Africa-Press – Gabon. « Jean-François a 70 ans, il est en dialyse depuis quatre ans. Quatre heures, trois fois par semaine, accroché à la machine. Il attend l’appel, mais il dit qu’à son âge ils ne l’appelleront jamais », raconte Hervé Ancelet, président régional de l’association de patients France Rein dans le Nord-Pas-de-Calais. Comme Jean-François, près de 23.000 personnes en France attendent anxieusement un appel leur signifiant qu’un donneur d’organe compatible a été trouvé. Mais seuls 6.000 sont greffés chaque année. Pour pallier cette pénurie, les efforts se multiplient pour rendre transplantables les organes de porcs. Mais bien qu’elle soulève enthousiasme et espoirs, la xénotransplantation – greffe d’une espèce vers une autre – implique de relever de nombreux défis scientifiques, médicaux, éthiques et légaux, soulignent les experts du consortium national Xenocure lors d’une demi-journée de tables rondes.
« En xénotransplantation, ça y est on a traversé la Manche »
Après presque neuf mois à le porter, le 23 octobre 2025, l’Américain Tim Andrews a dû se faire retirer le rein de porc qui l’avait libéré de sa machine de dialyse. « Le rejet et les médicaments pour le combattre ont eu des répercussions négatives sur ma santé », explique le patient à ScienceInsider. Pour le Pr Gilles Blancho, chef du service Néphrologie et immunologie clinique à l’Institut de Transplantation en Urologie-Néphrologie du CHU de Nantes, ces résultats témoignent des progrès importants dans le domaine de la xénotransplantation, trois ans après que le premier rein de porc a été greffé en l’espace de quelques jours à un patient en état de mort cérébrale en 2021 et un an après avoir tenté pour la première fois l’opération sur un receveur vivant.
Le patient, Richard Slayman, mourut deux mois plus tard. « En xénotransplantation ça y est on a traversé la Manche (en référence aux sportifs ayant démontré que la traversée à la nage était possible, ndlr), on a la preuve que ça peut marcher », appuie Gilles Blancho. A quelques jours près, la xénogreffe de Tim Andrews dura presque aussi longtemps que le record établi en 1964, lorsqu’une jeune Américaine de 23 ans survécu neuf mois avec un rein de chimpanzé. Pour des raisons éthiques, les chimpanzés ont depuis été abandonnés au profit des porcs, génétiquement plus éloignés de l’humain avec 95% de similarité ADN contre 97% pour le primate.
Des porcs génétiquement modifiés
Si elle semble marginale à un œil non initié, cette différence génétique représente au contraire un obstacle crucial à la xénotransplantation. « Plus la différence génétique est grande entre donneur et receveur et plus la greffe est compliquée », souligne le Pr Olivier Thaunat, chef de service adjoint du service de transplantation, néphrologie et immunologie clinique des Hospices Civiles de Lyon (HCL). Le porc a notamment des mécanismes immunologiques et de coagulation incompatibles avec le nôtre. Pour surmonter ces obstacles, les porcs donneurs d’organes sont modifiés génétiquement et élevés dans des fermes pharmaceutiques, dans des conditions d’hygiène et d’isolement plus proches du laboratoire et des bébés-bulles que de la ferme traditionnelle. « Le but est de combler ce fossé, car les succès de xénotransplantations de plusieurs mois demandent des niveaux d’immunosuppression qui sont incompatibles avec les patients lambda », ajoute Olivier Thaunat.
« Le premier objectif est d’éviter le rejet hyperaigu, qui n’existe plus dans la transplantation entre humains », explique la directrice de recherche à l’Inserm en immunologie Sophie Brouard. « Pour cela, il faut désactiver des gènes porcins, en faire exprimer d’autres et enlever les petits xénoantigènes à la surface de cellules porcines qui entrainent le rejet par le corps humain. » Sur les 69 modifications génétiques réalisées sur les porcs actuellement utilisés pour les xénotransplantations, 10 sont liées à ces activations et désactivations de gènes. Toutes les autres permettent d’inactiver les virus porcins connus. « Le porc a ses propres pathogènes qui pourraient entraîner une pandémie comme celle du Covid-19 s’ils étaient transmis à un humain », souligne le Pr Yvon Lebranchu, néphrologue et auteur du rapport de l’Académie de Médecine consacré à la xénogreffe et publié en mai 2025.
Outre les obstacles immunologiques et infectieux, les experts relèvent les différences entre les physiologies humaine et du porc. « Un porc ça ne vit que 15 à 20 ans, nous ne savons donc pas combien de temps peuvent vivre des organes de porc », pointe Yvon Lebranchu. « De plus, la température du porc est de 38 degrés, ce qui pourrait poser problème pour le fonctionnement des organes complexes comme le foie par exemple qui contient des milliers d’enzymes, plus que pour le cœur qui est une pompe. » Il semble cependant que ces variations entre porcs et humains ne constituent pas un obstacle majeur à la xénotransplantation au regard des autres.
Greffer des tissus avant de s’attaquer aux organes entiers
Avant que la France réussisse à greffer des organes de porc entiers à des patients, comme le font les Etats-Unis et la Chine, des étapes intermédiaires pourraient nous permettre de « rester dans la course », ce que les experts de Xenocure s’accordent à recommander. « Les porcs modifiés dans 10 ans ne seront pas du tout ceux d’aujourd’hui », anticipe Yvon Lebranchu. Ne pas posséder nos propres fermes pharmaceutiques et équipes de recherche signifierait donc probablement, tout comme pour les cellules CAR-T aujourd’hui (des lymphocytes T modifiés génétiquement dans le but de reconnaître puis éliminer les cellules cancéreuses), devoir se fournir à prix d’or auprès des pays restés à la pointe.
Mais rester dans la course ne signifie pas imiter les pays bénéficiant de centaines de millions d’euros d’investissements. « En Chine et aux Etats-Unis ont été greffés des organes vascularisés, et donc avec un niveau de complexité maximal requérant un fonctionnement synchrone de tous les systèmes », observe Olivier Thaunat. Plus accessible, la xénotransplantation de sous parties d’un organe constituerait, d’après lui, une étape intermédiaire adaptée. « La transplantation d’îlots de Langerhans, ces cellules pancréatiques spécialisées qui manquent aux diabétiques de type 1, est plus accessible qu’un pancréas entier par exemple », illustre-t-il.
« La xénogreffe apporte aux patients un espoir teinté de questionnements », rapporte Yvanie Caillé, fondatrice de l’association de patients malades du rein Renaloo. En attendant que la survie excède les quelques mois, et surtout qu’elles ne nécessitent plus qu’une immunosuppression standard, comme pour les greffes d’organes humains, la place de la xénotransplantation reste incertaine. Avant de – peut-être, un jour – remplacer l’allogreffe (d’humain à humain), la xénogreffe pourrait permettre d’attendre un peu plus longtemps de recevoir l’appel tant attendu. Chaque année, plus de 800 personnes décèdent avant que le téléphone ne sonne.
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