Africa-Press – Gabon. Il y a des sommets qui enregistrent l’histoire et d’autres qui la déplacent. Belém appartient à la seconde catégorie. À la COP30, ce ne sont pas les États qui ont dicté le tempo, mais ceux qu’on reléguait jadis aux marges: villes, entreprises, peuples autochtones, réseaux civils. La scène climatique mondiale a basculé, et les gouvernements ont perdu le monopole du pilotage. Une vérité que Adrien NKoghe-Mba* capture avec acuité: le centre de gravité du climat s’est décentré, et rien ne sera plus comme avant.
On savait que la COP30 serait particulière avant même qu’elle ne commence. Un sommet dans l’Amazonie, un monde fracturé par les crises géopolitiques, un climat qui bat record sur record, des États épuisés par trente ans de négociations souvent décevantes. Mais ce que peu avaient anticipé, c’est l’ampleur du glissement qui s’y produirait: la COP30 n’a pas seulement été une conférence de plus, elle a été un véritable révélateur. Révélateur d’un système international qui n’arrive plus à suivre, et révélateur d’une dynamique nouvelle — celle d’une gouvernance climatique qui se décentre, se diversifie et se démultiplie.
Le Brésil, hôte et président, a donné le ton dès l’ouverture en qualifiant le paquet final de « global mutirão » — un terme amazonien qui désigne un effort collectif où chacun apporte ce qu’il peut. Ce n’était pas seulement un slogan. Les documents officiels montrent que cette COP a été moins une arène où les États négocient des mots qu’un chantier où une multitude d’acteurs viennent déposer des plans, des financements, des résultats et des feuilles de route. La présidence brésilienne insiste d’ailleurs sur un fait inédit: « cette COP a vu le premier dispositif de suivi mené par des acteurs non étatiques, visant à mesurer les progrès concernant quatre milliards de personnes d’ici 2030 » (COP30 Evening Summary, cop30.br). Une phrase qui, en creux, annonce la réalité: les États ne sont plus seuls à piloter la trajectoire climatique mondiale — et ils ne sont plus capables de la piloter seuls.
Ce n’est pas une impression, c’est une donnée vérifiée. Le rapport final de l’Action Agenda, publié par l’UNFCCC, indique noir sur blanc que 189 initiatives non étatiques ont présenté leurs résultats à Belém, soit « une multiplication par six par rapport à 2024 ». Une croissance si spectaculaire qu’elle redéfinit le rôle même des COP. On ne vient plus seulement y négocier, on vient y rendre des comptes, y annoncer des progrès, y aligner des coalitions industrielles, financières, locales. Les villes y jouent un rôle central: plusieurs réseaux urbains ont présenté leurs trajectoires de neutralité carbone, mettant en avant la capacité des collectivités à déployer des infrastructures que les États n’arrivent pas à financer à temps. Les entreprises et investisseurs, selon l’analyse du cabinet ERM, se sont engagés « à une échelle jamais observée lors d’une COP », en insistant sur le fait que la compétition industrielle est désormais intimement liée à la décarbonation.
Si l’on ajoute à cela la présence massive des peuples autochtones — particulièrement visible à Belém, à l’entrée même de leurs territoires — la photographie d’ensemble est claire: la COP30 a été une COP polycentrique. Le site spécialisé Loss & Damage Collaboration le souligne explicitement: « Les communautés indigènes ont joué un rôle décisif dans l’avancement des discussions sur la justice climatique », notamment sur les mécanismes de pertes et dommages, domaine où leurs revendications ont pesé davantage que celles de certains États.
Pour autant, dresser un bilan complet de la COP30 ne signifie pas se contenter de célébrer cette diversité d’acteurs. Belém a montré les forces du nouveau système climatique mondial, mais aussi ses faiblesses persistantes — parfois structurelles.
Sur le plan des textes, la COP30 a connu les mêmes tensions que les précédentes. Concernant les combustibles fossiles, aucune feuille de route claire n’a été adoptée. Climate Change News rappelle que « la COP30 a échoué à obtenir un accord explicite sur la transition hors des énergies fossiles », malgré une pression internationale croissante. En revanche, les États ont réussi à s’entendre sur un engagement à tripler les financements dédiés à l’adaptation d’ici 2035, une avancée significative pour les pays vulnérables. Mais sur les pertes et dommages, le financement reste encore très en dessous des besoins identifiés — un point souligné par plusieurs organisations, notamment la Loss & Damage Collaboration, qui parle d’un « écart préoccupant entre les promesses et la réalité des mécanismes financiers ».
Au-delà des textes, le diagnostic général rappelle celui formulé par l’OCDE dans son analyse préparatoire à la conférence: Belém inaugure « le passage des négociations d’engagements à la mise en œuvre mobilisant tous les partenaires pertinents ». Autrement dit, nous sommes entrés dans l’ère où les COP ne peuvent plus être évaluées uniquement sur leurs décisions intergouvernementales, mais sur la somme des actions concrètes enclenchées ou accélérées par la mobilisation des villes, des régions, des entreprises et de la société civile.
C’est précisément ce que le King’s College London a appelé, dans une analyse approfondie, l’avènement d’un « inter-plural world order » — un ordre mondial inter-pluriel — où les acteurs non étatiques deviennent des médiateurs essentiels pour dépasser les blocages entre puissances traditionnelles. Rien de moins que la traduction institutionnelle d’une réalité que Thomas Friedman décrit depuis vingt ans: un monde aplati, où les réseaux importent autant que les gouvernements.
Alors, que retenir de Belém?
D’abord, que la COP30 a rendu visible un acteur collectif longtemps sous-estimé: l’ensemble des forces non étatiques qui, depuis des années, avancent plus vite que les États. Ensuite, que cette dynamique ne remplace pas la diplomatie, mais la contourne lorsqu’elle s’enlise, la complète lorsqu’elle s’affaiblit et la pousse lorsqu’elle hésite. Enfin, que ce nouvel écosystème ne réussira que si les États acceptent d’en devenir les orchestrateurs plutôt que les seuls protagonistes.
Belém n’a pas été la COP des grandes annonces diplomatiques. Elle a été, de manière plus subtile et plus profonde, la COP où le centre de gravité du climat s’est déplacé. Une COP où l’on a compris que l’avenir climatique ne se décidera plus dans les seules salles de négociation, mais dans les municipalités qui construisent des réseaux électriques plus propres, dans les entreprises qui redessinent leurs chaînes d’approvisionnement, dans les peuples autochtones qui défendent leurs territoires, dans les scientifiques qui créent des modèles d’absorption du carbone, dans les citoyens qui participent à cette nouvelle forme mondiale de mutirão.
La COP30 n’a peut-être pas accouché d’un accord historique. Elle a accouché de quelque chose de plus important encore: une redistribution des forces. À Belém, le climat n’appartient plus exclusivement aux États. Il appartient à tous ceux qui ont décidé d’agir — et qui ont désormais la légitimité, les outils et la reconnaissance institutionnelle pour le faire.
*Président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.





