Naufrage du 9 mars : Le récit de la nuit apocalyptique par le Commandant Mougoula

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Naufrage du 9 mars : Le récit de la nuit apocalyptique par le Commandant Mougoula
Naufrage du 9 mars : Le récit de la nuit apocalyptique par le Commandant Mougoula

Africa-Press – Gabon. Noël Mougoula, le commandant du ‘Céleste’, navire de Peschaud Gabon affrété pour le compte de la CNNII et dédié au transport du fret sur le trajet Port-Gentil-Libreville, était aux premières loges du sauvetage des sinistrés de l’Esther Miracle. Il raconte par le menu, à Gabonreview, ce qu’il s’est passé, depuis son navire, durant la terrible nuit du 9 mars.
Gabonreview : Un bref le récit de cette terrible nuit du 8 au 9 mars 2023 ?
Commandant Noël Mougoula Siguiliba : Nous sommes partis de Port-Gentil vers les 19 heures et à 3h45, alors que nous étions déjà à la Pénélope, c’est l’entrée du chenal de Libreville, et donc que nous étions à une heure du port d’Acae nous avons reçu une alerte téléphonique venant de Port-Gentil, de notre responsable affréteur, CNNII, disant que le navire Esther Miracle était en difficulté. Et 10 minutes après, c’est notre directeur général qui nous a également appelé pour nous informer. Une cellule de crise a été automatiquement mise en place à Peschaud Gabon et 20 minutes après la Marine nationale nous a appelé. On a cherché tous ensemble à identifier, du moins à avoir la dernière position du navire.

A partir de ce moment, j’ai décidé de faire demi-tour malgré que nous n’ayons pas de position du navire. Je me suis dit que c’est un navire qui fait souvent la même route que nous. On se croise souvent, et parfois on chemine ensemble et je me suis dit que s’ils ont un souci, c’est forcément sur ce trajet. Je m’étais d’ailleurs un peu étonné du fait que nous ne nous soyons pas croisés. J’ai donc promptement fait demi-tour sans réfléchir parce que je savais que devant, il y avait des vies qui étaient en danger.

Nous avons reçu une position à 4 h 50, donnée par la Marine nationale. A la suite de ça nous avons continué et on voyait maintenant des fusées de détresse balancées par les naufragés. Ça venait des canoës de sauvetage. Ça nous a pris 2 h et 20 minutes pour arriver sur les lieux du drame.

Lorsque vous y parvenez, l’Esther Miracle flotte-t-il encore ?

Non, le bateau ne flotte plus. On n’a pu plus d’Esther Miracle en vue.

Qu’est-ce que vous avez alors en vue ?

Quand nous arrivons, ce sont des containers qui flottent, des radeaux de survie avec certains des naufragés et d’autres radeaux qui sont éclatés. Les gens sont dans l’eau.

Comment avez-vous organisé le repêchage ?

Quand vous arrivez sur un site sinistré, la gestion du site est quelque chose de très important. Par votre gestion du site, vous pouvez sauvez beaucoup de personnes. Et si vous gérez mal la situation, vous pouvez en perdre. On a donc commencé par récupérer ceux-là qui étaient dans l’eau et dont les radeaux avaient éclaté et qui n’avaient plus de flottabilité. Leur seule flottabilité tenait à ce qu’ils étaient regroupés et leurs gilets leur permettaient de tenir. Ils étaient épuisés, complètement hagards, les regards vides. Ils sortaient d’une nuit de froid et dans ce silence. Nous avons entendu des louanges. Ils étaient en train de louer le seigneur. Nous nous sommes dirigés vers eux avec les techniques de récupération d’homme à la mer. Nous avons fait les bonnes manœuvres. Il y a eu un contact et on a commencé à récupérer les naufragés.

Dans ce premier groupe, nous avons récupéré 64 naufragés. Auparavant, durant la nuit, lorsqu’on allait sur les lieux du drame, on avait déjà organisé le navire puisque nous avions de la marchandise et tout. On a dû libérer de la place pour eux et on avait déjà établi un cordon de sécurité. On les a récupérés, on les a envoyés à l’arrière après quoi nous sommes allés prendre un deuxième radeau et là dedans, il y avait un certain nombre de compatriotes que nous avons récupéré. Ce qui faisait un total de 103 personnes. Il y a un plaisancier qui avait aussi une pirogue. Il est arrivé et a récupéré 4 naufragés. Il nous les a emmené. Ce qui faisait un total de 107 passagers. Nous, nous en avons donc récupéré 103 et le plaisancier 4 personnes. Les militaires ont récupéré 15 plus 107, ça faisait 122.

Votre bateau avait-il des radeaux que vous avez mis à contribution ?

Non, non et non ! Parce que quand nous sommes arrivés, on ne pouvait faire que de la récupération. Ça ne servait à rien d’éclater un radeau alors qu’on pouvait juste récupérer les naufragés visibles.

Est-ce un élan de cœur, votre côté chrétien qui vous poussé à rebrousser chemin ?

Bien sûr ! L’amour du prochain. «Aime ton prochain comme toi-même !». Si mon prochain est en détresse, je ne peux pas passer. C’est l’histoire du bon Samaritain qui s’est arrêté alors que quelqu’un avait été attaqué.

Y a-t-il des règles strictes dans la marine en cas de SOS ?

C’est un engagement en tant que marin. Nous en avons le devoir. C’est un devoir de porter assistance à tout navire en détresse. Aujourd’hui c’est ce navire, demain ça pourrait être nous. Nous avons ce devoir. Ce n’est même pas une option, c’est un devoir. Et nous sommes allés sans chercher à comprendre.

Pour l’information du public, quelle est votre formation ?

Je reviens de la Marine nationale. Je suis navigateur. J’ai fait des formations en Chine, au Maroc et puis je suis passé officier, Commandant de bord. J’ai un 3 mille UMS, c’est un brevet qui permet de commander une certaine catégorie de navires. Parce que les navires sont classés par catégorie.

Y a -t-il quelque chose que vous aurez voulu dire et que nous n’avons pas abordé avec vous ?

C’est un sentiment de tristesse parce que nous n’avons pu sauver tout le monde. Nous sommes arrivés, le bateau avait déjà coulé. Peut-être que si nous avons été là avant, on aurait pu sauver tout le monde et chacun serait rentré chez soi. C’est ce sentiment de tristesse qui est mitigé dans ce que nous avons fait. C’est vrai, nous avons sauvé une centaine de personnes, mais je suis triste dans mon cœur à cause de ça.

Pour tout vous dire, pendant trois jours, je n’ai cessé de pleurer dans ma chambre à cause du fait que beaucoup de personnes n’ont pas été retrouvées. Voir la détresse dans les yeux de nos compatriotes, c’est… c’était une scène apocalyptique. Les gens sortaient d’une nuit de torpeur, de froid… Ils avaient été presque dans la vallée de l’ombre de la mort. Ce matin là, à six heures, ils ont aperçu le navire Céleste qui leur a apporté de l’espoir. Ils se sont dit oui !, Dieu a répondu à nos prières. Nous sommes sauvés. Ce sentiment essaie de surnager au dessus de cette tristesse. Je compatis beaucoup avec les familles éplorées.

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