques nationales, à plus d’un titre.
Parcours politique.
Cet acteur a exercé des mandats politiques à divers échelons de la nation. Pionnière aux lendemains des indépendances, elle dirige la mairie de Port-Gentil de 1980 à 1987, sous le régime du parti unique. L’enjeu de la gestion de cette grande ville, poumon pétrolier du Gabon, place son premier magistrat au centre d’un pouvoir stratégique mêlant enjeux économiques, politiques et sociaux dont les décisions influencent non seulement la vie quotidienne des riverains, mais aussi et plus généralement la distribution des richesses issues des hydrocarbures. C’est à ce défi que s’adonne la native Orungu, en rempilant comme édile de cette ville frondeuse de 1997 à 2000, dans un contexte de démocratisation où le pouvoir reste toutefois fortement centralisé et dominé par le Parti Démocratique Gabonais (PDG).
Entre ces deux séquences de charge publique conférée par élection locale, de la salle des pas perdus du Palais de justice de Port gentil à celui de la Maison du Peuple à Libreville, elle franchira allègrement le pas. La représentation nationale tend les bras à cette «progressiste» qui, désormais aux côtés de 119 autres gabonais, croisera le fer à l’assaut d’un pluralisme politique effectif en en septembre/octobre 1990. Le retour du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, lui permet d’accéder à la députation au sein de l’emblématique 8e législature.
Si sous la législature de Jules Aristide Bourdes Ogouliguende (1990 – 1993), ce témoin privilégié contribue au renouveau démocratique, elle n’en est pas à sa première rencontre mythique. Elle a côtoyé d’éminents acteurs de l’histoire des institutions gabonaises de la trempe de Paul Gondjout et Louis Bigmann. Autant de protagonistes qui ont pu aiguiser son appétence pour la chose politique. Au-delà des pouvoirs local et législatif, son parcours croise même celui de Jean-Hilaire Aubame, alors ministre des affaires étrangères, pour ne citer que ces illustres anciens. Cet entrepreneur politique fera aussi un bout de chemin avec d’autres personnalités de l’acabit de Pierre-Louis Agondjo-Okawe et Ali Bongo, de qui elle consentira parapher en juin 2014, la charte sur le Pacte social.
Luttes militantes
La collaboration avec Maître Agondjo-Okawe va constituer une étape décisive dans le cursus politique de l’ancien édile tant, elle éclaire sur les discontinuités, heurs, malheurs et autres tribulations du dur office du métier politique.
En plus d’avoir brisé le plafond de verre dans une chaîne de commandement local largement masculinisée, son engagement certes contrarié, s’est affirmé dans la sphère partisane. Longuement exposée _ d’abord de manière passive par la proximité professionnelle et/ou la socialisation politique_ à la dynamique partisane, la création d’un parti va s’imposer naturellement lorsqu’avec le président du Parti Gabonais du Progrès (PGP), dont elle porte les couleurs à la municipalité, ils ne seront plus d’accord que sur un seul point: la rupture. L’Alliance pour la République et la Démocratie (ARD), rare initiative féminine en la matière, voit ainsi le jour en 2001.
C’est aussi par ce biais partisan qu’elle répondra au déficit démocratique interne au PGP, né de la sélection du personnel au sein de cette écurie politique. Le non moindre de son apport est d’avoir étendu la palette du répertoire d’actions de professionnels actifs dans l’arène, aux confins des formes protestataires de participation politique. Il en est ainsi des marches de protestation liée à son départ de la mairie. Au-delà, voyant l’existence de son parti politique contrariée faute de reconnaissance officielle et, face aux obstacles administratifs subséquents, agrémentés d’un soupçon de patriarcat, l’ancien premier magistrat de la « ville de Sable » va organiser un sit-in devant le ministère de l’Intérieur. Cet acte emblématique de résistance qui fit date, illustrant sa détermination à défendre la pluralité et l’inclusion politique, a inspiré plus d’un. Ce comportement politique parle encore aujourd’hui, face à l’androcentrisme ambiant et servirait d’aiguillon à la lutte contre les Violences Basées sur le Genre à caractère Politique (VBG-P).
Ces récriminations sexospécifiques sont d’ailleurs loin de résumer le quotidien militant au sein du PGP d’alors. Les luttes internes et le jeu des factions politiques ne font pas de distinction de genre. Elle va l’apprendre à ses dépens en 2000, remplacée par un autre leader du même camp, à la tête du Conseil municipal. L’exclusion/destitution va se solder par le plébiscite (56 voix sur les 57 composant le collège électoral) au profit de la faction interne Nkomi, aux dires de certains observateurs. Outre le factionnalisme, ce remplacement augure d’une ère d’alliances mouvantes, transhumances, rivalités personnelles et rapports de force à la base de recompositions du paysage partisan et politique local.
Enjeux électoraux actuels
Fait suffisamment insolite pour être relevé, cette femme à l’origine d’une dynastie politique sous nos cieux, avec ce que cette hérédité patronymique peut impliquer. La trajectoire de la militante engagée apparaît comme un fil rouge pour appréhender les méandres de l’histoire politique du pays. À l’approche du double scrutin local et législatif de 2025, cet itinéraire féminin offre des enseignements précieux pour les candidats, les électeurs voire, l’écosystème politique en mutation. D’abord sur le leadership et la légitimité, son expérience révèle que le double ancrage local et national est la preuve que la résilience et l’ancrage sur le terrain renforcent l’influence politique. Ensuite, faire face aux blocages institutionnels, dont ceux des organismes de gestion électorale (OGE) susceptibles de verrouiller l’accès au pouvoir, entre résistance et escapisme, demeure l’issue. Puis, la dimension intersectionnelle de ses luttes pointe des discriminations politiques complexes combinant genre, position et affiliation politique.
Le cheminement politique de Marie-Augustine Houangni-Ambouroué demeure une source intéressante et d’inspiration, aussi bien pour les chercheurs que les aspirants à une carrière patiemment forgée dans les arcanes du pouvoir, sans omettre les observateurs sensibles à une politique inclusive et équitable. En cette veille de période électorale, son expérience résonne comme un appel à conjuguer mémoire historique, vigilance citoyenne et combat pour l’égalité.
Chantal Midzie Abessolo, Docteur en science politique de la Faculté de droit de l’Université Nancy 2.
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