Africa-Press – Gabon. La trouvaille est pour le moins sinistre, mais elle a su largement retenir l’attention des archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) tant elle est singulière. Ironie du sort, elle a été faite sous la grande Esplanade de Grenoble, une place en plein réaménagement qui a pour habitude d’accueillir chaque année… une importante fête foraine.
Les vestiges d’un gibet médiéval, un édifice sur lequel on exposait les cadavres des suppliciés après leur exécution, ont été identifiés. Datée du milieu du 16e siècle et très probablement utilisée à une période de forte répression de la Réforme protestante, cette structure n’avait rien d’inhabituel dans les grandes villes de France – et plus largement d’Europe – et faisait partie intégrante du système judiciaire médiéval. Elle n’en reste pas moins rarissime en contexte archéologique.
Une vue aérienne de la fouille. Crédits: Nordine Saadi/Inrap
Un avertissement graphique
Désormais réduit à un édifice quadrangulaire maçonné dépouillé de ses murs, de ses huit piliers de pierre et de ses chapiteaux qui supportaient une charpente, le gibet se trouvait à l’une des portes de Grenoble, au dit Port de la Roche, une plaine près des berges de l’Isère. Il était ainsi visible de tous – même depuis les embarcations naviguant sur l’Isère–, et jouait un rôle largement dissuasif pour quiconque était tenté de désobéir au roi. Il n’était en revanche pas le lieu des exécutions en place publique, celles de Grenoble étant organisées place aux Herbes.
La fourche de Montfaucon
Aussi appelés « fourches patibulaires », les gibets existaient déjà sous l’Empire romain. Ils pouvaient être constitués d’une simple poutre transversale pour suspendre un ou plusieurs corps, ou bien être monumentaux, comme celui de Montfaucon, à Paris. Surnommé également les « Fourches patibulaires de la grande Justice de Paris », le gibet de Montfaucon était le principal lieu d’exécution et d’exposition des corps des condamnés pour les rois de France du Moyen Âge jusqu’au règne de Louis XIII, mort en 1630. Il n’en reste aujourd’hui aucune trace visible à Paris, mais sa mémoire a traversé la littérature et l’imaginaire populaire.
La seule représentation contemporaine du gibet de Montfaucon. Crédits: Grandes Chroniques de France – Bibliothèque Nationale de France
Un dépôt de corps anarchique
Malgré la présence de nombreux squelettes dans des fosses creusées à l’intérieur-même des fondations et à l’extérieur, l’équipe de l’Inrap n’a pas immédiatement compris à quel type de vestiges elle avait affaire. « Nous avons pensé au départ qu’il s’agissait d’un ermitage ou encore d’une chapelle catholique ou d’un édifice protestant », a détaillé Nicolas Minvielle-Larousse, responsable scientifique de la fouille et archéologue-médiéviste à l’Inrap. Mais la position des individus – 32 au total, parmi lesquels comptent deux femmes et un adolescent de 14-15 ans – a fini par leur laisser penser qu’ils avaient mis la main sur un lieu plus singulier.
« Il était clair que ces défunts avaient été délibérément privés de sépulture », affirme Nicolas Minvielle-Larousse. « Leurs corps se superposaient, s’enchevêtraient et étaient parfois en morceaux, résultat d’une lente décomposition. Après un certain temps, parfois plusieurs années, ils ont été déposés ou jetés dans ces fosses sans aucun soin ni geste funéraire. »
Une vue de la fosse interne aux fondations, qui comptait de nombreux corps superposés. Crédits: Anne-Gaëlle Corbara/Inrap
S’est alors ouverte une nouvelle fouille, cette fois dans les archives de la région, pour tenter de faire le lien avec un bâtiment répertorié. « Grâce à des datations au carbone 14 réalisées lors des sondages, nous avions une idée de l’époque des vestiges et donc d’où chercher », explique Eric Syssau, des Archives départementales de l’Isère. L’étude de comptes de construction associés à un plan de charpente dont la forme et les dimensions correspondent exactement aux maçonneries fouillées ont alors permis d’identifier avec certitude le gibet grenoblois du Port de la Roche, bâti entre 1544 et 1547.
Une condamnation à l’infâmante « male mort »
Contrairement aux idées reçues, et malgré l’existence d’un dispositif aussi sinistre, la peine de mort était exceptionnelle dans la justice criminelle médiévale. Aussi, ceux dont le corps finissait suspendu au gibet étaient essentiellement des rebelles à l’autorité du roi. « Inhumer de cette manière un supplicié revenait à prolonger dans la mort la peine prononcée de son vivant », assure Nicolas Minvielle-Larousse. « Le gibet était vraiment un instrument de déchéance sociale. »
Plan prévisionnel de la charpente du gibet du 19 mars 1546. Crédits: Cédric Jean, Archives départementales de l’Isère (cote B3134)
Là encore, les archives nous renseignent sur l’identité de plusieurs condamnés dont la dépouille fut accrochée à ce gibet du Port de la Roche. Le protestant Benoît Croyet, accusé en 1573 d’avoir participé à une attaque contre Grenoble, ou encore Charles Du Puy Montbrun, qui fut le chef des huguenots du Dauphiné jusqu’à sa décapitation en 1575, y furent notamment exhibés. « En pleine période de guerre de religions, le pouvoir se raidit. Les condamnations des protestants ne deviennent plus la seule affaire de l’Inquisition, mais aussi celle de l’État », détaille Nicolas Minvielle-Larousse.
Selon les historiens, le gibet du Port de la Roche n’aurait servi que quelques décennies avant de sortir de la mémoire grenobloise. L’y voici à nouveau.





