Africa-Press – Gabon. Ce 15 octobre 2025 marque exactement quatorze ans jour pour jour que Pierre Mamboundou s’est éteint, laissant derrière lui l’empreinte indélébile du plus brillant homme politique gabonais du XXe siècle. Ingénieur devenu tribun, idéaliste jusqu’à l’obstination, il incarna une opposition incorruptible face à la dynastie Bongo. De son refus constant de pactiser avec le pouvoir à son dernier souffle, Grand Pierrot demeura l’homme d’un mot unique – non – et d’une vision rare: celle d’un Gabon debout, libre et digne.
Demeurer, une vie durant, opposant au Gabon n’est pas une posture, c’est une épreuve. Pierre Mamboundou, lui, l’a vécue jusqu’à l’ultime souffle. Quatorze ans après sa disparition, survenue dans la nuit du 15 au 16 octobre 2011, le souvenir de celui que l’on appelait affectueusement Grand Pierrot reste vivace, à Ndendé comme à Libreville, dans la mémoire collective de ceux qui virent en lui la conscience têtue de la République. Tribun intransigeant, figure charismatique, il fut l’un des rares à avoir refusé, jusqu’à la fin, les séductions du pouvoir et les douceurs de «la mangeoire».
L’homme qui disait non
Pierre Mamboundou n’était pas qu’un opposant: il était le symbole d’une fidélité à une idée, celle d’un Gabon libre et juste. Né à Mouila en 1946, formé à la rigueur scientifique en France, il aurait pu choisir le confort des institutions internationales où il fit ses premières armes, notamment à l’Agence de coopération culturelle et technique (ACTT), ancêtre de la Francophonie. Mais en 1989, dans un Paris encore baigné par les vents de la liberté, il fonda l’Union du peuple gabonais (UPG), un parti né le 14 juillet – date hautement symbolique pour celui qui rêvait d’un nouveau 1789 à la gabonaise. Le régime d’Omar Bongo n’y vit qu’une menace: accusation de coup d’État, condamnation par contumace, exil forcé à Dakar.
Il en revint en 1993, auréolé de cette aura des exilés politiques. À Ndendé, il trouva son bastion et son peuple. Élu député, puis maire, il électrifia sa commune, y fit bâtir un hôpital, une mairie et une route, persuadé que le développement local était le vrai visage de la résistance.
Trois fois candidat, trois fois spolié
De 1998 à 2009, Mamboundou porta trois fois les espoirs de l’opposition face à la dynastie Bongo. Trois batailles électorales, trois soirs d’amertume. Les chiffres officiels – 16,5 % en 1998, 13,6 % en 2005, 25,6 % en 2009 – ne dirent jamais sa vérité. Il s’en déclara à chaque fois spolié, vainqueur moral des urnes, et en fit le combat de sa vie.
Son parti, l’UPG, avait ses symboles: la couleur rouge, omniprésente, qu’il arborait en cravate comme un carton adressé au régime ; les «caisses rouges» où les militants glissaient leurs économies pour financer la campagne. Les t-shirts, jamais distribués aux militants déferlant sur la place de Rio et le transformant en océan rouge. Ce rouge-là n’était pas celui du sang, mais de la dignité. Mamboundou, lui, y voyait un avertissement: «Le peuple finira par se lever.»
Un héritage de courage et de droiture
Lorsque la maladie l’affaiblit en 2010, l’homme de Ndendé entama un dialogue discret avec Ali Bongo Ondimba. On lui proposa un poste de vice-président. Il demanda la Primature. On lui tendit la main du pouvoir ; il hésita, mais ne signa jamais. Dans la nuit du 15 octobre 2011, son cœur s’arrêta avant que l’accord ne soit paraphé. Ultime ironie de l’histoire: jusqu’au bout, il resta celui «qui dit non».
Quatorze ans plus tard, son mausolée veille sur Ndendé, et la Fondation Pierre Mamboundou perpétue ses idéaux: paix, démocratie, éducation, environnement. Ses héritiers politiques, dispersés mais fidèles, savent qu’ils ne marcheront plus derrière un homme, mais dans les traces d’un principe.
Le Gabon compte désormais peu de voix capables d’incarner, comme lui, l’opposition sans compromission. Pierre Mamboundou n’a pas seulement refusé le pouvoir: il a prouvé qu’au royaume du silence, il est des refus qui font plus de bruit qu’une victoire.
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